Malik Salemkour, vice-président de la Ligue des droits de l’homme et animateur du collectif Romeurope, rappelle aujourd’hui dans Mediapart qu’aucune autre catégorie de citoyens que les Roms et gens du voyage n’est autant entravée dans ses libertés civiques par des lois et dispositions discriminantes. Quelques larges extraits et, pour commencer, un rappel.
La France ne reconnaît pas de minorités culturelles ou ethniques sur son territoire avec des droits spécifiques et ne peut fonder l’action de l’État et des pouvoirs publics sur l’origine des personnes autre que la nationalité sans commettre de discriminations raciales condamnées par la loi.
Une discrimination unique en France
Les «gens du voyage» sont en droit une catégorie administrative distinguée par son mode d’habitat, vivant de manière habituelle en caravane ou autre résidence mobile terrestre (en sont donc exclus les bateliers). La majorité est issue de Français de cultures gitanes, manouches, tsiganes ou encore yenniches. Mais on compte aussi aujourd’hui des citoyens d’autres origines qui ont choisi ce mode de vie itinérant, ou qui y sont contraints faute de ressources suffisantes.
Une loi clairement discriminatoire de 1969, toujours en vigueur, impose à ces personnes nomades sans résidence fixe un contrôle policier régulier avec l’obligation spécifique de détenir dès l’âge de 16 ans un livret de circulation s’ils ont des ressources régulières ou sinon un carnet de circulation. Les premiers sont à faire viser tous les ans au commissariat ou en gendarmerie, les seconds doivent l’être tous les trois mois. Les itinérants sont ainsi encore clairement perçus comme des dangers potentiels à placer sous surveillance étroite.
L’exercice de leur citoyenneté est contraint avec l’obligation de choisir une commune de rattachement soumise à l’accord du préfet après avis du maire, ceci dans la limite de 3 % de la population totale. Disposition inimaginable pour n’importe qu’elle autre catégorie de population !
Ils sont exclus en pratique du droit de vote du fait d’un délai de trois ans de rattachement continu pour s’inscrire sur les listes électorales (ce délai n’est « que » de six mois pour les SDF).
Les maires et les préfets fautifs violent la loi en toute impunité
En juillet 2000, une loi impose à toutes les communes de plus de 5 000 habitants la réalisation d’aires d’accueil et de stationnement pour les «gens du voyage» dont les besoins sont définis dans des schémas départementaux établis sous la responsabilité conjointe du préfet et du président du conseil général.
Plus de dix ans après son adoption, à peine la moitié des 42 000 places prévues sur toute la France sont aujourd’hui disponibles et les réponses aux demandes d’installations permanentes et individuelles sont quasi inexistantes. De plus, de nombreux voyageurs se sont vus expulsés de leur terrain privé […]. Faute de possibilités régulières, les personnes vivant en caravane sont donc contraintes de s’installer là où elles le peuvent.
Les premiers responsables de cette situation tendue sont les maires ne respectant pas leurs obligations légales, et les préfets qui refusent de les y contraindre, comme la loi le prévoit. Mais aucune sanction n’est prévue contre ces élus récalcitrants.
Les stationnements irréguliers sont plus durement poursuivis (saisie des véhicules tracteurs, amendes alourdies) et les évacuations forcées sont facilitées. Sur simple décision préfectorale, elles peuvent être diligentées sans l’intervention préalable de l’autorité judiciaire, pourtant garant du respect des libertés individuelles, qui ne pourra intervenir désormais qu’a posteriori, s’il a pu être saisi dans un délai pouvant être réduit à 24 heures.
En annonçant l’expulsion systématique des campements irréguliers, le président de la République prend le risque d’amplifier les difficultés, de créer des tensions et de nouvelles injustices en sanctionnant aveuglement les victimes de carences de l’État et des collectivités territoriales.
Les nomades assignés dans des camps, comme sous Pétain ?
Derrière les procédures envisagées, resurgit l’idée nauséabonde d’une inacceptable assignation territoriale des «gens du voyage» sur des camps collectifs autorisés. Le 18 juillet 2010, Hubert Falco, secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens Combattants, a salué la mémoire des plus de 6 000 tsiganes français internés jusqu’en 1946, parce que nomades, par les autorités françaises.
64 ans plus tard, encore sous surveillance constante, incapables de s’arrêter là où ils le souhaitent et interdits de certains territoires, poussés constamment à l’errance, les «gens du voyage» peuvent légitimement être défiants envers des pouvoirs publics qui ne font que les précariser, les excluant de leurs droits et libertés.
Les Roms sont des citoyens européens, libres de circuler sans passeport en Europe
Ces quelques 15 000 Roms vivant en France sont des ressortissants européens, essentiellement venus de Roumanie et de Bulgarie, libres de circuler sans passeport ni visa dans tous les pays de l’Union. Au moment de l’adhésion de ces deux pays en janvier 2007, la «peur de l’invasion» a conduit le gouvernement français à imposer des mesures transitoires qui excluent en pratique, de manière spécifique, ces ressortissants du marché de l’emploi : liste de 150 métiers accessibles dans des secteurs en tension dont une bonne part de haute qualification, taxe de plusieurs centaines d’euros à verser par l’employeur à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, délai d’instruction de plusieurs mois…
Du fait de la crise profonde du logement en France et de l’impossibilité de trouver des hébergements abordables pour des familles démunies, des bidonvilles sont réapparus aux périphéries des grandes villes. L’impossibilité de pouvoir travailler légalement, d’avoir accès à des prestations sociales ou même de mendier maintiennent ces Roms dans une situation de très grande précarité.
Depuis 2007, pour un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros, entre 6.000 et 9.000 Roumains et Bulgares sont chaque année renvoyés vers leur pays, dont ils reviennent quelques jours ou semaines plus tard, ayant leur projet de vie en France…
Plutôt que des mesures sécuritaires inefficaces et stigmatisantes, des réponses sociales dans le droit commun sont à apporter aux situations individuelles de ces citoyens présents en France, qu’ils soient Roms ou qu’ils ne le soient pas.
Malik Salemkour
Vice-président de la Ligue des droits de l’homme
Animateur du collectif Romeurope
Article intégral dans Mediapart : Roms, gens du voyage : l’obsession sécuritaire
Les intertitres figurant dans cette note sont de moi.
Photos prises aux Saintes-Maries-de-la-Mer en mai 2010 (la première est d’Anti, les autres de moi)
Ce qui m’a frappée ces derniers jours, c’est que je n’avais pas du tout réalisé cette histoire de papiers d’identité qui sont refusés aux gens du voyage qui vivent en France parfois depuis des centaines d’années.
Par ailleurs, dans certains commentaires qu’on peut lire sur les forums à ce sujet, on voit qu’il y a tellement de fantasmes, d’inconnues, que j’ai l’impression que certains se basent sur les films de Kusturica et croient tout savoir des Roms…
En revanche, enfin ils ont la parole qui leur a été trop longtemps interdite. Et ça, c’est une très bonne chose !
anti
Oui, c’est vrai. Ces jours-ci, toute la presse parle des Roms, de leur histoire, de leur situation et de la discrimination qui les frappe. Et on les entend enfin, que ce soit à la radio ou sur les télés.
Je pense qu’un détail évident va ainsi sauter aux oreilles de ceux qui les écoutent et qui, jusqu’ici, ne les connaissaient qu’à travers des idées reçues : oh, ils parlent français parfaitement ! oh, ils n’ont aucun accent bizarre ! oh, ils sont exactement comme vous et moi quand ils s’expriment !
Après l’annonce des mesures décidées par Sarkozy et annoncées par Hortefeux (démantèlement de 300 camps d’ici trois mois, contrôles fiscaux de certains gens du voyage qui tirent leur caravane avec des « grosses cylindrées », reconduites à la frontière de ceux d’origine roumaine ou bulgare, etc.), une réaction de Yuma sur Le Post :
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Quand on déclare ne pas stigmatiser , on s’adresse aux citoyens sans distinction !
Messieurs du gouvernement, vos « grosses cylindrées à vous », elles servent à tracter quoi ? Votre …….. ?
Je me sentais obligé, humilié de réagir aux annonces du gouvernement. Aucun droit de réponse depuis plus d’une semaine, que des amalgames, en dehors de la Ligue des droits de l’homme, personne ne s’offusque!
Personne, sauf une minorité de posteurs, qui voient la manipulation irresponsable! Je viens d’entrevoir le vrai visage de cette politique. C’est du jamais vu, même Mr Le Pen n’aurait pas osé, c’est pour dire!
Depuis certains faits divers, notamment l’affaire d’un conducteur alcoolisé qui renverse un gendarme et l’affaire de Saint-Aignan, et voilà que le président s’en prend aux « roms » qui n’ont rien à voir dans l’histoire! Ensuite, profitant du « problème » des « roms », il amalgame des familles, des clans des gens du voyage qui n’ont rien à voir. Et pourtant, beaucoup sont présents depuis des siècles et bien avant qu’une certaine famille arrive de Hongrie!
Quand on se défend de stigmatiser, on évite la distinction des citoyens, une question de respect et d’éducation, merci pour la paix, on vous a compris ! Quoiqu’avec le nombre de sans domiciles fixe et les sans-logis dans le pays qu’il gouverne, aurait il décidé de réquisitionner les campings (caravane) pour loger ses contribuables ? Ça c’est pour ceux qui se félicitent, méfiez-vous quand même, car vous n’êtes pas au bout des surprises avec un tel président!
C’est au tour de l’ONU de critiquer sévèrement la politique de la France menée sur les minorités, à commencer par les Roms.
Vu dans 20 Minutes aujourd’hui :
Les experts du CERD (Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU) ont en effet mis la France sur le banc des accusés mercredi, lors de l’examen de sa politique des minorités, reprenant à Genève le débat qui se joue en France. Cette recrudescence résulte d’un manque «de vraie volonté politique», a noté un rapporteur américain. La politique récemment mise en place pour les Roms et les gens du voyage a également été dénoncée, notamment le système d’attribution de visa de circulation ainsi que le droit de vote conditionné à plusieurs mois de vie dans la même commune. «Le carnet de circulation nous effraie, nous rappelle l’époque de Pétain», a expliqué Waliakoye Saidou, le représentant du Niger.
Preuve que le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, dans lequel il réclame que la nationalité française puisse «être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait porté atteinte» à un «dépositaire de l’autorité publique», a traversé les frontières, l’expert turc s’est étonné de la notion de «Français d’origine étrangère», ajoutant: «je me demande si cela est compatible avec la constitution».