Imaginez que vous êtes parmi les 7000 personnes qui viennent voir un concert de rock au Zénith. Le groupe n’est plus qu’à une demi-heure de son entrée sur scène. Vous êtes encore dehors, dans une file d’attente qui semble interminable. Imaginez la cohue pour tenter d’entrer à tout prix dans les temps.
Ça y est, vous parvenez à passer les différents filtres de sécurité. Vous êtes à l’intérieur. Vous ne voulez pas des gradins, vous avez choisi le parterre pour pouvoir vous approcher autant que vous le pouvez. Plus que quelques minutes et ça va commencer. Des olas traversent la salle immense, des cris fusent de partout.
Soudain, la musique d’ambiance s’arrête. La tension augmente de plusieurs crans et, comme les autres, vous poussez ceux qui sont devant vous pour vous attrouper le plus près possible de la scène. Dans les hurlements surexcités, la mégastar que vous êtes venus applaudir s’avance vers le devant de la scène et salue la foule en délire. Le concert commence.
Stop.
On reprend la même séquence en changeant juste un détail. Ce n’est pas un groupe de rock que vous venez voir au Zénith, c’est le Dalaï Lama, pour un enseignement sur la pratique de la méditation.
Vous êtes parmi les 7000 privilégiés qui ont eu la chance d’avoir des places. Il est 9h du matin et il ne reste qu’une demi-heure avant que ça commence. Vous êtes encore dehors, dans une file d’attente qui semble interminable. Et pourtant, imaginez un calme parfait. La file s’étire sur plusieurs centaines de mètres mais il n’y a aucune bousculade, aucun énervement, aucun débordement. La queue se résorbe comme par miracle.
Ça y est, vous passez les différents filtres de sécurité. Les personnes du service d’ordre sont souriantes, vous disent bonjour, vous indiquent de façon détendue comment passer sous les portiques en mettant de côté vos objets métalliques. Tout est parfaitement organisé, il n’y a aucun retard sur l’horaire prévu. Vous êtes à l’intérieur largement dans les temps. Vous ne voulez pas des gradins, vous avez choisi le parterre pour pouvoir vous approcher autant que vous le pouvez. Plus que quelques minutes et ça va commencer.
Plusieurs dizaines de moines et moniales sont déjà assis sur scène de part et d’autre. La salle bruisse de murmures discrets, les sourires sont sur tous les visages, chacun reste à sa place en respectant les couloirs de circulation dessinés sur le sol.
Soudain, la musique d’ambiance – des chants tibétains – s’arrête. Tout le monde se lève et cesse de parler. Le silence est total, il n’y a plus un mouvement. Au bout de quelques minutes immobiles, le Dalaï Lama s’avance vers le devant de la scène et salue la foule d’un petit geste tout simple, avant d’aller prendre place sur la chaire d’où il va parler.
Il fait le clown avant de s’assoir, faisant mine de perdre l’équilibre. Tout le monde rit. Il nous fait signe de nous assoir. Le silence revient. L’émotion est immense.
L’enseignement commence. Il va se dérouler sur quatre demi-journées et être prolongé, le troisième jour, d’une conférence publique sur l’art du bonheur.
Lors de la première matinée, en sus des moines bouddhistes se trouvent des frères bénédictins. Le Dalaï Lama les remercie de leur présence. Il veut œuvrer pour l’harmonie entre les différentes croyances, y compris l’absence de croyance. Son message se veut universel, qu’on croit en un dieu, en plusieurs ou en aucun. Il nous parle avec érudition de l’histoire du bouddhisme, de l’arrivée de cette vision du monde au Tibet, des multiples variantes qui sont apparues, de leur unité fondamentale. Il émaille son récit d’anecdotes personnelles, toujours drôles, souvent émouvantes.
Il s’exprime la plupart du temps en anglais et parfois en tibétain. Matthieu Ricard traduit ses propos en français, secondé par un autre moine, trilingue comme lui, qui veille à ce qu’aucun détail ne soit oublié. En régie, d’autres traducteurs diffusent l’enseignement en direct, en de multiples langues dont le chinois.
Pendant les deux premières journées, le Dalaï Lama va détailler la description de la bonne conduite d’une méditation telle qu’elle a été écrite il y a 1300 ans par Kamalashila, un maître bouddhiste de l’université de Nalanda. Il ne va, pour cela, s’appuyer que sur une dizaine de phrases de ce texte qui en comporte plusieurs centaines.
Dans la mesure où il a pris deux jours pour détailler ces dix lignes, vous comprendrez qu’il serait stupide et absurde de ma part de vous résumer ces deux jours pour les ramener à dix lignes. Le texte intégral en français, anglais et tibétain est disponible gratuitement en ligne pour ceux d’entre vous que cela intéresse.
Le troisième jour, la conférence sur l’art du bonheur a été introduite par Stéphane Hessel, chaleureusement applaudi et aux mots particulièrement émouvants. Cette fois, l’attente avant l’entrée du Dalaï Lama et de son illustre invité a duré plus de dix minutes après que les moines et donc le public se soient mis debout, dans le silence le plus total comme les fois précédentes.
Plusieurs milliers d’autres personnes qui n’avaient pu entrer dans le Zénith suivaient la conférence dehors sur un écran géant. De voir côte à côte l’un des co-rédacteurs de la déclaration universelle des Droits de l’homme et l’un des plus extraordinaires prix Nobel de la Paix que l’humanité ait connu a été quelque chose de très fort.
Lorsque le Dalaï Lama a remis à Stéphane Hessel la traditionnelle écharpe de soie blanche, il a raconté que cette pratique était originaire d’Inde, que le tissu était fabriqué en Chine et que cela était désormais une coutume tibétaine. Alors que tout le monde riait, il a ajouté que joindre ainsi le Tibet, l’Inde et la Chine était à ses yeux un symbole parfait de paix.
Sa conférence sur l’art du bonheur a été l’un des très grands moments de ces trois jours. En introduction, il nous a dit qu’il allait, pour une fois, parler comme un non-croyant, parce que le bonheur et les moyens de le connaître sont des choses universelles qui ne dépendent d’aucune foi. A plusieurs reprises, il a montré que, malgré son retrait volontaire de tout rôle politique, il restait un farouche combattant de la paix et que la spiritualité n’empêchait pas d’avoir les pieds sur terre. Il a soulevé des tonnerres d’applaudissements en déclarant avec force : « La paix ne s’obtient pas par des prières, elle ne va pas tomber du ciel. C’est à chacun d’entre nous de passer à l’action. »
A la fin, il nous a remerciés d’avoir été là aussi nombreux et d’avoir suivi ses propos avec autant d’assiduité. Il a dû se souvenir que lorsqu’il était venu au début des années 80 à Toulouse, seulement 500 personnes étaient présentes pour l’écouter.
Cela m’a fait repensé à mon propre vécu. Après en avoir parlé à Anti, j’ai envoyé un message à Patrick, l’ami avec qui nous avions fondé le premier centre bouddhiste tibétain à Toulouse en 1976. Je vous le reproduis ici :
« Nous sommes à Toulouse avec le Dalaï Lama et je viens de dire à Anti que lorsque nous avons créé le centre, toi et moi, il devait y avoir quinze à vingt bouddhistes tibétains à Toulouse. Aujourd’hui, il y en a 7000 dans la salle dont beaucoup sont de Toulouse. Un bien bon karma… Je t’embrasse »
D’après la presse locale, il y avait en effet environ 1500 Toulousains parmi nous. La petite graine que nous avons contribué à planter parmi d’autres il y a trente-cinq ans a bien poussé.
Je termine ces quelques mots par l’expression de notre admiration pour les organisateurs qui ont fait un boulot formidable et ont obtenu un résultat parfait dans tous ses détails. Pendant les pauses déjeuner, 5000 repas par jour ont été servis sous deux grands chapiteaux dans une fluidité parfaite. Pas moins de 400 bénévoles ont été mis à contribution, certain pendant des mois, et ils ont été d’une efficacité irréprochable.
D’une certaine façon, nous, le public, les avons aidés à notre mesure en voulant tout autant qu’eux que cet évènement magnifique soit un succès. Nous avions tous pour point commun d’avoir pour valeurs la volonté d’altruisme et le respect de tous.
A lire, ce très bel article de Richard Pevny dans L’Indépendant : Le rire du bouddha
Photos prises avec mon téléphone portable.
Merci pour votre article, j’étais au zénith également…
Le Dalai Lama a dit « Tant que l’on parlera du Tibet, le Tibet survivra »…
Bien cordialement
ps : je me suis permise de mettre votre article sur mon site, si cela pose un problème, je vous remercie par avance de bien vouloir m’en aviser ( http://sunyat.free.fr )
Vous avez très bien fait, Marie-Thérèse. Nous avons tous vécu un tel bonheur pendant ces trois jours que le faire savoir autour de nous ne peut être que bénéfique.
Magnifique article. etant présent à Toulouse pour cet évennement inoubliable, je peux dire que votre article nous fait revivre ces merveilleux souvenirs. Le lecteur qui était absent à Toulouse pourra s’ imaginer réellement ce qui c’ est passé à Toulouse en prenant la 2ème partie du récit, en tout cas cette 2eme partie m’ a fait revivre ce beau week end, même si j’ était dans les tribune. L’ ensemble des personnes (organisateurs,bénévoles et personels de sécurité et forces de l’ ordre pour la sécurité du Dalai Lama,journalistes) ont fait un magnifique travail. le public à été merveilleux .
Oui, magnifique article qui nous permet de garder présents ces moments de grâce que nous avons vécus et qui permet aussi et surtout de les partager avec le plus grand nombre.
Merci Anna et merci à toutes celles et ceux qui passent et passeront témoigner de leur joie ici.
anti
Merci Anna pour votre témoignage, de ces 3 jours inoubliables que nous avons vécus (dans les tribunes) et que je vais ajouter à tous les liens que j’ai en favori
Vous pouvez voir le mien sur mon blog
Michel
Merci Anna pour cet article qui nous replonge avec le plus grand bonheur et émotion dans ce que nous avons pu vivre pendant ces quelques jours.
Etant Toulousaine et Bénévole, je ne peux en garder qu’un merveilleux souvenir de partage avec tous. Vivement le prochain rendez vous en France avec Sa Sainteté !
Pour celles et ceux qui n’ont pas pu aller à Toulouse ou bien qui souhaite revivre cet événement :
http://www.fbt-asso.org/
anti
J’ai appris que le Dalaï Lama sera à nouveau en France cette année, à Strasbourg ! Je guette les réservations ! Une expérience à vivre sans aucune hésitation !
http://france3-regions.francetvinfo.fr/alsace/le-dalai-lama-viendra-strasbourg-en-2016-904919.html
Le dalaï lama viendra à Strasbourg en 2016
La visite du dalaï lama est annoncée du 15 au 18 septembre prochain. Il participera à un week-end d’enseignement organisé par la fédération du bouddhisme tibétain. Le dalai Lama est âgé de 80 ans, il est déjà venu trois fois dans la capitale alsacienne et sa dernière visite remonte à 2011.
Par Philippe DezemptePublié le 15/01/2016 | 11:07