Quand on a du mal à nager, avoir quelqu’un qui vous appuie sur la tête n’aide pas. C’est un peu la sensation que j’ai eue vendredi soir, alors que nous étions à la clinique vétérinaire avec Mirou et Santiago, et que j’ai reçu un coup de fil qui a pris le poids d’un coup de massue. J’y ai fait allusion à quelques reprises ces derniers jours, en ce moment, à mon boulot, nous connaissons des temps difficiles. Habituellement, je parviens à séparer mes soucis professionnels de ma vie personnelle mais je dois bien reconnaître que, parfois, la charge devient excessive et rend l’exercice pas évident. C’était le cas vendredi soir.
Ma journée de samedi est passée en demi-teinte. J’en ai apprécié chaque bon moment mais j’avais en permanence un amoncellement de nuages juste à l’arrière-plan de toutes mes pensées, à l’image de cette tempête tropicale lors de notre première journée à Mayotte.
Aussi, le projet de sortir en ville en début de soirée voir un film au Sémaphore avec notre amie Karine était le bienvenu. Ça a plutôt mal commencé. Nous pensions que le film commençait à 20 h 30, mais c’était en fait à 20 h. Et, bien entendu, quand nous l’avons réalisé, il était justement 20 h. Nous avons décidé d’y aller quand même. Vers 20 h 10, nous avions trouvé une place pas vraiment autorisée pour laisser la voiture et nous nous présentions au guichet du cinéma. Pas de bol, c’était complet.
Il faisait bon dehors. On s’est dit qu’on allait prendre un pot quelque part avant de rentrer. En déambulant dans les ruelles qui environnent le Sémaphore, nous voici devant le Prolé. Ce café est un haut-lieu de Nîmes. Il a été créé en 1908 et il est connu pour être le troquet communiste de la ville – « prolé » pour « prolétaire ».
Sur les murs, des portraits de Che Guevara accrochés de guingois côtoient des affiches de propagande. Des habitués font la fête à un bout du comptoir, l’ambiance est simple et chaleureuse. Nous commandons deux cafés et papotons un peu avec le patron. Il nous parle des soirées à thème qui se tiennent toutes les semaines et des animations particulières à l’été. De mai à octobre, la salle où nous nous trouvons est fermée au profit d’un bar en plein air dans une cour intérieure qui se trouve juste derrière. On y reviendra.
Nous repartons vers la voiture, sourire aux lèvres et cœur léger, après notre rencontre avec cet homme qui respire la fraternité naturelle.
En passant devant une énorme bâtisse à l’aspect religieux, nous décidons d’aller y jeter un coup d’œil, la porte étant entrouverte. Une demi-heure plus tôt, alors que nous marchions vers le ciné, nous y avons entendu des chants.
Il s’agit d’un oratoire protestant. De format carré au plafond très haut soutenu par une charpente métallique dentelée très XIXe siècle, la salle est immense et légère à la fois.
Des musiciens en ressortent, après y avoir répété. Il ne reste plus que quelques personnes, dont un pianiste et un trompettiste. Et nous.
Après quelques ajustements, ils se mettent à jouer Legend, une œuvre de Georges Enesco, d’une beauté à frémir qui nous transporte. Les deux musiciens sont des virtuoses. Le pianiste a un corps lourd mais des mains fantastiques qui volent sur le clavier avec une aisance apparente qui n’appartient qu’aux meilleurs, ceux dont la maîtrise de leur art est totale. Le trompettiste tire de son instrument des sons d’une délicatesse infinie et d’une précision remarquable. La musique qu’ils jouent semble sortir directement de leurs âmes entremêlées.
Les brumes qui m’engluent ont disparu, remplacées par la grâce, enfin.
L’une des deux personnes qui supervisent la répétition, aussi transportée que nous par l’interprétation exceptionnelle dont nous venons tous d’être gratifiés, nous raccompagne avec gentillesse à la sortie et nous dit que le concert aura lieu aujourd’hui à 15 h. Nous y serons.
Très belle journée à vous