Laisse moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j’entends dans tes cheveux! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco..
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques, il me semble que je mange des souvenirs.
Charles Baudelaire
Anti vient de me faire passer ce texte sublime, après en avoir parlé sur le fil de Monilet.
J’ai ajouté une photo. Elle montre la constellation nommée « la chevelure de Bérénice » (source NASA).
C’est curieux comme cette photo me fait penser à une photo d’embryon où l’on verrait la circulation sanguine, la vie qui va, qui vient, les échanges gazeux, l’infiniment petit et l’infiniment grand.
Magnifique poème que je suis bienheureuse de relire aussi.
anti
Trés beau poème que j’ai eu plaisir à relire.
« l’infiniment petit et l’infiniment grand »
… microcosme et macrocosme 🙂
« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas »
(Hermès Trismégiste)