Extrait de Himalaya, l’enfance d’un chef, roman d’Evelyne Brisou-Pellen d’après le scénario original d’Eric Valli et Olivier Dazat :
Moi, j’étais là. Je vis les lamas sortir un à un de la maison, reliés entre eux par une longue écharpe blanche, faisant battre en cadence les cordons de leurs petits tambours. Je vis la couronne de bois doré sur la tête de mon père, et je vis l’homme qui portait mon père. Il le portait sur son dos. Dans un panier. Le même panier que celui de ma mère. Et il le portait de la même façon. Mon père n’était plus l’homme impressionnant que j’avais connu, le courageux caravanier, c’était juste un paquet replié sur lui-même, enveloppé de l’étoffe de soie.
Laissant les femmes au village, le petit cortège commença à gravir la pente de la montagne. On percevait encore et toujours les battements sourds et rythmés des tambours, qui résonnaient atrocement dans mon coeur, comme autant de coup de poignard. Je me laissai glisser à terre et me bouchait les oreilles.
Le roulement s’éloigna peu à peu, à mesure que le groupe des hommes montait vers le sommet dominant le village. Alors, venant de partout de grands oiseaux franchirent les cimes. Leurs ailes ne battaient pas. Ils planaient silencieusement, ils se regroupaient audessus de notre vallée. Les vautours.
Sur la montagne, après avoir longtemps prié, les hommes exécutaient sans doute la dernière danse des morts, tandis qu’on finissait de découper l’enveloppe charnelle de mon père. Les vautours attendaient leur heure. Ce serait bientôt à eux. Et le corps de mon père s’envolerait vers le ciel dans l’estomac des grands oiseaux de mort.
Je fermai les yeux avec violence et me répétait : « Maintenant, c’est moi qui suis le chef. C’est moi qui suis le chef. »
Voilà, une scène du film qui m’a beaucoup impressionnée d’autant plus que je l’ai retrouvée dans Kundun, lors du décès du père du Dalaï-Lama.
J’ai cherché un peu sur le net et j’ai découvert cette tradition étrange et très troublante pour l’européenne que je suis, des « funérailles céleste » parfois appellées « funérailles astrales », en totale harmonie avec cette grande période de dépouillement que nous traversons tous en ce moment.
Une petite suggestion d’écoute pendant la lecture : le mantra du bouddha de médecine.
Dans l’article de la Wikipédia sur les différents rites funéraires, on apprend déjà :
Le rite funéraire (ou funérailles) est un ensemble de gestes et de paroles accompagnant l’agonie puis la mort d’un être humain.
Les anthropologues considèrent généralement que les rituels funéraires sont un des fondements ou critères du passage à l’humanité.
Ces rites semblent relever depuis toujours de la religion, mais la reconnaissance dans le monde contemporain d’une philosophie agnostique modifie la prise en compte des derniers instants de la vie et/ou permet l’émergence d’un nouveau type de rites et cérémonies.
La nature du rituel varie selon l’époque, le statut social du défunt, les croyances d’une société, les conditions du décès et parfois selon la volonté du défunt.
L’étude rétrospective des rituels funéraires par les indices laissés dans les tombes, croisées avec d’autres éléments archéologiques, permet de délimiter l’aire géographique et parfois l’histoire de sociétés disparues.
De même l’ethnologie attache une grande importance à l’étude des rites funéraires, qui éclaire la compréhension des rapports entre les individus et avec le monde tels qu’ils le conçoivent.
Les funérailles et le deuil collectif sont aussi l’occasion de moments particuliers de sociabilité qui marquent l’histoire d’un groupe.
Un moment clé – pour un individu ordinaire – est l’embaumement, la crémation ou l’enterrement (inhumation) et plus rarement l’immersion en mer, l’anthropophagie (vraie ou symbolique, avec par exemple la consommation des cendres du cadavre brûlé) ou l’offrande du cadavre (généralement découpé, comme chez les peuples de l’Himmalaya) aux vautours.
Au Tibet
Les rites funéraires pratiqués par les Tibétains varient selon les contraintes imposées par la nature du lieu et son climat, mais également selon la qualité du défunt. Le corps du défunt se dissout dans l’un des quatre éléments : les funérailles célestes pour l’air, les funérailles de l’eau pour l’eau, la crémation pour le feu et l’enterrement pour la terre.
La pratique des enterrements est peu fréquente. La nature du sol, souvent très dur, en est la raison principale, mais la conviction que cette pratique entrave la réincarnation des défunts est parfois invoquée. Selon certaines sources en effet, elle serait réservée aux criminels, qu’on ne souhaite pas voir réincarnés, et aux personnes décédées de maladies contagieuses, pour lesquelles les autres rites funéraires ne sont pas envisageables.
De même, dans les régions de haute altitude où le bois est rare, la crémation n’est employée que pour les lamas et les personnalités, à l’exception toutefois des plus hauts dignitaires religieux dont le corps est conservé par embaumement.
Les rites funéraires les plus courants mettent en pratique le principe bouddhique de charité, qui conduit les Tibétains à offrir leur corps aux poissons ou aux vautours. On distingue ainsi deux types de funérailles :
– Les funérailles de l’eau, pratiquées uniquement dans certains cas particuliers, certaines sources mentionnant les mendiants, veufs, veuves et autres Tibétains les plus pauvres.
– les funérailles célestes ou sépultures de l’Air, pour la majorité de la population. Ce dernier rite se pratique encore dans quelques centaines de sites sacrés au Tibet. Les officiants en sont les ragyapa, caste tibétaine spécialisée dans ces fonctions. Ces derniers, après avoir placé le corps du défunt sur un rocher sacré, le dissèquent, puis broient ses os, qu’ils mélangent parfois avec de la tsampa, laissant les vautours se charger de l’élimination des restes funéraires.
Et puis je suis tombée sur cet article absolument génial d’après un dossier publié en partie dans L’Archéologue, Archéologie nouvelle, n° 72, Juin 2004, article que je vous livre en intégralité ci-après. Les funérailles célestes ne sont pas limitées aux peuples de l’Himalaya comme je le pensais mais se retouvent aussi dans d’autres régions du globe !
IRAN, VAUTOURS, ET TOURS DU SILENCE.
Cet article se propose de faire le point sur un mode funéraire rare mais suffisamment attesté, et encore en usage de nos jours dans un grand pays moderne et industriel, où le cadavre humain est exposé au soleil dans une « Tour du silence », afin que les oiseaux charognards le décharnent.
Ces « funérailles célestes », dont le raffinement spirituel apparaît peu au premier regard, ont pour conséquences secondaires de ne point laisser de traces facilement identifiables par la recherche archéologique. Nous circonscrirons notre survol dans un cadre qui ne dépassera l’Europe et l’Asie proche, particulièrement le plateau iranien. Une brève incursion en régions Berbères d’Algérie, ainsi qu’un regard sur les Celtes méditerranéens ébaucheront de futures investigations.
Les rites funéraires sont à travers l’espace et le temps l’un des principaux témoignages de civilisation, et furent parmi les indices de l’hominisation, avec la domestication du feu. Si l’on considère que le premier humain qui prit soin de ses morts vivait il y a plus de 300 000 ans (Neandertal), on peine à concevoir le nombre de sépultures, de protocoles d’inhumation, d’incinération, et d’autres modes de résorption du cadavre que cet animal pensant et imaginatif dût mettre en pratique.
Certaines civilisations n’ont laissé que des tombes. Que resterait-il des Etrusques, ou même de l’Egypte ancienne, si l’on faisait abstraction du domaine funéraire ? Il ne faut point s’étonner de ce que nous rassemblons sous le vocable « funérailles célestes » pour la commodité du propos soit quasiment inexistant dans la documentation : les restes mortuaires deviennent difficilement identifiables par la suite.
L’attention portée au cadavre, et le rituel communautaire de prise en charge de la dépouille sont définis par la religion officielle dominée par ses croyances en une survie, une renaissance, une métempsycose, ou le néant, avec des considérations dictées par le mode de vie nomade ou sédentaire, agricole ou pastoral. Nous achèverons cette note en nous interrogeant sur certaines nécropoles des Gaulois.
Les textes principalement et l’observation ethnologique permettent une première approche de ce singulier destin du corps humain après la mort. On perçoit aussitôt l’importance de l’écriture et des relations antiques conservées pour l’estimation des peuples anciens, et de leur prise en considération par les historiens.
Déjà, une inégalité de traitement : des civilisations, et non des moindres, n’ont pas utilisé l’écriture pour noter leur propre mémoire, ce sont leurs voisins, et souvent leurs ennemis, qui en parlent. Ici encore, il faudra prendre en compte le contexte.
INCARNATION, DÉCARNISATION
Les Funérailles célestes, pratiquées encore de nos jours par les adeptes de la religion mazdéenne réformée, dénotent d’emblée une conception originale de la nature, ainsi qu’une appréhension de l’Au-delà en accord avec des croyances en un monde supérieur situé « au Ciel ». Le cadavre est exposé sur un espace dénudé au soleil, à l’écart, et laissé à la disposition des oiseaux carnivores. Ceux-ci appartiennent à la famille des rapaces, vautours de plusieurs espèces, milans, faucons selon les régions, aigles à l’occasion, et divers busards. Mais les plus gros bataillons d’amateurs de chairs mortes se recrutent chez les corvidés : grands corbeaux, corneilles, freux, choucas selon les espèces, et chez les pies. Si le lieu d’exposition est proche d’un rivage, les mouettes et goélands se joignent à la curée.
Les grands vautours peuvent avaler des os entiers, et l’on connaît dans certaines contrées le gypaète barbu, un rapace solitaire susceptible d’emporter en vol un os long et de le laisser choir sur les rochers pour le briser et ensuite consommer la moelle.
La décarnisation achevée, souvent en quelques heures, restent les ossements, la plupart encore en connexion, qui peuvent être broyés éventuellement par des officiants. Après un temps d’exposition à l’air et au soleil, le squelette est relégué dans une cavité, ou éliminé par un quelconque procédé. Parfois, on peut avoir affaire à une inhumation secondaire.
Pour autant que nous le sachions, les mammifères carnassiers sont exclus de ce protocole. À l’évidence, les nécrophages subalternes, insectes de toute nature, accomplissent leurs œuvres également.
Cette conduite funéraire d’exposition aux oiseaux peut être dictée par la religion comme nous venons de le dire, mais aussi selon les particularités du terroir environnant : une population condamnée à vivre dans un pays froid, montagneux, où la terre est gelée une partie de l’année et où le bois est rare, peut aussi avoir choisi ce mode de résorption des cadavres par simple esprit pratique. Quoi que nous sachions l’être humain capable de prodiges lorsque ses croyances collectives lui importent au premier chef…
Nous avons décrit dans un ouvrage consacré aux vautours le rituel des funérailles astrales du Tibet, connu depuis les relations des premiers voyageurs occidentaux, et pratiqué jusqu’à ce que l’impérialisme militaire chinois ne détruise le bouddhisme tibétain, (Le Vautour mythes et réalité ). Nous n’y reviendrons pas ici autrement que pour signaler la parenté de la « Pierre des morts » des contreforts himalayens avec ce qui va suivre.
LE DOMAINE IRANIEN
Lorsqu’on tente de cerner l’origine des peuples qui ont conservé jusqu’à aujourd’hui le rite d’exposition des cadavres au soleil et aux grands oiseaux volants, on se trouve devant une nébuleuse qui aurait pu avoir pour centre le « domaine des Aryas » dont l’Iran moderne conserve officiellement l’héritage et le vivant souvenir.
Au deuxième millénaire avant notre ère, il apparaît que des tribus semi-nomades se sont fixées en Asie centrale, autour du plateau iranien et dans les montagnes d’Afghanistan jusqu’à l’Indus. Ces peuples, entre Caspienne, golfe Persique, et mer d’Oman, se distingueront bientôt par leur dynamisme et attireront l’attention de leurs voisins.
C’est dans ce foyer qu’était vénéré le dieu Ahura Mazdâ, dont la doctrine conduit ses adeptes à mettre en œuvre les funérailles célestes attestées depuis la fin du IIe millénaire avant notre ère. Cette religion, le Mazdéisme, est à ce jour la plus anciennement pratiquée au monde.
Lorsque l’Iran et les Perses apparaissent dans l’histoire grâce à Hérodote, le pays semble porter depuis longtemps une unité de civilisation. En quelques lignes, l’historien grec (né à Halicarnasse en Asie Mineure vers 485 et mort en 425) détaille les principaux aspects culturels de ces Perses en affirmant témoigner de bonne source. Hérodote termine son enquête en soulignant le fait que ces peuples n’enterrent ni ne brûlent leurs morts :
« Voici ce que je puis dire, parce que je le sais. Et voici maintenant, sans que je puisse rien affirmer, ce que l’on dit sur les rites funèbres, qui sont tenus secrets : le corps d’un Perse ne peut être enterré avant d’avoir été déchiré par les oiseaux ou par les chiens. Que les Mages aient, eux, cette coutume, je le sais de façon certaine, car ils le font ouvertement. Cependant, en général, les Perses enrobent de cire le cadavre avant de le confier à la terre. » (I-140)
Hérodote consigne des connaissances datant du milieu du Ve siècle avant notre ère. Les Ioniens sont en guerre contre l’Empire perse. Mèdes et Perses représentent les Barbares, nécessaires ennemis.
LES OISEAUX SARCOPHAGES
L’épopée homérique revient en leitmotiv sur le funeste destin du guerrier tué servant de pâture aux chiens et aux innombrables oiseaux de rapine. La hantise du Grec d’être privé de sépulture, en devenant sur le champ de bataille la proie des nécrophages, s’explique par ses croyances en un Autre-monde réservé à celui dont le corps a été rituellement traité, avec bûcher funéraire, sépulture et stèle.
Pour les Hellènes, ce sont les Barbares qui laissent leurs morts se faire décharner à ciel ouvert. Dans les oraisons funèbres en l’honneur des héros tombés aux guerres Médiques, les orateurs n’osent prononcer le nom du vautour, ils emploient par euphémisme « tombeaux vivants ». L’oiseau sarcophage, et surtout le chien ensauvagé traître à l’homme, représentent alors pour le Grec l’ignominie absolue.
L’EMPIRE PERSE ET ZARATHOUSTRA
Fondé par la dynastie des Achéménides, vers 550 avant notre ère, l’empire perse constitue l’une des puissances les plus prestigieuses du temps, et la plus redoutée. Darius 1er se glorifie de régner de l’Hindoustan jusqu’à Sardes et jusqu’en Nubie, soit des steppes de l’Asie centrale aux confins de Haute-Egypte, et de l’Indus aux rivages de la mer Égée.
Les guerres Médiques révèlent aux yeux éblouis des soudards helléniques les richesses de l’Orient en combattant des guerriers iraniens parés de bijoux d’or et vêtus de riches étoffes qu’ils rapportent en butin de guerre dans leurs spartiates foyers.
La Perse se savait forte d’une antique religion. Hérodote en résume honnêtement les connaissances parvenues jusqu’à lui. Il identifie Zeus dans Ahura Mazdâ le grand dieu iranien Maître de Sagesse, mais il ignore Zarathoustra et sa doctrine.
Pour l’historien grec, les Mages forment le corps sacerdotal de cette religion sans temple ni autel (I-131). Son résumé se veut objectif, et il ne cache pas son admiration pour certains traits d’éducation : à l’enfant perse on enseigne trois choses essentielles pour un garçon, monter à cheval, tirer à l’arc, et dire la vérité ; il ne doit pas frapper ses serviteurs, et ne doit pas cracher ni uriner dans une rivière. La voûte céleste, le soleil et le feu, ainsi que tous les éléments naturels sont sacrés. La description d’Hérodote détonne dans sa mesure et sa bienveillance.
La littérature ultérieure fait du Perse le Barbare par excellence, d’abord parce qu’il ne parle pas grec. On le décrit lâche, servile, voluptueux, et fort riche. Les philosophes helléniques, par la suite, en apprendront un peu plus sur ses croyances et entendront parler de Zarathoustra, le réformateur de l’antique religion d’Ahura Mazdâ, le Dieu-Lumière.
Nous ne savons rien de précis sur ce prophète. Sa vie relève de la légende. Il réforma le mazdéisme en interdisant notamment les sacrifices sanglants et l’usage rituel du Haoma, la boisson sacrée que consommaient les guerriers au cours d’une cérémonie de transcendance.
La plus ancienne mention de Zarathoustra se rencontre dans « Alcibiade, de la Nature de l’homme » de Platon.
Toutefois, l’irrecevable singularité du Perse aux regards des Grecs restera qu’il persistait à ne vouloir enterrer ni brûler ses morts.
Les souverains achéménides édifiaient de splendides palais et des tombeaux enrichis de scènes représentant les principales divinités de leur panthéon. Seuls les rois morts étaient embaumés puis placés dans un caveau creusé au flanc d’une montagne ou déposés dans une tombe construite en grand appareil. Hormis ces tombes royales, on ne connaît pas les cimetières des mazdéens antiques.
Les Macédoniens, conduits par Alexandre, abattent l’Empire perse (334-322 avant notre ère). Les tombes royales sont violées, les palais pillés, et Persépolis détruite. Au cours de ces victoires, les Grecs en apprennent davantage sur leurs rivaux et notamment que la fonction principale du Roi des Rois est d’assurer la médiation avec le dieu du ciel Ahura Mazdâ, et d’obtenir ses faveurs pour la prospérité de l’Empire.
Le Feu sacré accompagne le souverain dans ses déplacements. Les Mages dépositaires des traditions orales, médecins et éducateurs des princes, sont à l’entour du roi en toutes circonstances et scrutent le firmament pour en tirer des augures. Ahura Mazdâ règne dans le ciel, mais il n’y est pas seul, des « dieux » l’entourent, dont le plus connu est Mithra, gouvernent également, avec d’autres divinités.
À la mort d’Alexandre le Grand, en 323 avant notre ère, le nouvel empire se trouve démembré, non sans violences, entre les généraux macédoniens. Le destin fulgurant de l’un des plus grands monarques de tous les temps s’arrête net dans cette fascinante Asie mésopotamienne.
Le jeune roi avait-il eu le temps de songer à ses funérailles ? De son corps embaumé conservé dans du miel, la légende s’est emparée. Un corps désormais invisible, itinérant, et toujours introuvable.
AVÈNEMENT DES SASSANIDES
Passons sur quelques siècles de tribulations qui ne font guère avancer les connaissances en ce qui concerne notre quête. Le monde ouvert par Alexandre est désormais parcouru de fond en comble. Les dieux comme les hommes voyagent.
Partageant avec Apollon les attributs solaires, le Sol Invictus, l’Iranien Mithra arrive à Rome au dernier siècle avant notre ère dans les bagages des légionnaires. Pourquoi cette entité seconde du panthéon perse et non Ahura Mazdâ ? Affaire d’hommes…
Mithra remporte les faveurs des milieux militaires et du peuple masculin romain puisque les femmes sont exclues du rituel d’initiation. Les cultes orientaux font les délices des Romains.
Les spéculations théologiques issues du néo-platonisme, imprégné de l’antique religion iranienne réformée par Zarathoustra, se répandent en Europe. Le monothéisme s’insinue dans la pensée méditerranéenne suivant les influences venues de nombreux foyers orientaux.
Après les Perses, ce sont les Parthes qui endossent la parfaite image du barbare ennemi par excellence, tandis qu’à l’Ouest monte la peur du Gaulois.
En 224 de notre ère, le dernier roi Parthe, Artaban V, est vaincu au cœur de l’Iran par un roitelet local qui fonde la dynastie des Sassanides et endosse l’héritage persan : Ardashir 1er.
Shahpur 1er, en 260, capture l’empereur Valérien, le tue, et réduit ses légions en esclavage.
La fondation de la dynastie des Sassanides marque la renaissance de l’esprit national iranien et redonne à la Perse une nouvelle splendeur pour quelques siècles, jusqu’à l’arrivée de l’Islam en 642 qui conservera l’héritage sans grand bouleversement.
Les Sassanides vont faire entrer l’antique religion mazdéenne dans la postérité en commandant la mise par écrit, probablement pour la première fois, des enseignements du prophète réformateur Zarathoustra : l’Avesta. Ce prophète vécut peut-être un millénaire avant l’avènement des Sassanides.
Faute de documents, nous en sommes réduits aux conjectures. L’extraordinaire continuité dogmatique et l’attirance du mazdéisme semblent ne pas avoir cessé. Sous les Sassanides, son influence marquera profondément les esprits, l’art sacré des souverains diffusera ses codes iconographiques dans tout le Bassin méditerranéen (Avec l’image de la Pintade bicornue, mais ceci est une autre histoire !…)
Cette religion Mazdéenne, répétons-le ici, s’accompagne du rite d’exposition des corps au soleil et aux vautours, elle est le fil conducteur de notre propos.
Toutefois, l’empire qui domine le monde, en ce IIIe siècle de notre ère, est pour quelque temps encore l’Empire romain ; un empire qui chancelle ébloui, enivré par les splendeurs barbares.
LES ENFANTS DU PARADIS
Au IIIe siècle après le Christ, le pouvoir iranien des Sassanides ordonne aux chefs religieux, la caste des Mages, de réunir les textes sacrés mazdéens en un recueil unique. De cette recension naît l’Avesta (Sagesse en persan). Cette épopée nationale sera ignorée de l’érudition occidentale jusqu’au début du XIXe siècle, jusqu’à la découverte en 1770 par Anquetil-Duperron aux Indes, chez des immigrants iraniens, d’une version écrite dans une langue que plus personne ne savait déchiffrer.
La critique moderne propose de situer, par comparaison philologique, au VIIIe siècle avant notre ère, la prédication de Zarathoustra, que renferment les Gathas, la partie la plus ancienne de l’Avesta.
Cette doctrine religieuse s’affirme comme un véritable monothéisme, avec Ahura Mazdâ (le Seigneur Sage) en guise de Dieu-le-Père.
D’une vénérable antiquité, cet ensemble de textes sacrés détermine la théologie du mazdéisme dont la pensée est dominée par des concepts d’opposition : Lumière/Ténèbre, Jour/Nuit, Vie/Mort. C’est la «Bonne religion » des Aryas, fixée au moment où ils eurent réalisé l’unité culturelle de leur pays, sous les Sassanides au IIIe siècle de notre ère.
Les Mages forment le clergé du mazdéisme, et l’on connaît l’extraordinaire popularité de cette classe sacerdotale auprès des peuples voisins. Ils sont particulièrement présents dans les récits de l’enfance du Christ où apparaissent les « Rois mages », porteurs d’offrandes selon une iconographie perse traditionnelle que l’on peut admirer à Persépolis.
Les historiens des religions pensent aujourd’hui que la mise par écrit de l’Avesta au IIIe siècle après J.C. fut dictée par la nécessité de s’opposer à l’avancée du christianisme, ainsi qu’aux textes canoniques des Manichéens perses qui se répandaient alors.
Pour les zarathoustriens, l’être humain est d’essence spirituelle. Il n’est sur terre que de passage. Un second monde attend le fidèle dans les hauteurs du Ciel où il ira rejoindre le Jardin de perpétuelle lumière, en espérant la résurrection à la fin des temps. Ce Jardin céleste, où mûrit la grenade sous le soleil inextinguible, s’appelle le Paradis (Para-daëza en persan : la Maison des Chants). La Bible empruntera le mot et l’imagerie pour son Eden, séjour des justes au ciel.
Sur terre, les mazdéens se doivent de cultiver principalement trois vertus : bonnes pensées, bonnes paroles, et bonnes actions, en respectant les quatre éléments en évitant toute pollution, d’où le rituel funéraire confié au soleil et aux oiseaux de proie.
GUÈBRES ET PARSIS
L’Eglise mazdéenne d’État, ainsi reconnue en Iran depuis le IIIe siècle de notre ère, ne s’efface que devant l’islam, vers 650. Après la conquête musulmane, des communautés de fidèles de Zarathoustra persisteront dans les zones déshéritées du pays où elles formeront les populations des Guèbres (Infidèles en arabe), toujours vivantes aujourd’hui autour de Kermân et de Yazd.
À l’arrivée de l’Islam sur cette terre de vieille culture, des familles persanes habituées aux voyages commerciaux vers les richesses de l’Inde, négociants, marins, choisissent de s’expatrier et fondent des comptoirs sur la côte indienne qui deviennent rapidement prospères. Les foyers persans attirent d’autres émigrants, et Bombay devient la capitale de ces Parsis (Persans) fervents de Zarathoustra. Ils embarquent avec eux les textes sacrés de l’Avesta, ainsi que la graine du Feu perpétuel qu’ils entretiennent dans leurs demeures et dans les temples ; ils emportent aussi leurs usages funéraires d’exposition des corps pour éviter la pollution des éléments naturels.
En quelques siècles, ces Parsis forment la fraction dominante de Bombay, ainsi que de Surat, la classe dynamique et conquérante apte à saisir les avancées technologiques et politiques.
N’étant point assujettis au système des castes, et dépourvus de répugnance devant l’enrichissement personnel, les Parsis bâtissent de solides fortunes et abandonnent tout contact avec leur Perse originelle.
La société iranienne de l’Inde, fortement occidentalisée dans le courant du XIXe siècle, se reconnaît aussi quelques affinités avec la religion du Marketing venue d’Europe. Les Parsis de l’Inde, tout en se repliant sur le rituel et les liens communautaires étroits, perdent l’usage et la compréhension de la langue antique de l’Avesta. Ils continuent de réciter les hymnes des Gathas sans pratiquer l’idiome, et oublient l’essentiel de la doctrine de Zarathoustra pour se complaire dans une « nonchalance théologique » pleine de contradictions.
De Bombay devenue capitale économique, les Anglais, vers 1850, encouragent les Parsis à fonder des comptoirs à Aden au Yémen pour servir d’escales sur les routes commerciales de la mer Rouge. Des Parsis s’installeront en Europe et aux Etats-unis, mais ce n’est qu’aux Indes et au Yémen qu’ils édifieront des cimetières mazdéens pour l’exposition des corps aux vautours.
Ce sera à Bombay auprès des Parsis que Anquetil-Duperron, en 1770, découvrira les livres sacrés de l’Avesta. Cet homme des Lumières en rapportera une copie en France, ainsi que des textes sacrés indous, et s’attachera à leur traduction. Et pour le monde cultivé ce sera une révélation.
LES INDO-EUROPÉENS
La découverte par l’Occident lettré, au début du XIXe siècle, des textes sacrés indo-iraniens, fait naître la notion de langues indo-européennes. Concept bien commode pour asseoir la recherche philologique en fixant dans le passé un foyer originel relié à des peuples et des territoires. Ces langues indo-européennes portées par des populations depuis le Néolithique, auraient occupé les vastes territoires de l’Indus jusqu’à la Baltique et aux îles Britanniques.
Ainsi les Perses, les Mèdes, les Scythes, les Celtes, les Achéens, les Germains, les Latins, etc. se trouvaient-ils maintenant reliés par un cousinage linguistique identifiable. Il devint évident que le domaine religieux devait lui aussi présenter des traits communs repérables dans le panthéon et les mythologies. Georges Dumézil y consacrera ses recherches.
Certains hymnes véda, d’après les archaïsmes de la langue, peuvent remonter au début du IIe millénaire avant notre ère. L’Avesta des Perses se révéle d’une aussi grande antiquité, notamment les Gathas qui pourraient même contenir des écrits antérieurs à Zarathoustra.
Les Indo-Européens apparaissent alors comme une mosaïque de tribus plus ou moins nomades originaires d’Europe orientale, des piémonts du Caucase, ayant lentement émigré vers l’Asie centrale à partir du IIIe millénaire. Ces guerriers, selon un trait de mentalité universel, se désignaient eux-mêmes « Aryas », les Hommes par excellence parce que libres. L’Iran d’aujourd’hui porte, depuis 1935, le souvenir de ces peuples et se veut le « Domaine Pastoral des Aryens », foyer du Mazdéisme, âme de la Perse éternelle.
LES TOURS DU SILENCE
Selon la religion mazdéenne prêchée par Zarathoustra et recensée dans l’Avesta, les quatre éléments, terre, eau, feu, air, sont sacrés et doivent être protégés de toute souillure. L’homme, porteur d’impureté parce que mortel, est le principal agent de pollution. Philosophie de la Lumière, le mazdéisme exalte la naissance, l’éveil, l’aube et l’épanouissement, il professe une sainte horreur de la mort et du cadavre. Inhumation en pleine terre, immersion et crémation sont donc proscrites absolument.
Ainsi naît en une époque fort ancienne la coutume d’exposer les corps au soleil sur des pierres imperméables, hors des lieux d’habitation, là où des oiseaux carnivores pouvaient dévorer rapidement les chairs avant que leur putréfaction n’empuantisse l’air.
Ces cimetières aériens, sortes de tours tombales, nommés « dakhma », sont, selon les préceptes de l’Avesta, installés sur des hauteurs, à l’abri d’une enceinte circulaire étanche. Au XIXe siècle, les occidentaux interprèteront le terme persan par « tour du silence ».
Le dakhma est un endroit sacré absolument proscrit au profane, où ne peuvent entrer que certaines personnes agréées par la communauté zarathoustrie, les « nasâsâlar », corporation investie de la charge mortuaire.
Précisons tout de suite qu’il n’y a plus qu’à Bombay que les dakhma fonctionnent régulièrement, et pour peu de temps encore, semble-t-il. Partout ailleurs, en Iran comme au Yémen, les tours tombales sont officiellement désaffectées, elles sont en ruine et livrées aux vandales.
Les Guèbres, aborigènes iraniens derniers fidèles de Zarathoustra, sont encore nombreux dans les provinces de Yazd et de Kermân. Ils conservent le feu sacré dans leurs temples, mais ne déposent plus leurs défunts dans les tours du silence. Les funérailles célestes, peu prisées des musulmans, seront tolérées jusqu’en 1960, jusqu’à ce que le Shah, par souci de modernité et pour des raisons de bienséance vis-à-vis de l’opinion des pays occidentaux qu’il entendait séduire, interdit l’usage des dakhma en imposant l’inhumation dans des coffres de ciment étanche.
Stèle des vautours, dynastie archaîque de Sumer. Trouvé à Lagash, Irak. Vers 2450 avant n. ère. La stèle et les vautours célèbrent la victoire du roi Eanatum sur la tribu voisine. Musée du Louvre.
LES VAUTOURS BIENFAISANTS
Lorsqu’on visite aujourd’hui les provinces centrales de la République Islamique d’Iran, on n’aperçoit plus aucun vautour, le ciel est vierge de rapaces. Ces vastes espaces dénudés, ces montagnes pelées où la sécheresse sévit, peinent à nourrir la faune sauvage. Les gigantesques pigeonniers alignés sur le plateau du Fars sont déserts.
Seules les usines à poulets sous leurs immenses toits de tôle abritent des gallinacés par milliers. En Iran, comme partout, on consomme le « broiler ».
Cependant, les montagnes et leurs falaises, aujourd’hui désertes à l’horizon des villes, ont pu servir d’habitat aux vautours (karkas en persan). Cet oiseau nécrophage vit, comme l’on sait, en colonie et niche sur les hauteurs, principalement au flanc des falaises pour l’espèce la plus répandue qui nous concerne ici. La légende populaire prétend qu’on ignore où se reproduisent les vautours, et Plutarque disait déjà qu’on ne voyait jamais ses petits, et qu’ils étaient probablement envoyés par les dieux (Romulus, 9-7).
Dans les hymnes de l’Avesta, Zarathoustra possède l’acuité visuelle du vautour. En effet, cet oiseau dépourvu d’odorat cherche sa pitance en observant le sol depuis les hauteurs du firmament. Il peut parcourir sans effort d’immenses distances et rester des jours sans manger. Les vautours habitués des dakhma iraniens se conduisaient en quelque sorte comme des oiseaux domestiques adonnés à leurs cantines. Planant de longues heures à des hauteurs où l’œil humain peut à peine les distinguer, les vautours surveillaient les activités humaines et arrivaient sur le mur d’enceinte de la tour en même temps que les croque-morts portant leur fardeau. Ces escadrilles de charognards se trouvaient donc tributaires de l’homme pour leur survie. Les vautours disparurent du cœur de l’Iran en même temps que le rituel des funérailles célestes.
On peut signaler ici que les armées en campagne, il n’y a pas si longtemps, étaient accompagnées d’auxiliaires de tout poil, notamment d’oiseaux charogniers, accomplissant à la suite des troupes une sorte de transhumance, vivant et se nourrissant en lisière des soldats et, comme Mère Courage, ne pouvant survivre que si guerre il y avait.
Paradoxe, c’est exactement le contraire qui se passe en ce moment aux Indes chez les Parsis : à Bombay, qui abrite une communauté de plus de 55 000 membres, où fonctionnaient il y a peu les trois derniers dakhma sur le site funéraire de Doongerwadi, les vautours font défaut. Frappés par une épizootie, ils ne sont plus assez nombreux pour absorber les cadavres exposés, et les habitants se désolent de voir et sentir les dépouilles de leurs proches se décomposer lentement au soleil.
NOS ANCÊTRES LES CELTES
Ancêtres culturels n’en doutons point, les Celtes, qui parlaient une langue indo-européenne, ont-ils partagé la vénération céleste et l’attirance aérienne de leurs cousins orientaux ?
Leurs Veda, Avesta, et autres Gathas étant irrémédiablement perdus parce que confiés à la tradition orale, les Celtes feraient piètre figure dans le tableau s’il n’y avait l’archéologie. Par leurs voisins, nous savons que les druides observaient le ciel et tiraient des augures du vol des oiseaux. Taranis, une de leurs entités divines, paraît avoir été la personnification du ciel et de l’orage.
Lorsqu’en 335 avant notre ère, Alexandre rencontre les ambassadeurs d’une tribu celtique, dans la région de l’actuelle Belgrade : « N’y a-t-il donc rien que vous craignez ? », demande le roi, espérant bien que sa réputation avait pénétré jusqu’à eux, et qu’ils allaient lui dire que c’était Alexandre qu’ils redoutaient le plus au monde. Mais la réponse est tout autre. Ils ne redoutent rien, lui disent-ils, qu’une seule chose, « que le ciel ne s’effondre! » Cette très célèbre anecdote a probablement été rapportée par un témoin, le futur roi d’Egypte Ptolémée fils de Lagos, compagnon d’Alexandre. Elle illustre un trait de la mentalité celte tournée vers l’empyrée.
Le noyau originel des Celtes paraît se situer dans la région où coule le Danube, entre Bohême et Jura. Champions des armes en fer, ils imposeront leur souveraineté culturelle sur une large portion de l’Europe occidentale.
La civilisation celtique s’exprime dans l’unité de langue (l’indo-européen), la religion, et l’art. Au contraire des Perses, ils n’ont point formé d’empire ni de nation.
Les anciens Celtes ont enterré ou brûlé leurs morts selon les époques, en employant des protocoles funéraires très diversifiés destinés à préparer au défunt une vie dans l’Au-delà. L’usage traditionnel et sacré d’une boisson alcoolisée (assimilable au haoma des Perses ou au soma indien), à base d’hydromel, où entraient peut-être des décoctions de chanvre ou de pavot, breuvage d’immortalité comparable à l’ambroisie des Grecs, aidait l’aristocratie celte à dompter les forces du Chaos.
Aux temps historiques, le breuvage sacré est remplacé par le « jus de la vigne » que distribuent les commerçants méditerranéens. Les services à boire se retrouvent dans les tombes celtes en abondance, après avoir servi aux convives au cours d’une cérémonie dédiée au mort.
LES CELTES, DES IMAGES ET DES MOTS
La plus ancienne représentation connue d’un guerrier celte, se trouve sur un vase d’origine étrusque, une jarre aujourd’hui conservée à Bonn (Akademisches Museum, n°1569). Sur la panse de ce grand vase décoré de peinture noire, avec les figures en réserve rose clair, daté de 340/320 avant notre ère, se déroule un combat de cavaliers et de fantassins. Sous le cavalier central, gît un guerrier nu, étendu, avec un vautour perché sur la poitrine, prêt à lui déchirer les entrailles. D’autres vautours sont identifiables entre les combattants. L’examen des vaincus permet de reconnaître des Celtes dans les corps offerts aux oiseaux carnassiers.
Les auteurs gréco-latins reprocheront aux Celtes, comme ils l’avaient fait à l’égard des Perses, d’abandonner les cadavres des leurs sans sépulture. Pausanias, dans sa « Description de la Grèce », vers 180 de notre ère, relatant les combats qui opposèrent les Hellènes aux Celtes d’Anatolie autour de Delphes, souligne leur insouciance en matière de sépulture : ils n’enlèvent pas les morts du champ de bataille, « Ils leur était bien égal qu’on donnât à ces cadavres un peu de terre ou que s’en repussent les bêtes sauvages et ceux des oiseaux qui font la guerre aux morts. » (X.21-6) Ceci était leur coutume, conclut Pausanias.
Silius Italicus, poète latin qui écrivait au cours des années 50 de notre ère, décrit les mercenaires celtes qui accompagnèrent Hannibal dans la Deuxième Guerre punique. Son épopée se veut une chronique du conflit, mais aussi un vaste panorama des mœurs des peuples impliqués :
« Ils sont venus aussi les Celtes, dont le nom est associé à celui des Ibères. Pour eux c’est une gloire de mourir au combat et il est sacrilège de brûler le corps de celui qui a connu une telle mort. Ils croient qu’ils seront transportés au ciel auprès des dieux, si le vautour affamé déchire leur dépouille gisante. » (Livre III, 340)
Plus loin, dans le livre XIII, Silius Italicus confirme cette coutume des Celtes d’Espagne :
« En terre d’Ibérie, c’est là, dit-on, l’usage ancien, un vautour impur dévore les cadavres. » (XIII, 470)
Le sophiste Elien qui vivait à Rome, et décrivait le monde autour des années 200 de notre ère, parle dans son ouvrage sur les animaux (Livre X-22) du caractère sacré du vautour :
« Les Vachéens (qui sont un peuple du nord-est de l’Espagne) brûlent sur un bûcher les cadavres de ceux qui sont morts de maladie. Ceux qui sont morts à la guerre, et qu’ils considèrent comme des hommes nobles et de grande valeur, ils les abandonnent aux vautours qu’ils tiennent pour des animaux sacrés. »
Ces quelques témoignages nous montrent des Celtibères, en bons indo-européens, ayant conservé des rites funéraires qui ne sont pas sans rappeler ceux des Mazdéens iraniens. Peut-on étendre cette tradition plus au nord chez les Celto-Ligures ?
DES OPPIDA MARSEILLAIS SANS NÉCROPOLE
L’historien Michel Clerc, dans son ouvrage sur les origines d’Aix-en-Provence, écrivait :
« Parmi tous les problèmes que soulève l’étude des oppida de la région d’Aix, le plus insoluble est la question des cimetières. Tandis que les sépultures de la période néolithique ne font pas plus défaut en Provence qu’ailleurs, et que les tombes d’époque romaine abondent, il n’y en a pas une que l’on puisse nettement, je ne dis pas déclarer contemporaine des oppida, mais rattacher nettement à l’un d’eux. » (Aquae Sextae, 1916, p.123)
Ce constat, Christian Goudineau le confirme soixante ans plus tard: «…alors qu’environ 800 sites fortifiés de hauteur se répartissent dans les six départements de la région Provence-Côte d’Azur, aucune nécropole ne peut leur être attribuée (…) Le « trou » est complet entre le VI et le IIe siècle avant, c’est-à-dire les siècles les plus « riches » pour le reste de la Gaule. Ce phénomène pouvant difficilement être imputé à un enfouissement très profond des vestiges, mettra-t-on en cause le hasard ? »
Petit à petit, la recherche archéologique comble les zones d’incertitudes et permet d’appréhender la vie quotidienne des anciens peuples avec davantage de précision. Les plaines du nord de la France livrent depuis quelques années des témoignages sur les rituels guerriers et religieux des Celtes. Jean-Louis Brunaux met au jour d’étranges trophées et de surprenantes nécropoles qui évoquent irrésistiblement la tradition indo-européenne des funérailles célestes confiées aux oiseaux charognards. Le sol de la Provence livrera-t-il bientôt son secret ?
Des Marseillais, oubliant l’origine de leur ville, peuvent juger très malvenue, et parfaitement déplacée, notre suggestion de regarder vers l’Orient pour expliquer l’absence de nécropoles chez les Salyens de leur parage ; quant à oser lire dans le nom de Gyptis, épouse celte du fondateur mythique de Massalia, le nom du vautour (gyps), « La Vautouresse » en grec… L’oiseau de mauvais augure étant obscène par essence, nous n’insisterons pas.
Il demeure évident qu’au-delà des parentés unissant les peuples de l’ensemble culturel celte, les variantes géographiques sont multiples. Les traditions funéraires, au premier chef, changent au fil du temps ainsi que d’une région à l’autre. L’absence de nécropole remarquée dans le territoire des Salyens prive l’archéologie provençale de l’abondant mobilier funéraire qu’ailleurs on récolte dans les tombes, et laisse planer, faute de rapace, cette question : qu’ont-ils fait de leurs morts ?
CHEZ LES BERBÈRES DE L’AUTRE RIVE
L’Afrique du Nord, pendant de longs siècles, de la fin du Néolithique jusqu’aux royaumes berbères, fut habitée par des peuples très évolués qui n’ont laissé que des traces archéologiques et des monuments funéraires. Ces hommes proto-historiques semblent avoir pratiqués deux principaux rites d’inhumations : secondaire et primaire. Ils ont également parsemé leur territoire d’innombrables dolmens, haouanets et bazinas.
On appelle inhumation secondaire la mise en terre du corps après sa décarnisation ou son décharnement à l’air libre, par les oiseaux carnassiers ou la vermine. Ce rite de décharnement était fréquent dans la région de Constantine où les dolmens sont plus nombreux que dans la France tout entière. La nécropole de Bou Nouara est représentative de ce mode de funérailles ; après avoir été pratiqué sur un millénaire ou plus, il disparaîtra progressivement avec l’arrivée du modèle romain.
À Constantine, s’était conservée la tradition pré-islamique de la « Fête des Vautours » jusqu’aux années cinquante. Le mausolée de l’illustre marabout noir, Sidi M’Cids était l’objet d’une vénération populaire où l’on offrait des viandes aux vautours du Rhummel afin que ces oiseaux transportent jusqu’au ciel les prières des pélerins. Kateb Yacine a écrit un troublant poème sur cette fête païenne.
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Voilà pour ce qui concerne l’article. Pour conclure, j’ajouterai juste que cette tradition tibétaine semble être prise en considération si l’on en croit l’information du (Quotidien du peuple en ligne).
Les funérailles célestes sont pratiquées depuis plus d’un millénaire. Les praticiens célestes offrent une dépouille aux vautours, appelés
« aigles sacrés « . La nouvelle loi est conçue par respect et pour protéger la culture tibétaine. Les praticiens ont fait appel au gouvernement pour que des règlements plus stricts protègent les vautours et la coutume. Ces dernières années, quelques vautours sont morts après avoir mangé des corps infectés ou malades. En vertu des nouveaux règlements, de telles dépouilles ne seront pas autorisées à avoir des funérailles célestes. Et seuls les parents et amis des décédés pourront assister à de telles funérailles. On interdit maintenant aux organismes et aux gens d’exercer des activités qui dérangent les vautours, y compris de faire du bruit, d’employer des appâts chimiques ou de polluer les cours d’eau. Le département des Affaires civiles a recensé 1 075 plates-formes de funérailles célestes et quelque 100 praticiens au Tibet. Pour mieux protéger les vautours, créatures sacrées aux yeux des Tibétains, des tirs d’armes à feu, le dynamitage des montagnes ou l’implantation de mines autour des emplacements de funérailles sont également interdits. Pour la première fois, les règlements soulignent que les praticiens de funérailles célestes devront être considérés comme des professionnels. Ils ne devraient subir aucune discrimination.
Les photos (d’autres sont à voir sur le site que j’ai préféré ne pas mettre par égard pour les âmes sensibles ) viennent de ce site très drôle par ailleurs Zogotounga pour la plupart ou de l’article de Jean Marie Lamblard (Lettres d’Archipel Site et bloc-notes de Jean-Marie Lamblard ; histoires, sciences, fables et énigmes des Méditerranéens. ).
Enfin, j’ajoute que Les funérailles Célèstes est aussi le titre d’un livre de Xinran qui semble très intéressant.
anti
J’ai tout imprimé pour lire cela à oreilles reposées ce soir 🙂 (c’est l’heure du cirque ici !)
Pfiou… Un article tout à fait passionnant par ses ramifications et l’étendue de son traitement.
A relire plusieurs fois !
Bonne soirée studieuse alors les filles !
anti, studieuse aussi.
Plus je plonge dans cette masse d’informations et plus je me régale de sa richesse sans fin.
D’un point de vue symbolique (et quoi de plus symbolique et initiatique que des funérailles) Sapotille, qui en parlait avec Anti, a fait très finement remarqué que ce type de pratiques (disperser le corps en de multiples morceaux, ensuite donnés aux vautours) est le symétrique exact du mythe d’Isis et Osiris (rassembler les morceaux épars du corps d’Osiris pour le ressusciter juste avant qu’il ne parte entier au royaumes des Morts).
Absolument fascinant !
Fascinant aussi, la déesse égyptienne « vautour » Nekhbet, protectrice du Pharaon dont homologue septentrionale était Ouadjet, la déesse-cobra…
Fascinant aussi le lien qui se fait avec le Mythe de Prométhée :
« D’après la Théogonie d’Hésiode, c’est Prométhée qui créa les hommes à partir d’une motte d’argileet qui, malgré l’opposition de Zeus, leur enseigna la métallurgie et d’autres arts.
Après la victoire des nouveaux dieux dirigés par Zeus sur les Titans, Prométhée leur donna aussi le feu, qu’il leur avait dérobé, et entra de ce fait en conflit avec Zeus. Celui-ci, par vengeance, le fit enchaîner sur le mont Caucase pour y avoir chaque jour le foie dévoré par un aigle.
Héraclès le délivra au cours de ses douze travaux mais pour ne pas déroger au serment de Zeus qui avait juré que le Titan resterait à jamais enchaîné au Caucase, Prométhée dut porter durant toute sa vie une bague de fer provenant de ses chaînes, accolée à un morceau de pierre du Caucase.
La légende de Prométhée laisse supposer que les Grecs anciens avaient découvert que le foie est l’un des rares organes humains à se régénérer spontanément en cas de lésion.
Prométhée devint immortel grâce au centaure Chiron : celui-ci, blessé accidentellement par les flèches empoisonnées d’Héraclès, ne supportant plus la souffrance mais ne pouvant ni guérir ni mourir, troqua son immortalité contre sa mortalité, avec l’autorisation de Zeus. Ce dernier était, en effet, reconnaissant envers Prométhée de lui avoir prédit que s’il avait épousé la néréide Thétis, le fils qu’ils auraient eu ensemble aurait été plus puissant que lui et l’aurait détrôné. »
anti
Un complément en ce qui concerne la Tradition Egyptienne:
Le dépeçage d’Osiris avait été commandité par Seth, jaloux de son frère, il le fit enfermer dans un Cercueil lors d’un festin donné en son honneur. Les participants qui avaint suivi Seth dans son stratagème le dépecèrent ensuite et jetèrent ses morceaux dans toutes les directions. Important: La Tradition dit que chaque temple principal est détentrice d’une partie de l’Osiris. Ainsi, par exemple, la tête se trouve à Abydos.. (Le voyage de la barque sacrée d’un temple à l’autre suivant toute l’année à un sens vraiment initiatique.)
…et pour être complet sur ce mythe, ajoutons qu’Isis a retrouvé tous les morceaux de son frère-amant adoré sauf son pénis, qui devait être une bien belle pièce puisqu’elle le surnommait « le talisman ».
Pour résoudre le problème, elle lui en a donc fabriqué un tout neuf en argile et grâce à ses talents de magicienne, il a très bien fonctionné puisqu’elle s’est retrouvée enceinte du petit Horus.
Anna, y a qu’à faucon
yes.. pour un faucon, çà vaut l’dé tour…
et voici donc Horus, né en partie de la glèbe, comme nous les zumains… est un peu plus proche de nous que toutes ces émanations divines tellement éthérées….. ses ailes portent nos ascensions célestes et il nous protège, comme la pensée et le corps protègent.. l’âme?
…et synchronisation parfaite avec Anti sur ce sujet également, comme tu le verras en découvrant sa prochaine note en cours d’écriture en ce moment même, hé hé
Anna, quel horus est-il ?
héhé.. Seth heure , 3 Min ;-), euh.. 4 Min, euh.. 5 Min..
ah! MIN
sapote au sethième ciel! lol
Déjà ? Moi qui croyais que c’était Isis et maintenant…
🙂
Aah ! Antiweylle ! Ashtention ! Bon, allez, zou ! demain est un Hédjour !
anti, Ish(fait)tar.
En ce triste jour, je suis venu pour la première fois lire ces « Funérailles célestes », qui me touchent d’autant plus que ma compagne a été enterrée au Caire, que j’ai quitté fin 2007…
J’imagine un oiseau traversant la Méditerranée et venant lui souhaiter son anniversaire de ma part, une rose rouge dans le bec, qu’il déposerait délicatement sur sa tombe.
C’est un jour bien curieux que celui-ci, l’anniversaire posthume.
Le premier anniversaire de Michel m’a laissée complètement désemparée. Il arrivait beaucoup trop tôt après sa disparition. Pour moi qui considère un anniversaire comme une victoire, puisqu’on fête une année révolue, force était de constater qu’il y avait eu défaite, fatale.
Je suis de tout coeur avec toi qui nous encourage à profiter pleinement du bonheur et de la chance que nous avons de pouvoir partager nos jours avec l’être aimé.
Je constate que tu as vécu avec une verseau au passage…
anti
Cher Ramses, cet oiseau, tu l’as envoyé puisque tu l’as vu. Ton aimée est vivante en toi à jamais.
Votre coeur unique palpite de tout l’amour que vous partagez, bien au-delà de la fragilité des corps.
Pensées affectueuses
Merci, mes amies, du fond du coeur.
Vos pensées me touchent particulièrement.
Oui, Anti, une verseau comme toi. Et j’ai pu apprécier combien elle était toujours tournée vers les autres, préférant donner que recevoir.
Elle m’a donné de grandes leçons de vie et de courage, qui m’aident à passer les caps difficiles et toujours regarder « devant ».
J’avais vu une fois un reportage à la télévision sur ce sujet, pas très connu, il est vrai. Mais à lire l’immense page ; il est bien plus fréquent qu’on pourrait le penser.
En tout cas, la symbolique est très belle, et l’expression « funérailles célestes » me laissent dans une sorte d’émerveillement sacré.
Merci Anti pour cette vaste documentation (à revoir pour les détails).
Merci à toi Kathy, le documentaire dont tu parles devait être vraiment intéressant. Malheureusement, je n’en retrouve pas la trace.
anti
Pour compléter l’article, voici un texte issu du magazine Géo n° 54 d’août 1983 :
Rituel mortuaire tibétain, les funérailles célestes qui sont présentés ici n’ont pas été « orchestrées » pour satisfaire la curiosité singulière de quelques voyageurs ou journalistes en mal de sensation.Elles se déroulent chaque jour à Lhassa, aussi banalement que se déroulent, chez nous, enterrements ou incinération. Issu de la nuit des temps (il existait, semble-t-il chez nos ancêtre les Gaulois) ce rituel, unique au monde, est pourtant menacé de disparition. Malgré le caractère parfois choquant de certaines photos, de faire l’écho de cette cérémonie qui appartient incontestablement au patrimoine culturel de l’homme. Et qui illustre, mieux que de long discours, la vision du monde qui prévaut l’âme tibétaine.
Dans la capitale Lhassa, en plein cœur du Tibet, où il vit, Tchampa, « le compatissant », se livre chaque jour au même travaille. Vers quatre heure du matin, alors que le soleil n’est pas encore levés, il prend à l’est la route qui conduit au monastère de Sera. Après une heure et demi de marche, il atteint une colline connue ici sous le nom de Serashar, ce qui signifie « au levant de Sera ». Et là, au pied de la Hauteur, Tchampa perpétue une tradition unique au monde: les funérailles célestes. On peut lire en France , dans de vieux grimoires, des récits de voyageurs qui avaient traversés le Tibet au début du siècle et rapportaient l’histoire de ces rites funéraires difficiles à comprendre pour un occidental. Une fois à Lhassa, notre première tâche est de trouver un de ces officiants que l’on appelle ici « ragyapas », les « faiseurs de cadavres ». En fait cette appellation est impropre. Leur véritable nom est « topdén », sages, et il suppose une connaissance profonde du processus de la mort. Car pour le bouddhiste, le corps humain est composé des quatre éléments de la matière: la terre, l’eau, le feu et le vent. Éléments qui soutiennent le corps comme des piliers. Sur le point de mourir, l’homme ne peut plus bouger car le pouvoir de l’élément terre est aboli. C’est alors que l’élément eau se manifeste et le moribond à l’impression de flotter dans une masse liquide. Puis progressivement, le corps s’assèche, l’eau laisse place à l’élément feu et le mourant sent qu’une fumée légère l’enveloppe. Petit à petit la chaleur du corps se dissipe. Si elle se dirige vers le bas, c’est signe d’une renaissance malheureuse sous forme d’animal ou de démon, si elle se dirige vers le haut la personne revivra comme un dieu, un demi-dieu ou un homme.A ce stade, l’esprit n’est plus supporté que par l’élément vent et l’agonisant voit des lueurs danser autour de lui. La respiration s’arrête après la disparition du vent. C’est la mort du corps physique et grossier mais l’esprit, lui, continue de vivre dans ce que les tibétains nomment « l’air subtil ». La conscience du défunt s’estompe et se dissout en une douce ataraxie (quiétude) qui dure, croit-on, de trois jours et demi à quatre jours. Un lama officiant entre alors en action. Il prépare le mort au bardo, l’état transitoire de quarante-neuf jours qui précède sa prochaine renaissance. Il lui récite à l’oreille les instruction du livre des morts tibétains afin qu’il renaisse dans des conditions favorables. Puis on appelle un « lama extracteur du principe conscient » pour faciliter la séparation du corps et de l’esprit qui doit s’échapper par « l’ouverture de brahma » située au sommet de la tête. Il prononce des formules pour provoquer cette ouverture et, pour aider le « passage », va même jusqu’à enlever des cheveux à cet emplacement. Les modes funéraires au Tibet sont liés à cette représentation du corps et de la mort. Ils symbolisent le retour du corps dans l’un de ses quatre éléments: l’inhumation est le retour à la terre, l’immersion à l’élément eau, la crémation à l’élément feu. Et les funérailles célestes à l’élément vent. Théoriquement un lama astrologue choisit le mode funéraire.
Dans la pratique, l’adoption de tel ou tel mode dépend du statut social du mort ou des circonstances de son décès. Elle varie aussi selon les régions car au Tibet central le manque de bois limites les familles qui peuvent assumer les dépenses d’un bûcher. A l’est du pays, très boisé, on incinère tous les mort. A Lhassa, l’inhumation est réservée aux personnes morte d’une maladie contagieuse et on immerge dans les torrents les enfants mort en bas âge (moins d’un an). Reste donc pour la majorité des défunts , le rituel des funérailles célestes, dont les maitre d’œuvre sont Tchampa et ses pairs. On peut les rencontrer, non sans difficultés, au célèbre temple de Ramoché, qui communique, dit-on, aux enfers et au palais de cristal des Nagas, dragons aquatiques des profondeurs de la Terre…
Tchampa vit dans une pièce voisine de la chapelle. Les premiers contacts sont difficiles, il se méfie de l’intérêt que les « étrangers » portent à son métier. Il dit que le rituel qu’il accomplit a souvent été utilisé en Chine à des fins politiques. La propagande chinoise s’en sert pour stigmatiser la pseudo-sauvagerie des Tibétains et pour conforter les Chinois dans leur mission civilisatrice du Tibet. Une fois la confiance établie, il parle sans contraintes: « Les funérailles célestes vont s’éteindre et mon métier aussi. Il ne reste à Lhassa qu’une dizaine de dépeceurs. On nous considère comme une caste vile. Mon fils ne reprendra pas le flambeau. D’ici une une vingtaine d’années (sur les coups de l’an 2000), la cérémonie aura disparue. » Il explique ensuite son déroulement. Le troisième ou quatrième jour après le décès, la famille du défunt vient quérir Tchampa pour apprêter le mort qu’il dénude et dont il lie les membres en position assise, à la manière des momies. Puis il enveloppe le cadavre dans un tissu de laine blanche, le phrug. Le lendemain, dès l’aube, selon la tradition, l’héritier de la famille porte le mort jusqu’au seuil de la maison. Là Tchampa prend en charge le corps qu’il mène souvent sur son dos, quelquefois en charrette, sue l’aire de découpage (il en existe deux près de Lhassa). Enfin, il dépose le cadavre sur l’autel. L’autel est une énorme dalle rocheuse surélevée artificiellement où reposent trois corps emballés de blanc. Sur les crêtes environnantes, des vautours, déployant leurs ailes immenses, attendent déjà, vigilants, le geste familier de leurs « complices » humains. Prés de l’autel, les dépeceurs sont réunis autour d’un feu de branches de pin et de cyprès qui attirent, disent-il, les oiseaux sacrés. Ce spectacle donne l’impression d’un sacrifice imminent et on ne peut s’empêcher de songer au rituel du tcheu (couper), introduit au Tibet par le saint indien Phadampa au début du XIIème siècle et qui coïncide avec l’apparition dans ce pays de la coutume du découpage des morts. Certains ne peuvent se résigner à ne voir dans ces funérailles célestes qu’un moyen pour se débarrasser des cadavres dans une régions où le bois est rare. Tout, dans cette cérémonie, se prête à des interprétations ésotériques, même si les explication données par les dépeceurs demeurent simplistes. Mais après tout, l’origine de la coutume se perd dans la nuit des temps et son symbolisme peut ne plus être connu par ceux-là mêmes qui la perpétuent. Les officiants prennent un repas de thé au beurre et de la tsampa, farine d’orge grillée, qui précède la cérémonie. Pendant les préparatifs, l’un des dépeceurs allume de petits feu de genévriers, puis verse de la tsampa sur les cendres pour guider l’âme du corps vers le ciel. Les autres affûtent soigneusement leurs outils de travail: couteaux à découper la chair (sha-gri), à la forme finement courbée, et couteaux à découper les os (rus-gri), à lame droites et épaisses. Enfin les dépeceurs se rendent à l’autel et dénudent les corps. Tout va ensuite très vite. Le cadavre est couché sur le ventre et Tchampa ouvre, d’un seul coup, toute la longueur du dos au niveau de la colonne vertébrale.
Il utilise d’abord son couteau à découper la chair et dissèque entièrement le corps. Les morceaux de chair s’empilent autour de lui. Tchampa saisit son couteau à découper les os et tranche les articulations. Deux participants broient au fur et à mesure les os et la chair en les martelant avec de grosses pierres. Puis mélangent le tout à de la tsampa. Du cadavre maintenant il ne reste plus que la tête, dernière partie du corps à être travaillée. Tchampa arrache les cheveux et les oreilles. C’est le moment fort de la cérémonie. Tchampa place le crâne enveloppé de tissu dans une cavité spécialement aménagée dans le roc. Il s’empare d’une grosse pierre qu’il élève à bout de bras puis se fige. Il se recueille et ânonne la formule sacrée: « Om Mani Padma Hum » pendant plusieurs minutes. Puis il précipite violemment la pierre sur le crâne. Protégés par le tissu, les éclats de boite crânienne ne se dispersent pas. Si quelques débris s’échappent, on s’empresse de les rassembler, car c’est mauvais signe. L’examen des fragments du crâne commence, car il s’agit de savoir si le « principe conscient » est bien sorti. Tchampa recherche un petit trou (l’ouverture de Brahma) dans les os. En fait il est assez rare d’en trouver. Pendant se temps les broyeurs ont continué leur méthodique besogne. Ossements et chairs sont enfin amalgamés en boulettes afin de faciliter le travaille des vautours car le cadavre doit disparaitre totalement si l’on veut que l’âme soit tout à fait libérée. Dernier stade : pour que les rapaces ne les égaillent pas, les boulettes de chair sont attachées à de lourdes pierres au centre de l’autel ; puis tout le monde quitte le rocher. Tchampa claque des doigts. A ce signal, c’est la cohue. Les vautours qui s’étaient rapprochés pendant la cérémonie s’abattent sur les masses informes. Les festin est rapidement consommé par ces oiseaux sacrés que les Tibétains respectent pour le rôle qu’ils tiennent lors du rituel. Les dépeceurs remballent leurs outils, puis comme ils possèdent quelques connaissances anatomiques, ils discutent des causes de la mort qu’ils ont cru déceler dans l’observation des cadavres. Les funérailles célestes sont finies. Le corps est retourné au vent. Dans la vision bouddhique, en effet, l’être humain ne connait qu’un bref passage sur cette terre et, à la mort, l’enveloppe charnelle n’est qu’un vêtement dérisoire que l’on abandonne pour en vêtir un autre dans une vie future.
Source : http://membres.multimania.fr/freetibet/culture/rituel.html
anti
Un complément très intéressant, merci.
Dans le livre que je suis en train de lire : » Ainsi vont les enfants de Zarathoustra » ; il y a un croquis de la tour. Il est dit : « Les tours du silence sont des édifices ronds, construits en pierres massives dont le centre est vide et forme un puits profond. Les nasalars (ceux qui transportent les défunts) « accèdent au sommet de la tour par un escalier de fer qui débouche sur une plate-forme circulaire. C’est ici que se trouvent les trois rangées keshs (dalles) sur lesquelles les corps sont exposés pour être livrés aux rapaces. Les « nasalars »(ceux qui transportent les défunts) accèdent aux dalles par des passages ou pâvis. La division correspond aux trois principes moraux de la religion : « Bonnes Pensées, Bonnes Paroles, Bons Actes. » Dans la pratique, le premier rang est réservé aux hommes, le deuxième aux femmes et le plus rapproché du puits est destiné à recueillir les corps des enfants. Le puits central qui reçoit les derniers vêtements et les ossements est conçu de façon à ce que rien ne vienne souiller la terre. L’intérieur du puits est creusé de trous qui communiquent avec quatre canaux, situés au pied de la « dakhma » (tour), permettant aux eaux de pluie de s’écouler (ne pas négliger les pluies diluviennes de la mousson). Ces canaux aboutissent à des puits souterrains dont le fond est recouvert de sable. De plus, des morceaux de charbon et de pierres à sablon, renouvelés régulièrement, séparent les canaux des puits. On procède donc à un double filtrage pour que les eaux souillées par les squelettes et les linceuls retournent pures à la terre. Ce système est destiné à ce que la tour du silence, siège de corruption, garde en elle la souillure et ne la propage pas. Tout est prévu pour observer le précepte de l’Avesta : « La terre, notre mère, ne sera pas souillée. »
Le gros problème c’est que les vautours meurent et que les croyants n’ont plus assez de rapaces pour dépecer les corps. En plus les corps des personnes qui ont pris des médicaments sont néfastes pour ces oiseaux qui se trouvent considérablement affaiblis.
« Si les tours du silence disparaissent, la religion connaîtra le même sort. »
Ce rite est obligatoire pour les Zartushtis et ils savent que leur fin approche car ils ont enterré des rouleaux concernant tout ce qu’ils ont de plus précieux dans différents domaines pour que ceux-ci ne soient mis à jour qu’en 2200.
(informations tirées du livre de Monique Zetlaoui « Ainsi vont les enfants de Zarathoustra ».)
Intéressant. Merci Kathy de contribuer à enrichir cet article.
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