L’institut national de recherche agronomique (INRA) a réalisé sur une longue durée – plus de dix ans – une expérience en vraie grandeur de culture de blé sans herbicides. Les résultats sont impressionnants et les agriculteurs s’intéressent de très près à ce succès. En effet, si ont leur avait posé la question auparavant, ils auraient tous prédit qu’au bout d’une décennie, de tels champs auraient été totalement colonisés par des mauvaises herbes.
Le champ le plus impressionnant montrait en juillet dernier, c’est-à-dire peu avant la moisson, un aspect quasi parfait, avec un semis dense et à peine quelques vulpins ou coquelicots épars, en quantité largement insuffisante pour affecter la récolte.
Il s’agit justement du champ qui n’a reçu aucun traitement chimique depuis douze années consécutives.
Les essais se sont déroulés sur les 140 hectares que l’INRA possède à Epoisses, près de Dijon. Un article vient de leur être consacré dans Libération.
« Ce fameux champ de blé sans herbicides n’est pas seul. Avec dix autres champs, il fait partie d’un programme démarré en 1997. […] Bilan de l’expérience pionnière qui s’y déroule depuis dix ans : «Il est techniquement possible de cultiver à grande échelle nos céréales sans herbicides, ou du moins en réduisant drastiquement leur usage, avec une faible diminution des rendements à l’hectare.» »
La clé de ce miracle apparent est dans une parfaite compréhension du processus qui lie la culture des champs et la prolifération – ou pas – des mauvaises herbes. La façon dont l’être humain s’y est pris depuis 12 000 ans a, certes, permis de créer des ressources en nourriture de plus en plus maîtrisées mais elle a en même temps favoriser à l’extrême l’expansion de ces autres herbes qualifiées de « mauvaises » en leur préparant le terrain (au sens littéral) de manière idéale.
Les archéologues utilisent d’ailleurs la progression des mauvaises herbes du Moyen-orient à la côte Atlantique pour déterminer l’histoire de la colonisation des terres par les agriculteurs depuis une douzaine de millénaires.
Pourquoi les mauvaises herbes sont-elles mauvaises ? Parce qu’à la différence des plantes domestiques – pourtant capables de les surclasser par la densité du semis – les mauvaises herbes produisent d’une année sur l’autre jusqu’à cinq cents fois plus de graines que la plante cultivée.
La réponse dans les années 50 a été les herbicides chimiques, ce qui a multiplié les rendements par huit par rapport au siècle précédent. Mais les conséquences désastreuses ont fini par devenir inacceptables : pollution des eaux, appauvrissement des cultures possibles, effondrement de la biodiversité à cause des pesticides et apparition de résistances, ce qui entraîne une augmentation des herbicides et emballe encore plus le cercle vicieux.
Pour en sortir, il faut revenir à l’agronomie, c’est-à-dire la connaissance et la compréhension de la terre agricole.
Ont été mis à contribution les « tueurs mécaniques » (des herses, bineuses et autres outils adaptés à l’arrachage ou à la décapitation des mauvaises herbes entre les rangées), des stratégies de rotation des cultures non plus sur trois ans mais sur huit ou plus afin de déboussoler complètement les habitudes des mauvaises herbes, des décalages de dates de semis afin de détruire les mauvaises herbes avant de semer, ou des stratégies d’étouffement en faisant des semis deux fois plus denses que d’habitude.
Quant à l’enrichissement des sols, il est apporté non pas par des engrais chimiques mais par des cultures de légumineuses comme la luzerne, qui recyclent directement l’azote de l’air pour rendre le sol plus fertile de façon entièrement naturelle – luzerne qui est ensuite vendue aux éleveurs, ce qui leur évite d’importer des tourteaux de soja pour nourrir leur bétail.
« Le bilan technique dressé par l’agronome, publié dans des revues scientifiques , semble positif. Les analyses des sols par carottages montrent que le stock de semences des mauvaises herbes n’est pas plus élevé qu’il y a douze ans. La biodiversité des sols en micro-organismes a augmenté comme la densité des fouisseurs (vers de terre). Le bilan en terme d’émissions de gaz à effet de serre est neutre. Le travail supplémentaire lié au désherbage mécanique peut se compenser par un étalement des interventions au long de l’année. Et la diminution du rendement est grossièrement compensée par celle des coûts. »
Je laisse le mot de la fin à… Louis de Funès, adepte de la culture bio bien avant que cela ne soit dans l’air du temps. Merci à Anti qui m’a déniché cette perle.
Photos (source INRA):
1 – le champ de blé sans traitement chimique depuis dix ans. Les fanions indiquent les endroits où subsistent quelques mauvaises herbes
2 – Outil de binage
Les passages en italique sont extraits de l’article paru dans Libération.