Ce matin Anna nous faisait une jolie petite note sur les mots de Robert Notenboom, en reprenant une partie de la conférence donnée au SIEL de Paris hier après-midi. Je vous propose de poursuivre cette belle envolée de palabres avec les mots de notre Pinson déplumé préféré, dit Kasimir, de son vrai prénom Robert.
Action !
Des cailloux et des mots, par Kasimir dit Pinson déplumé.
N’êtes-vous pas amoureux des mots ?
Ils sont, dans notre bouche, comme des cerises à l’eau de vie.
C’est par eux que nous nous relions.
Comme le cordon ombilical relie le foetus au coeur de sa mère.
Même si nous les écrivons seulement, avec une plume ou un clavier : peu importe.
Ce sont eux qui établissent entre nous une circulation vitale.
Nous les échangeons comme des trésors que nous partageons,
dont nous nous enrichissons les uns les autres en les mettant en commun.
Nous sommes riches des trésors de tous.
N’ êtes-vous pas amoureux des cailloux ?
Nous les rencontrons le long des rivières, sur les plages, dans les montagnes.
Ce sont des morceaux d’étoiles qui nous attendent.
Alors j’ai eu un jour envie de faire un petit poème pour dire mon amour des mots et mon amour des cailloux : il me semble que c’est le même !
Ah ! Vous tous les cailloux, vous êtes vraiment choux,
Je vous trouve aussi beaux que les yeux des hiboux,
J’aime vous manipuler : vous êtes mes joujoux,
Je voudrais vous tailler, faire de vous des bijoux,
Devant tant de beauté, oh moi le pauvre pou,
Pour mieux vous admirer, j’userais mes genoux.
Parfois vous êtes ronds, parfois vous êtes pointus,
En général très durs, on pourrait dire têtus,
Vos peaux peuvent être douces, mais sont parfois grenues,
Parfois elles sont lisses, parfois presque velues,
Aussi, pour vous connaître, je me mets les pieds nus
Et amoureusement je vous marche dessus.
Si j’avais de la place dans ma petite maison,
Je ferais avec vous une grande collection
Vous rangeant par couleurs, par formes, par dimensions,
Par vos lieux d’origine, votre composition,
Ou par l’ancienneté de votre formation,
Et vous auriez le droit à la cooptation.
Une pièce pour les galets, une pièce pour les gypses,
Une pour les pierres taillées, une pour les améthystes,
Une pour les grenats, une pour les porphyres,
Une pour les agates, une pour les saphirs,
Pour les verres volcaniques, pour les météorites,
Pour les tourmalines rouges : les belles rubellites.
Il faudrait d’autres pièces pour les pierres calcaires,
Pour les plus beaux silex, pour les roses des sables,
Et pour l’aigue marine, pour le cristal de roche,
Et puis pour le granit, et pour la houille aussi,
Et encore le diamant, et l’opale, et le marbre,
Le corindon, et l’ambre, le quartz et la topaze …
*
Les mots, comme les cailloux, méritent qu’on les aime
Car chacun d’eux, en vrai, est un petit poème,
Un concentré de sens, une boîte à bijoux,
Tout un morceau d’histoire, et un petit verrou :
En l’ouvrant nous entrons au palais du langage,
Où gisent les secrets des antiques images.
Certains mots sont très longs, et prolongent leur cours,
D’autres très brefs, tels l’if : on ne fait pas plus court !
Certains disent leur naissance au seul bruit qu’ils font :
Ainsi le « borborygme » vient tout droit du colon,
Et, sorti de la gorge, son frère le « gargarisme ».
On entend un grincement quand on dit « rhumatisme ».
La plupart de nos mots sont de Grèce ou de Rome
Mais d’autres nous apportent un exotique arôme :
De l’arabe vient alcool, oued, chiffre, et harem,
De l’hébreu alléluia, tohu-bohu, amen,
Bonzaï et samouraï viennent du japonais,
Alors que macadam nous vient de l’écossais,
Sans parler de cobaye, emprunt au guarani
De pizza et gnocchi qui sentent bon l’Italie,
Comme farniente, mezzanine et tapis,
De tabou que James Cook trouva à Tahiti,
Bref, cent mille « sésames » pour faire que tout soit dit,
Cent mille « jeux » de plus pour l’orgue de notre esprit.
Et comme les cailloux, les mots, par leurs voyelles,
Se parent très souvent de couleurs très belles.
J’en demande pardon au grand Rimbaud Arthur,
Je les sens disposées dans une autre tessiture :
Pour moi, le A est jaune comme un champ de colza,
Le E est aussi blanc qu’une fine dentelle,
Le I du même bleu que le ciel d’Italie,
Le O tout aussi rouge que la crête du coq,
Que son cocorico, et que le coquelicot.
Quant au U, il est vert, je ne sais pas pourquoi !
Bien sûr rien n’empêche un mot d’être multicolore
Comme le colibri, ou comme le sycomore.
*
Les mots et les cailloux ont servi, servent encore,
À maudire, faire la guerre, et à donner la mort.
Mais ils servent aussi à construire des maisons,
À former des adages et à lancer des ponts,
À faire des cathédrales, des sculptures sur les plages,
À forger des récits qui passeront d’âge en âge.
Ainsi font les poèmes, ces bijoux du langage.
Certains sont au musée, et chacun les partage,
Tels ceux de Du Bellay, ou de l’ami Ronsard,
Ceux de la belle Sapho, ceux du grec Pindare,
Ceux d’Omar Khayyâm, ceux de Clément Marot,
Ceux de Georges Brassens, ceux de Victor Hugo.
D’autres resteront cachés, des bijoux « de famille »,
Petits cailloux modestes, poèmes de pacotille,
Mais les musées du monde ne sont pas assez grands
Pour qu’on puisse y ranger toutes les pierres de la terre.
Si l’on cuit de bons plats à La Tour D’Argent,
On peut faire de bonnes soupes dans toutes les soupières.
*
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Illustrations Kasimir
Ah quel régal que ce délicieux florilège !
Merci Kasimir pour tes mots doux 🙂
Que de beaux mots Kasimir ! Je te reconnais bien là.
Bises si tu passes par ici.
waou !!!
je suis épaté de me retrouver chez toi, à une telle place d’honneur
un grand merci
le plaisir de vous voir tous les deux à Paris est pour moi inestimable
je me revois hier soir sortant du salon, arrivant sur le large trottoir
à droite la tour Eiffel dressait sa silhouette légère dans la lumière de cette douce après midi
dominant la Seine
luxe calme et volupté !
et je ressentais une sorte de plénitude, de paix.. on peut appeler ça du bonheur.
J’espère que votre retour s’est bien passé.
à bientôt amis
Eh bien ! Sache que le plaisir est réciproque Kasimir. Merci infiniment d’être venu à notre rencontre pendant ces deux journées.
Les mots rebondissent joyeusement sur les cailloux et l’on a envie d’entrer dans la danse. Merci Kasimir 🙂
Fraîcheur d’esprit et Chaleur de coeur s’aimaient d’amour tendre,
kasimir les unis d’un délicieux poème…
Quel bonheur de te lire Sapotille. C’est beau… Soupir de bien être… Merci 😉