A Alès, le 22 octobre 2013
Monsieur le Préfet,
Je fais suite à votre courrier « très signalé » daté du 15 octobre dernier.
Vous me permettrez de vous faire part de notre étonnement s’agissant de la publicité donnée à ce document ; vous l’avez, en effet, transmis à la presse alors qu’elle n’en n’était pas officiellement destinataire. Cette théâtralisation outrancière ne nous parait pas conforme aux méthodes de travail propres au corps préfectoral et nous y voyons là l’expression d’un engagement plus personnel dépassant largement le cadre prévu par les dispositions applicables du code de la sécurité intérieure.
Ce faisant, cette manière de procéder nous autorise, parallélisme des formes oblige, à agir à l’identique : le présent courrier sera donc rendu public.
Sur le fond, votre réponse, censée nous indiquer une ligne de conduite nous place dans une totale confusion de par les incertitudes juridiques, je n’ose écrire les inepties, qu’elle contient.
En premier lieu, vous nous signifiez que nos « manifestations sont de facto interdites » : le maire de la commune l’a bien compris ainsi puisqu’il a déclaré, postérieurement à la transmission de votre courrier, que vous aviez effectivement interdit lesdites manifestations alors que lui-même n’en avait que limité le champ d’action (la bande des 400m autour des arènes) ; au demeurant, vous confirmez ce point de vue en nous opposant les dispositions de l’article 431-9 du code pénal aux termes duquel : « Est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende le fait : 1° D’avoir organisé une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi ; 2° D’avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite dans les conditions fixées par la loi ; 3° D’avoir établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation projetée » ; dans la mesure où les points 1 et 3 de cet article ne s’appliquent pas à notre situation, c’est que vous considérez nécessairement, en application de l’alinéa 2 de cette disposition, que vous avez interdit notre manifestation.
En deuxième lieu, vous nous faites grief de ne pas avoir « souhaité modifier le lieu ni le jour de la manifestation pour nous conformer à l’arrêté municipal » : cette position ainsi affirmée se trouve en parfaite contradiction avec les dispositions du code de la sécurité intérieure ; les articles L. 211-1 et suivants dudit code n’obligent en aucun cas l’organisateur à déposer une déclaration modificative de manifestation. La seule obligation qui s’impose à lui étant de, bien évidemment, respecter l’arrêté municipal ainsi édicté.
En dernier lieu, et s’agissant d’une possible occupation pacifique des arènes par des militants « anti-corrida », vous nous faites part de votre décision « d’octroyer à l’organisateur de ce spectacle privé le concours de la force publique ». Là encore, vous vous rendez « coupable » d’une violation flagrante de la règle de droit : la décision d’octroi de la force publique ne se prend pas par anticipation ; elle suppose un examen attentif et concret de la situation, et ce, notamment en fonction de la nature du trouble à l’ordre public constaté en direct. Je vous rappelle également que l’occupation de ces arènes ne relève ni du cadre légal propre aux manifestations ni de celui applicable aux attroupements et ce, en raison du caractère prémédité de cette action (comme le Conseil d’Etat l’a rappelé dans son arrêt n°248623, SOCIETE BV EXPORTSLACHTERIJ APELDOORN ESA du 26 mars 2004).
Il nous paraît ainsi utile que compte tenu de nos remarques, vous définissiez de manière un peu moins floue et plus respectueuse de la légalité, la ligne de conduite que les services de l’Etat dans lesquels nous incluons au premier chef direction départementale de la sécurité publique et groupement départemental de gendarmerie, devront suivre à l’occasion des événements prévus ou susceptibles de se dérouler à Rodilhan le week-end prochain.
Nous espérons que vous examinerez ce courrier avec toute l’attention qu’il mérite ; dans l’hypothèse où vous seriez tenté de le regarder comme fantaisiste, nous nous permettons simplement de vous signaler qu’il a été rédigé avec l’aide de l’un des nos « compagnons de route», agissant à titre personnel comme conseiller de notre président et par ailleurs membre de la juridiction administrative ainsi que de l’association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’intérieur.
Nous vous prions de recevoir, monsieur le préfet, les respectueuses salutations dues au représentant de l’Etat.
Jean-Pierre Garrigues
Président du CRAC
Copie :
– ministère de l’intérieur / à l’attention personnelle de M. Thomas ANDRIEU, Directeur adjoint du cabinet
– monsieur le maire de la commune de Rodilhan