L’autocratie, c’est quoi ? Une idéologie, le contrôle, la surveillance, la discipline. Nous relayons souvent sur ce blog les infos qui concernent les dérives autocratiques et leur cortège d’arrestations, exécutions, tortures, etc. Nous parlions encore ces derniers jours du sort d’Aung San Suu Kyi en Birmanie ou des folies criminelles perpétrées par les Talibans en Afghanistan.
Pensez-vous qu’une telle dictature soit possible, disons dans les mois qui viennent, ici, chez nous ou dans un autre grand pays démocratique comme l’Allemagne d’aujourd’hui, l’Angleterre, l’Espagne, les USA ? Attendez, ne répondez pas trop vite.
Chilck m’a parlé hier d’un film qui l’a bouleversée. Elle est allée le voir avec toute sa classe, à l’initiative de leur prof d’Histoire. Il s’appelle La Vague, il est en salles depuis début mars en France mais est sorti en Allemagne il y a un an. Les premiers mots de cette note en sont tirés.
La Vague raconte l’histoire d’un professeur de lycée qui, suite à des questions de ses élèves sur le régime nazi lors d’une semaine thématique sur l’autocratie, décide de mettre en place dans son cours une communauté fonctionnant comme une unité possédant un symbole, un salut, un uniforme, des règles : la Vague. Mais les lycéens prenant la situation trop au sérieux, la situation devient vite incontrôlable.
Pure fiction pour donner des frissons ? Malheureusement, non. Le film est inspiré d’une histoire vraie, une étude expérimentale sur le fascisme, menée par le professeur d’histoire Ron Jones avec des élèves de première du lycée Cubberley à Palo Alto (Californie) pendant la première semaine d’avril 1967, surnommée la Troisième Vague.
On pense bien sûr à Matin Brun dont Anti a parlé sur ce blog.
On pense aussi à l’expérience de Milgram, du nom du psychologue américain qui l’a menée à Yale au début des années 60. Elle visait à estimer à quel niveau d’obéissance peut aller un individu dirigé par une autorité qu’il juge légitime et à voir le processus qui mène à un maintien de cette obéissance. Notamment quand elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience au sujet. Il s’agissait à un groupe d’ « enseignants » d’infliger des décharges électriques croissantes à des « élèves » volontaires supposés répondre à des questions pour un test. L’expérience était présentée comme l’étude scientifique de l’efficacité de la punition (ici, par des décharges électriques) sur la mémorisation. Au début des décharges très faibles, quelques volts à peine. Puis, un voltage croissant si l’individu se montrait « récalcitrant ». En réalité, ceux dont le comportement était testé étaient les « enseignants ». Ils ignoraient que les « élèves » étaient des comédiens qui simulaient l’électrocution, fictive bien entendu. Certains « enseignants » n’ont pas hésité à dépasser plusieurs centaines de volts, en dépit d’un affichage leur indiquant « Attention choc dangereux ». Ils croyaient bien faire puisqu’ils suivaient des instructions. L’histoire a été reprise dans le film « I comme Icare ».
Le plus effrayant dans ces expériences qui en disent si long sur la fragilité de notre éthique face à des manipulations aussi redoutables que simples, ce n’est pas seulement leur résultat mais la vitesse à laquelle les personnes les mieux intentionnées du monde disjonctent et sombrent dans l’ignoble. Une semaine seulement pour transformer des étudiants ou des lycéens on ne peut plus pacifistes en nazillons sans états d’âme. Quelques heures à peine pour que des gens placides qui ne feraient pas de mal à une mouche trouvent normal de torturer de parfaits inconnus en leur balançant des décharges de 400 Volts parce que ces derniers ne mémorisent pas assez bien leur leçon.
Bon. C’est quoi la morale de tout ça ? Non, on ne va pas se mettre à voir des risques de coups d’état partout. Mais on ne va pas les ignorer non plus. Rien de pire que la banalisation et l’insouciance. La meilleure des armes, c’est l’information, l’éducation. Plus on apprend à reconnaître les mécanismes insidieux mis en oeuvre pour instaurer des dictatures, plus il est facile de les combattre et de les désamorcer dès leur apparition. La paranoïa, non. La vigilance, oui.
Je remercie le prof de ma fille pour sa brillante initiative. A chacun de nous d’en faire autant. Allons voir « La Vague ». Et amenons-y nos enfants.
Très belle journée à tous
Autres sujets analogues sur le blog : rubrique Tous des humains
Alors ce film, je veux le voir et l’avoir en DVD ! C’est exactement ce qu’il faut pour garder toujours en mémoire que tout peut basculer d’un jour à l’autre, parce que, justement ce n’est pas ça : » Mais les lycéens prenant la situation trop au sérieux, la situation devient vite incontrôlable » comme tu le dis Anna qui fait que ça dévie, ce n’est pas le fait que les lycéens prennent les choses au sérieux, c’est comme ça, ce sont les processus psychologiques des humains qui font que, si on n’y prend garde. La vigilance est TOUJOURS de mise.
Une autre expérience a dû inspirer ce film, toujours du côté de Palo Alto, L’expérience de Stanford dite « effet Lucifer » :
L’expérience de Stanford (Effet Lucifer) est une étude de psychologie expérimentale menée par Philip Zimbardo en 1971 sur les effets de la situation carcérale. Elle fut réalisée avec des étudiants qui jouaient des rôles de gardiens et de prisonniers. Elle visait à étudier le comportement de personnes ordinaires dans un tel contexte et, eu pour effet de montrer que c’était la situation plutôt que la personnalité des participants qui était à l’origine de comportements parfois à l’opposé des valeurs professées par les participants avant le début de l’étude. Les 18 sujets avaient été sélectionnés pour leur stabilité et leur maturité, et leurs rôles respectifs de gardiens ou de prisonniers leur avaient été assignés aléatoirement.
Les prisonniers et les gardes se sont rapidement adaptés aux rôles qu’on leur avait assignés, dépassant les limites de ce qui avait été prévu et conduisant à des situations réellement dangereuses et psychologiquement dommageables. L’une des conclusions de l’étude est qu’un tiers des gardiens fit preuve de comportements sadiques, tandis que de nombreux prisonniers furent traumatisés émotionellement, deux d’entre eux ayant même dû être retirés de l’expérience avant la fin[1].
Malgré la dégradation des conditions et la perte de contrôle de l’expérience, une seule personne (Christina Maslach) parmi les cinquante participants directs et indirects de l’étude s’opposa à la poursuite de l’expérience pour des raisons morales. C’est grâce à celle-ci que le professeur Zimbardo prit conscience de la situation et fit arrêter l’expérience au bout de six jours, au lieu des deux semaines initialement prévues[1].
(A lire sur Wiki, l’article complet effrayant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Stanford ).
Une véritable initiative citoyenne de ce professeur d’histoire qui mérite d’être saluée ! Bravo ! Et bravo aux nouvelles générations allemandes aussi qui savent si bien dépasser le passé de leurs aïeuls qu’ils parlent du nazisme ou du communisme (on se souviendra longtemps de l’excellent film « La vie des Autres » de Florian Henckel von Donnersmarck (http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vie_des_autres ).
anti
L’expérience dont tu parles s’est renouvelée en pire et en vrai à Abu Ghraib, comme le souligne l’article de Wiki :
« Lorsque l’affaire des abus dans la prison d’Abu Ghraib éclata en mars 2004, de nombreux observateurs furent immédiatement surpris par les similitudes avec l’expérience de la prison de Stanford. Le premier d’entre eux fut le professeur Zimbardo, qui s’intéressa de près aux détails cachés de l’affaire. Il fut consterné par les efforts faits pour faire porter le chapeau à quelques mauvais éléments plutôt que de reconnaître qu’il s’agissait de problèmes dus à un système officiel d’incarcération militaire.
Le professeur Zimbardo finit même par collaborer avec l’équipe d’avocats de l’un des gardiens d’Abu Ghraib, Ivan « Chip » Frederick. Il eut accès à tous les rapports d’enquête et témoigna en tant qu’expert au procès en cour martiale de Frederick, qui devait se solder pour ce dernier par une peine de huit ans de prison, prononcée en octobre 2004.
Le professeur Zimbardo s’appuya sur les connaissances acquises lors de ce procès pour écrire un nouveau livre intitulé L’Effet Lucifer : Comprendre comment de bonnes personnes deviennent mauvaises (Random House, 2007), qui étudie les nombreux liens entre l’expérience de la prison de Stanford et les abus d’Abu Ghraib. »
Je viens de tomber là-dessus dans la presse du jour. Rien à voir… ou pas?
MARSEILLE (AFP) — Un Marseillais de 47 ans doit comparaître le 19 mai devant le Tribunal de police de Marseille, accusé de « tapage injurieux diurne » pour avoir crié à deux reprises « Sarkozy, je te vois! » alors qu’il assistait à un contrôle d’identité un peu musclé à son goût.
Le 27 février 2008, peu avant 18H00, cet enseignant – qui a souhaité garder l’anonymat – passe dans la gare centrale Saint-Charles de Marseille où deux policiers sont en train de contrôler l’identité de deux personnes. Trouvant ce contrôle un peu « viril », il crie alors à deux reprises « Sarkozy, je te vois », provoquant l’hilarité des passagers, témoins de la scène.
Les policiers, estimant que l’apostrophe a attiré l’attention du public et gêné leur contrôle, l’emmènent alors au poste de police de la gare pour procéder à un contrôle d’identité et dresser un procès-verbal.
Les représentants de la force publique y affirment que « par la durée et la répétition de ses cris », l’enseignant a porté atteinte à la tranquillité publique, contrevenant ainsi à l’article 13-37 du code de la santé publique.
Croyant l’affaire close, le Marseillais a eu la surprise, plus d’un an plus tard, d’être convoqué au commissariat du 9e arrondissement début avril 2009, puis de recevoir le 20 avril une citation à comparaître devant le juge de proximité.
Selon son avocat, Me Philippe Vouland, contacté par l’AFP, le motif des poursuites a changé: il est désormais reproché à son client un « tapage injurieux diurne troublant la tranquillité d’autrui », délit passible d’amende selon l’article R 632-1 du Code pénal.
Pour Me Vouland qui va plaider la nullité de la citation, « parler plus fort que de raison dans une gare comme Saint-Charles, en pleine heure de pointe, ne peut en aucun cas constituer une contravention ».
S’il le faut, l’avocat ne s’interdit pas de demander une reconstitution des faits et la nomination d’un expert pour mesurer, un mardi à 17H50, la différence de décibels qu’aurait pu provoquer l’exclamation de son client.
Copyright © 2009 AFP
Je pense que ce film, La vague, relève plus de l’analyse du totalitarisme et que le fait relaté dans la presse, dont parle Anna, relève plus de la tyrannie..
Mais bon, réflexion faite oui,
je pense hélas qu’une dictature s’installe toujours plus vite qu’on pourrait l’imaginer.
Vigilance et communication…
Le fait-divers relève de la même logique : les flics se sentent partie intégrante d’un pouvoir qui les soutient et les encourage à ce type d’excès. Dire, de façon même pas insultante ou outrancière, ce qu’a dit ce passant est perçu par eux comme une déviance inacceptable, un danger pour l’Ordre Nouveau (nom d’un ancien mouvement d’extrême-droite, c’est intentionnel) et le système judiciaire trouve normal d’être saisi de ce cas – sans préjuger de sa décision finale qu’on espère être un non-lieu.
Si l’expression « Sarkozy, je te vois » sur un lieu public en plein jour devient un délit, peut-on toujours appeler cela une démocratie ?
Brrrrrrrrrr !
S’il le faut, l’avocat ne s’interdit pas de demander une reconstitution des faits et la nomination d’un expert pour mesurer, un mardi à 17H50, la différence de décibels qu’aurait pu provoquer l’exclamation de son client.
et Mdrrrrrrrrrrr !
anti
Une « fiction » qui m’a fait froid dans le dos… « The Origins of the American Military Coup 2012 ».
http://www.dtic.mil/doctrine/jel/research_pubs/p087.pdf
Qui en est l’auteur ? L’un des plus hauts gradés de l’Armée américaine, le Major Charles J. Dunlap Jr, qui en a été récompensé personnellement par le Général Colin Powell :
http://en.wikipedia.org/wiki/Charles_J._Dunlap,_Jr.
Mise en garde, prédiction ou science-fiction ? Tout est possible…
Je ne connais pas du tout cette fiction mais la date de 2012 est certainement choisie en rapport avec la prophétie Maya… Je plongerai dans les liens un peu plus tard.
anti, oui, tout est possible, même le meilleur 😉
France 2 diffuse ce mercredi soir une vraie-fausse émission de téléréalité, « Zone extrême », basée sur l’expérience de Milgram. Christophe Nick, le réalisateur, affirme que son but était de dénoncer le pouvoir avilissant de la télévision sur nos esprits… et de vendre son livre à ce sujet, ce qui n’est pas neutre, puisqu’il tire de son « expérience » des conclusions contestables.
La suite est à lire sur Rue89 :
http://www.rue89.com/tele89/2010/03/16/la-tele-rend-elle-sadique-lemission-zone-extreme-controversee-143110
Ah oui, effectivement ! Ben voilà, c’est ce soir 🙂