Notre ami Phil vient de me faire parvenir un nouveau billet où il parle de l’une de ses activités extra-professionnelles pas comme les autres…
J’ai hésité très longtemps (trois ans, en fait) pour parler en public de ce que je fais le mardi.
Je fais danser et rire les mourants.
Je ne suis pas seul. Depuis 3 ans, je suis avec les 3 fées qui étaient dans le dessin animé de la Belle au Bois dormant. Elles sont petites, roses et souriantes. Et, habillés comme des fracasses, on chante, on danse, on distribue les bises et les caresses au royaume des mourants.
Pourquoi ai-je hésité ? Pourquoi en parlé-je maintenant ? De quoi s’agit-il en réalité ?
Les trois clownettes sont des volontaires (Crakote, Farine et Confetie) laïques. Certaines fréquentent assidûment depuis 20 ans les couloirs pudiquement appelés « longue durée » dans les hôpitaux. Pour parler vrai, les gens qui sont dans ces lits n’en sortiront pas vivants.
Ne commencez surtout pas à penser « holalââââ ! C’est la Mort ! C’est trop triste. Je ne lis plus ceci car, forcément, cela va me plomber la journée. »
Comme tous ceux que nous avons rencontrés le 9 Septembre à Antigone des Associations, les visages – au début hilares en voyant nos clowneries et chansons dans la rue – se décomposent, prennent soudain une grimace tragique et compatissante et murmurent : »holàlàààà, heu… c’est formidable ce que vous faites, mais moi – heuuuu… – je ne pourrais jamais parce que je suis trop sensible et c’est trop triste ».
Si on analyse cette phrase récurrente, on trouve quoi ?
C’est formidable ce que vous faites
Hé bien, non. Nous n’avons aucun mérite et vous allez voir pourquoi. Nous avons juste appris quelques chansons, virevoltons, valsons, rockons dans les chambres ou les couloirs, puis distribuons des gentilles caresses sur les mains et les dos des humains allongés ici. Quel mérite ? Chanter, danser, rire et caresser sont-ils des actes courageux ? Se font-ils sous la mitraille et les bombes ?
Non, pas vraiment. Il ne faut aucun courage, aucun héroïsme pour faire cela. De plus, les câlins doux, les gentils mots que nous avons en retour sont MILLE fois le peu (très peu) que nous donnons. En fait, nous croyons donner, mais nous sommes submergés par la tendresse et des mots d’amour comme on en entend peu.
Je ne pourrais jamais
Cela aussi est une phrase récurrente, issue du conditionnement. Récemment, nous avons invité une neuropsychiatre à venir avec nous. Son métier principal consiste à expliquer à certaines infirmières qu’elles doivent considérer les gens couchés comme des humains (frères et sœurs en fin d’existence) et non pas comme un simple corps à laver, sans dialogue, qu’elles devraient frapper à la porte et non pas faire irruption dans une chambre comme si c’était une zone publique, etc. etc.
Elle aussi était grave, s’habillait en noir et pensait que dire « Ça va bien ? » à un mourant était une bonne idée. La neuropsychiatre est repartie, les yeux arrondis en nous disant, plusieurs fois par mail après : « Tant de joie, tant de joie… ».
C’est trop triste
Non.
C’est l’inverse.
Cette phrase est également issue d’un conditionnement terrible : la Mort est triste.
Mais c’est un débat historique de récente culture occidentale que je ne souhaite pas ouvrir ici.
A-t-on besoin de quelque chose ?
Oui et c’est pour cela que je lève le voile du silence sur cette activité.
Vous l’avez compris, c’est une passion. Née de la compassion. Celle-ci s’exerce dans le cadre d’une association (« Vie & Animation ») qui est l’association qui finance les animations dans quelques hôpitaux. La Crise est passée par là (sans blague ?) et assèche nos financements.
Parmi eux, Sanofi qui arrête toute son aide, à notre grand dam. On ne pourra pas rénover le vieux camion-bus avec lequel on emmène ces braves gens vers d’autres horizons que ceux des rideaux métalliques de leurs chambres. On ne pourra plus faire venir des guitaristes, chanteurs anonymes pour murmurer les vieilles complaintes qui font bouger leurs pieds ridés.
Comment faire pour trouver des sous ? La question vous est posée. Toute aide, tous conseils sont bienvenus.
Bises à tous et toutes.
Et si vous voulez venir avec nous partager cette expérience bi-hebdomadaire de joie pure, n’hésitez pas à nous contacter.
Phil
contact@polysons.eu