Non, nous ne sommes pas encore de retour, mais là j’ai un accès web et une histoire à vous raconter…
Appelons-le Alain nous ne lui avons pas demandé son vrai nom. Il est Libanais et il a monté un tout petit restaurant de spécialités de son pays à Rennes, rue de Saint-Malo.
Nous avons passé sa porte dimanche, un peu par hasard, après avoir pas mal traîné dans les rues à la recherche d’un endroit où manger avec Sylvia, Gwlad et Dorian. Ce dernier voulait à tout prix une pizzeria mais celles qu’on a croisées étaient fermées. Supplice suprême : nous passons devant un Domino Pizza mais qui ne fait que des pizzas à emporter. Et nous voilà, quelques mètres plus loin, devant l’Adonis, à la salle minuscule et bondée. Alain nous accueille, nous dit qu’il a de la place. Dorian n’est pas du tout content, il a horreur de toute forme de cuisine exotique.
Alain nous installe dans une seconde salle qui se trouve au sous-sol. L’endroit est calme et douillet, le patron sympa et détendu malgré le rush qui le presse au niveau supérieur. Nous nous régalons de mezzes traditionnels et de brochettes, suivies de baklavas. Dorian fait la tête, il ne mange rien du tout. On finit par aller lui acheter en plein milieu du repas une pizza (plus une gratuite) chez Domino Pizza. Elles restent dans des cartons, bien sûr, il les dévorera à notre retour dans l’appartement de Sylvia.
Mais revenons à Alain. Après nous avoir généreusement servis un thé incroyable à la menthe et à la fleur d’oranger, il nous attend près de la sortie. Le restaurant est presque vide, il a enfin le temps de se poser un peu. Nous lui réglons l’addition et nous commençons à bavarder avec lui.
Gwlad veut à tout prix lui laisser un pourboire, même modeste – ce qu’elle a sur elle. Nous arrondissons la note pour compléter. Anti lui demande s’il y a une règle pour les pourboires ou si même quelques pièces jaunes font plaisir. Alain répond que n’importe quel pourboire fait plaisir. Il met tout ce qu’on lui donne dans une petite caisse pour ses cuisiniers, ce qui lui permet de leur offrir un bonus au moment de leur départ en vacances.
Il nous explique que les mezzes sont des repas de fête au Liban. On les réserve aux mariages, aux anniversaires. Il faut dire que chacune des spécialités demande énormément de temps de préparation. Chez Alain, tout est fait à la main et préparé sur place uniquement avec des produits frais. Pas étonnant qu’on ait aimé à ce point tout ce qui nous a été apporté.
Le taboulé, par exemple. Il faut prendre des tomates bien goûteuses – ne commandez pas de taboulé en hiver, il sera bien moins bon avec des produits de serre – les couper en tous petits carrés avec un couteau, sans les écraser, ajouter le persil, coupé lui aussi en tous petits morceaux au couteau, mettre ensuite le citron, l’huile d’olive, surtout pas de semoule (ça, c’est le taboulé nord-africain et ça n’a rien à voir).
Nous lui demandons aussi comment est fait son thé. En voici la recette. On verse de l’eau sucrée bien chaude sur les feuilles de thé vert, on ajoute les feuilles de menthe, un trait de fleur d’oranger. C’est tout. Un délice.
Et il nous parle d’un couple qui est parti quelques minutes avant nous. Ils ont choisi tout ce qu’il y avait de plus cher, ont pris d’abord un apéritif puis du vin, ne se sont rien refusé. Ils ont appelé Alain à tout bout de champ pour lui poser des questions sur tout et n’importe quoi, depuis les plats qui leur sont servis jusqu’à un vestige historique dans la rue face au restau. Alain fait de son mieux pour leur répondre même s’il n’a vraiment pas le temps au moment où il doit courir partout pour que tous les clients soient servis et desservis.
Au moment de payer, la dame fait un chèque. Il y en a pour cent cinquante euros. Elle s’éclipse hors du restau aussitôt le chèque signé et son compagnon la suit de près. Alain a un soupçon. Il sort dans la rue pour leur demander une carte d’identité. La femme a déjà disparu. L’homme fait d’abord mine de ne pas entendre puis, voyant qu’Alain s’apprête à le rattraper, se tourne vers lui et lui dit qu’ils n’ont pas pris leurs papiers. Alain répond que, dans ce cas, il ne peut pas accepter le chèque. L’homme propose d’aller chercher de l’argent à sa voiture et promet qu’il sera de retour dans une dizaine de minutes. Alain refuse, insiste pour qu’il paie tout de suite. L’homme finit par « se rappeler » qu’il a une carte de crédit sur lui et revient payer la note.
Pour Alain, c’est clair : le couple avait tout prémédité pour tenter de lui refiler un chèque en bois, en jouant aux clients sympas et généreux pour créer une ambiance de confiance. Sauf qu’en fait, ils étaient des clients pénibles et qu’ils jouaient faux. Alain trouve ce genre de personnes vraiment minables. Il nous dit : « Vous vous rendez compte ? Mais qui volent-ils quand ils nous volent ? Nous avons laissé nos familles au pays, nous travaillons d’arrache-pied pour pouvoir leur envoyer un peu d’argent. Si vous voyiez les cuisiniers, ils sont pendant dans des heures à faire tous ces plats compliqués, avec les fours qui dégagent une chaleur étouffante. C’est nous qui arrivons tout juste à vivre en bossant sans relâche qu’on vole ? Nous, les exilés, les trimeurs ? Nous qui les accueillons et qui leur faisons la meilleure nourriture possible pour le prix le plus raisonnable possible ? »
Il est heureux de parler avec nous. Simplement parce qu’on est des clients normaux, en fait. Et qu’on a pris le temps de lui dire le plaisir que nous avons eu à venir manger chez lui et à découvrir les trésors à la fois simples et recherchés qu’il nous servis pour nous transporter pendant une soirée vers un petit peu de son pays.
Très belle journée à vous
L’humanité c’est Dr Jekill et Mister Hyde. Vous êtes du bon côté.