Samedi dernier, un grand monsieur de la bande dessinée s’en est allé, Moebius est allé affronter son dernier ennemi comme il dit… Ce matin, j’ai reçu ces quelques extraits d’interview de la part de Jean-Gabriel Foucaud. Je les ai tout de suite ajoutés en commentaire à la note sur le désert, mais je les remets ici en lumière afin qu’ils profitent au plus grand nombre :
« Quand j’avais 16-17 ans j’ai traversé le désert en Mexique, pas un désert avec des ondulations comme au Sahara, mais un désert plat, de pierres et cactus. Et moi j’étais collé à la fenêtre de l’autocar, complètement halluciné par cette beauté. Quand on s’est arrêté à un relais, une casemate posée sur le sable, je suis entré dans un couloir un peu sombre, une autre porte s’est ouverte sur le désert : cette vision m’a carbonisé complètement et m’a marquée, ainsi que mon œuvre, à vie. C’est pourquoi tous mes personnages errent dans des déserts. »
« Aujourd’hui la seule façon possible de s’évader, c’est d’aller dans des déserts conceptuels, c’est à dire dans des endroits où il y a peu de monde, en croyant des choses que les autres ne croient pas et en faisant des choses que les autres ne font pas. »
« Dans la quête spirituelle on cherche des voies, des clés, des portes. On tâtonne et souvent on entre dans une pratique qui a fait ses preuves soit au sein d’une multinationale religieuse soit dans un groupe privé. Mais, après avoir essayé plein de choses, je fais aujourd’hui partie des solitaires : et c’est mon dessin qui témoigne de ma spiritualité, qui désencombre mon esprit, et me permet de capter une énergie qui sera, je l’espère, d’utilité publique. Pour aider au désencombrement général. »
« Dans son exposition chez Cartier, Kitano met des pièces d’horloges en vrac, sur une membrane qui saute, et dit : Combien de temps va-t-il falloir pour que les vibrations fassent que l’horloge soit remontée par le hasard ! Non, le hasard ne peut pas tout faire, il y a un moment donné où il faut mettre en action les systèmes dont on dispose pour ordonner les choses, ordonner le monde et s’ordonner soit même ! »
« Je m’intéresse beaucoup à la science car je pense qu’elle est le chemin vers une nouvelle perception d’un concept de Dieu qui soit réconcilié avec tout ce qui est de l’ordre de l’intuition empirique, et de la révélation hallucinatoire. A un moment donné il va falloir mettre en accord ce qui est la conséquence même de ce que découvre la science, c’est à dire que nous faisons partie de l’univers, que nous sommes constitués d’une façon absolue par ce qui constitue l’univers dans sa dimension de temps, d’espace, et d’énergie, dans sa conception vibratoire. On a une sensation de proximité avec tout ça même si en même temps on a surtout la sensation d’être devant un mur, un mystère. C’est ça qui fait notre humanité : on a accès à une interrogation sans réponse. »
« Ce qui m’embête dans les religions c’est que qu’elles finissent toujours en idolâtrie, en récupération, en rituels externes qui perdent leur vraie raison d’être, des clés pour passer les portes de la perception et faire sortir ce qu’il y a à l’intérieur de soi. Y-a-t-il une vie avant la mort, reste la seule vraie question ! »
« J’ai soixante douze ans. Pendant près de 20 ans j’ai essayé de suivre les enseignements du Don Juan de Castaneda. Et Don Juan dit que dans une recherche de réalisation il faut affronter le dernier ennemi. La dernière danse, c’est celle de la désintégration, de la mort, et il faut l’aborder comme un guerrier, c’est à dire avec tout son bagage de lucidité, de force, de capacité à comprendre, à s’emparer des choses et à leur donner du sens. Alors évidemment, voici quelque chose qui se construit, et ça se construit sous la risée générale ! Pourquoi tu ne bois pas ? Pourquoi tu ne fumes pas ? Parce que je veux mourir en pleine forme ! Hahaha, quel clown ! Donc j’ai fait ça pendant 20 ans et puis je me suis dit qu’au fond, peut être que la meilleure façon de se préparer à mourir, est-elle de vivre comme tout le monde et de ne pas se sentir différent. Parce que finalement c’est un poison que de se sentir différent. Oui, j’ai envoyé balader l’austérité, j’ai trouvé que cela me rendait puant de prétention dans mon rapport avec les autres. »
« Le vieillissement est une drôle de pochette surprise, on ne sait pas ce qu’il y a dedans, tous les jours on l’ouvre et on trouve un truc nouveau ou un truc en moins, on ne sait pas. Alors évidemment on espère être un beau vieillard plein de sagesse, plein de vitalité surprenante… »
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Je vais redire ici ce que j’ai écrit dans un autre com un peu plus tôt. Jean Giraud, alias Gir alias Moebius, était un immense dessinateur de BD, capable de s’exprimer dans des styles graphiques totalement différents suivant les histoires qu’il voulait raconter, depuis Blueberry jusqu’à Arzach ou L’Incal.
Chose rare (peut-être unique ?), il avait décidé de faire vieillir son héros le plus connu, Blueberry, au fur et à mesure de ses aventures. Est-ce qu’on imagine Tintin âgé de 40, 50, 60 ans ? Giraud tenait à la réalité de ce qu’est le vieillissement et il le rappelle dans ce texte superbe cité dans la note ci-dessus.
Il a aussi été l’un des fondateurs des Humanoïdes Associés et de Métal Hurlant, superbe magazine de BD que je ne loupais jamais à ses débuts.
Côté cinéma, on lui doit une partie de l’univers graphique du premier Alien, aux côtés de Giger, mais également le magnifique film d’animation Les maîtres du temps et des contributions à Tron, Abyss et Le cinquième élément.
Merci de nous faire partager ce texte, on pourrait en discuter des heures sans en arriver au bout, cependant tout est remis à sa juste place me semble-t-il.
Plaisir partagé alors et contente de te lire toujours plus sur le blog Laure 😉
Merci pour ta note sur le départ de Moebius,un régal! Son esprit, sa façon de penser, son évolution dans sa philosophie de la vie et de la mort et… son génial coup de crayon en ont fait un ètre exeptionnel qui sera immortel! Dans mon panthéon de la BD, il est sur la plus haute marche! Suivi de près par Druillet et Hugo Pratt. Je m’étais précépité pour acheter le premier jour de la parution de Moebius transe forme ( suite à son expo à la Fondation Cartier ) : une BIBLE! Dans son dernier chapitre métamorphoses, il cite Charles Bonnet :Notre Monde a été apparament sous la Forme de Ver ou de Chenille : il est à présent sous celle de Chrysalide : la dernière Révolution lui fera revètir celle de papillon.Et bien Moebius a participé à cette naissance!
Hervé
Merci Hervé pour ce riche commentaire qui me donne encore plus envie d’aller à la rencontre des auteurs tels que ceux que tu cites et que je ne connais pas si bien que cela.
Bises !