J’ai lu ce ce matin ce témoignage de Patrick Thomas que je trouve très beau et j’ai envie de le partager avec vous tous ici. Belle leçon de vie.
On lui a dit qu’il ne « finirait pas 2012 ». Lui pense qu’il n’en a plus que pour « quelques semaines ». Cancéreux en phase terminale, Patrick Thomas a appelé notre rédaction : « Je veux témoigner… »
On prend congé, et il s’installe en robe de chambre et pantoufles sur un tabouret de pêche, devant la porte de sa maison de Geispolsheim. Il fait à peine six degrés, le soir commence à tomber. Il s’allume un cigarillo. Pendant l’heure et demie qu’il nous a consacrée, Patrick, 58 ans, n’a cessé de se lever et de se rasseoir, tout en parlant. Assis, il se penchait rapidement en avant, se tenant le ventre ; puis il marchait un peu, s’accroupissait, se rasseyait de nouveau. « J’en ai marre d’avoir mal ! C’est du 24 heures sur 24… Hier, ça allait mieux, mais aujourd’hui, j’ai beau prendre le traitement… »
C’était dans son salon. Face à lui, Raymonde, celle qui partage sa vie depuis bientôt trois ans. Celle qu’il surnomme « la tendresse ». Et dont le seul regard justifie le surnom.
Face à lui aussi, un mur avec des photos. Les images de celui qu’il était il y a quelques mois encore : un type musclé, moustachu, ancien prof et champion de karaté. Le style fan de Johnny, ce qu’il est vraiment, d’ailleurs : dans son garage sont alignées des séries de portraits sculptés du chanteur… Car Patrick est aussi artiste-artisan : « Staffeur, mouleur, sculpteur », précise-t-il, « maître ouvrier, compagnon du Tour de France ». Il a travaillé sur le palais de Saddam Hussein, à Bagdad. C’était en 1990. Il a même été l’un des fameux « boucliers humains » occidentaux… « Le boulot, c’est ce qui me manque le plus. Moi, je bossais tout le temps, je ne prenais jamais de vacances… »
Ceci n’est pas si vieux, mais ceci file à toute allure dans les fosses du passé. L’homme a fondu. « Je faisais 82 kilos, j’en fais 64… » Il s’est voûté, s’est creusé, a perdu de sa superbe, pas mal de ses cheveux, mais son regard est toujours généreux. Il y a quelques jours, Patrick a appelé la rédaction de L’Alsace : « J’ai un cancer, je n’ai plus que quelques semaines à vivre, et je voudrais témoigner… » On lui demande quand on peut le voir, et il répond, avec cette gouaille de titi parisien qu’il se fera un point d’honneur de conserver jusqu’à la fin : « Quand vous voulez ! J’ai tout mon temps… Il faut prendre le temps de vivre, hein ? »
On peut dater le début de sa fin : c’était au mois d’octobre 2010. Il a mal à l’estomac. On découvre un cancer au pancréas, on lui enlève une tumeur. Mais c’est déjà l’emballement. Ça métastase à qui mieux mieux. En septembre 2011, on lui retire 80 % du foie et un morceau d’intestin. « Le docteur m’a dit que je ne finirai pas 2012. Moi, j’aimerais tenir au moins jusqu’aux élections… »
Ces jours-ci, pour Patrick et sa « tendresse », les minutes durent très longtemps. Elles ont une densité rare. « J’ai peur de l’après, confie Raymonde. C’est après que je vais craquer. Là, il faut en profiter jusqu’au dernier moment, il faut que je sois là pour lui. Des fois, je vais pleurer un bon coup à l’étage, et après ça va mieux. On profite de tous les moments ensemble. »
« Le soir, elle me force à manger, mais dès que je mange, ça me donne envie de vomir…, raconte Patrick. Mais c’est pas pour ça qu’on va s’engueuler, hein ? Ça sert à rien. C’est tellement simple de se faire un câlin, un petit bisou… C’est tellement bon, tellement beau… Je gamberge pas. Le soir, on s’endort en se tenant la main. »
Patrick ne veut perdre aucun de ces instants, et dans le même temps, il voudrait que ça se termine : « Va falloir que ça s’arrête. Mais de là à le faire moi-même, non… C’est fatigant… J’aimerais bien dormir une nuit complète de sept heures, c’est pas possible… C’est dommage qu’on ne puisse pas dire à un médecin : ‘‘On arrête les frais !’’ Je le ferais, si je pouvais. J’aimerais bien qu’on me pique. Je serai content de ne plus souffrir. Je souhaitais ne pas me réveiller, lors de l’opération pour le cancer du foie. Je me suis réveillé quand même… »
Il le dit, le répète, et on ne sait s’il ne s’en persuade pas autant qu’il ne le souhaite : la fin est proche. « Je ne suis peut-être pas normal, mais ça ne me fait pas peur. Je n’ai jamais eu peur de la mort, pas plus maintenant qu’avant. À la limite, ça m’intrigue : je suis curieux de voir ce qui se passe derrière… » Dieu, les anges, le paradis ? C’est pas le genre. « J’ai reçu une éducation religieuse, mais je suis athée. Ce que je sais, c’est qu’à ma place de mort, je n’aurais plus à m’inquiéter de quoi que ce soit. Non, c’est pour ceux qui restent que ça m’ennuie. Je n’aimerais pas être à leur place… »
Dans ces derniers jours, Patrick s’efforce de régler les problèmes, pas simples, de son ménage avec celle d’avant Raymonde. Elle, « la tendresse », il est prévu qu’elle aille vivre chez sa fille…
« Moi, j’ai bien vécu, poursuit Patrick, en bougeant dans la pièce, dans la mesure où je n’ai jamais été méchant. Quand on avait besoin de moi, je ne me suis jamais débiné. On m’a plus fait de mal que je n’en ai fait. »
Patrick l’artisan et Patrick le karatéka ont laissé place à Patrick le philosophe. « Faut prendre les choses du bon côté. On n’a pas le choix, on part quand même, ça sert à rien de se morfondre. Faire souffrir son voisinage, c’est pas bien. La mort, c’est comme la vie… On part comme on est venu au monde. On n’est pas éternels, on y passera tous… Oh oui, la vie est belle ! J’aurais dû m’en apercevoir avant : j’ai toujours bossé comme un malade, je regrette un peu de ne pas avoir plus profité des plaisirs de la vie. J’ai bien vécu, mais je ne me suis pas assez amusé, j’étais peut-être trop sérieux. Si c’était à refaire, j’irais plus souvent en vacances… Je dis aux gens : ‘‘Prenez le temps de vivre, ne courez pas… Vous loupez le train ? Prenez le suivant, y a pas mort d’homme’’… »
Humour ? Noir, mais humour quand même. Encore maintenant, Patrick et sa « tendresse » n’oublient pas de sourire, voire de rire, dès qu’une mince occasion se présente. De se taquiner comme toujours. On ne pense pas à la séance de chimio prévue le lendemain, à la dégradation lente, qui peut se faire soudaine d’un moment à l’autre.
« Quand on est mort, je me dis qu’on est au-dessus, et qu’on essaye de protéger les gens en dessous. Je lui ai dit, à la tendresse : quand je serai parti, tu vas sentir près de toi des caresses, des souffles, comme des effleurements… » Elle rétorque : « Mon grand-père m’avait dit : ‘‘Je reviendrai te dire comment c’est de l’autre côté’’, il l’a pas fait… » « Il est pas loin, assure Patrick. Ça va arriver, tu verras… »
le 28/01/2012 à 05:00 par Hervé de Chalendar Photos : Dominique Gutekunst – source L’Alsace.fr
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Un témoignage très émouvant et très fort… Une leçon, en effet.
Merci à Patrick d’avoir décidé de partager tout cela avec le plus grand nombre.
C’est simple et courageux.
Ce témoignage me fait penser à l’histoire de Paul-Emile Victor.
Paul Emile-Victor, l’explorateur polaire, scientifique, ethnologue, … était athée. Il avait dit à sa femme avant sa mort : « Je pars dans le vent et probablement vers le néant. Mais si ce néant s’avérait être un trésor, je me battrais contre les puissances des ténèbres pour faire entendre ma voix enrichie de cette expérience nouvelle, pour vous dire la promesse que j’aurais arrachée au silence… »
La dépouille de Paul-Emile Victor fut emmenée sur un bateau de la Marine entourée des officiel pour être immergée en pleine mer.
C’est alors que Colette rapporte ceci :
« Soudain, avertie par ma nièce, Anne, je levai les yeux au ciel dans la direction qu’elle m’indiquait. Je vis alors, incrédule puis bouleversée, le signe éclatant que Paul-Emile nous envoyait de l’au-delà. Dans l’immensité de ce ciel dégagé, un seul nuage dessinait les contours parfaits d’un coeur entouré d’une spirale. Le centre du coeur était le ciel même, d’un bleu vertigineux, et son contour était blanc comme la neige de l’Antartique. C’était prodigieux ! Il émanait de ce coeur une incroyable volonté de communiquer ! Il semblait nous ouvrir à une autre dimension.
Ce coeur dans le ciel resta intact toute l’heure que dura notre voyage jusqu’au point d’immersion, ce qui est déjà en soi un pur miracle, car un nuage isolé est généralement un phénomène assez furtif dans les îles Sous-le-Vent. Tout le monde sur le bateau en fut témoin, et mon neveau, qui, malgré l’interdiction, avait emporté un appareil photo et une caméra, put même le photographier et le filmer.
Je mets ce témoignage qui pourrait aider Patrick ; il est tiré du livre que Colette Victor : « Le coeur d’un couple ».
Magnifique extrait Terrevive. Cela me fait penser aussi aux témoignages de manifestations météorologiques qui ont lieu lors des crémations de grands lamas, considérés comme faisant partie des signes auspicieux divers pouvant se manifester à ce moment là.
Oui, un grand merci à Patrick pour son témoignage.
« Cela me fait penser aussi aux témoignages de manifestations météorologiques qui ont lieu lors des crémations de grands lamas, »
Oui, tout à fait ! C’est amusant, en lisant ce témoignage aussi beau qu’impressionnant de Colette Victor, je n’avais pas fait le rapprochement, qui est pourtant évident.