Le peuple du voyage

A l’occasion de la table ronde organisée à Arras au lendemain du spectacle Gitans, nous avons rencontré un homme passionnant, Jean-Pierre Dacheux. Docteur en philosophie et vrai humaniste, il a consacré des années de sa vie à mieux connaître les Roms et à défendre leur cause. Il a écrit avec Bernard Delemotte un livre passionnant, « Roms de France, Roms en France » aux éditions du Passager Clandestin.

DSCN2136.jpgAlors que nous pensions à peu près tout savoir de l’histoire de ceux qu’on appelle en France les gens du voyage bien qu’ils soient en très grande majorité sédentarisés, il nous en a encore appris sur eux.

Les Roms ont toujours tenu fermement à leur identité et à leur culture. Pour eux, le mot « intégration » n’a aucun sens et pour les administrations, s’ils ne s’intègrent pas, alors ils doivent être chassés. La principale raison qui les ont poussés à se déplacer d’une région à une autre depuis le début de leur grande migration n’a pas été le goût de l’errance mais la fuite face aux persécutions dont ils ont été victimes, par pur et simple racisme.

Ce peuple est présent en Europe depuis sept siècles. Il était là bien avant que l’Allemagne, l’Italie ou la Roumanie n’existent. C’est Vaclav Havel qui disait que s’il est un peuple européen, ce sont bien les Roms qui le constituent. Ils sont une nation sans territoire, convaincus du fait que la Terre n’appartient à personne et que l’on peut donc librement la parcourir.

« Le Rom est un voyageur, qu’il circule ou demeure […] C’est celui qui occupe toute la Terre en pensée. Les Voyageurs, quel que soit le nom qu’on leur donne ne sont décidément pas des gens du voyage mais le peuple du Voyage. » écrit Jean-Pierre Dacheux.

Il nous a aussi parlé d’une période tragique de leur histoire que très peu de gens connaissent car elle ne figure dans aucun livre, du moins de ceux qu’on apprend à l’école bien que cela se soit passé en Europe et ait duré un demi-millénaire.

Lors de leur arrivée au XIVe siècle en Moldavie et en Valachie (la future Roumanie), ils ont été réduits en esclavage et le sont restés jusqu’au milieu du XIXe. Les boyards, les monastères, les princes moldaves ou valaques avaient droit de vie ou de mort sur eux. Ils pouvaient aussi violer les femmes à leur guise. Les Roms n’avaient que le droit de survivre pour pouvoir continuer à travailler pour leurs propriétaires. De même qu’il y a eu l’infâme Code Noir à l’initiative de Madame de Maintenon pour régir les règles de l’esclavage des Noirs d’Afrique, il y a eu aussi un « code tsigane » qui s’en inspirait point par point. En 1818, on pouvait lire dans le code pénal de la Valachie :

– Section 2 : Les Tsiganes naissent esclaves.
– Section 3 : Tout enfant né d’une mère esclave est un esclave.
– Section 5 : Tout propriétaire a le droit de vendre ou de donner ses esclaves.
– Section 7 : Tout Tsigane sans propriétaire est la propriété du prince.

zingari.jpgC’est de cette sombre période qu’est venue la connotation péjorative du mot « tsigane », qui reste toujours synonyme d’esclave en Roumanie de nos jours. L’esclavage des Roms a été aboli à Bucarest en 1856 sous l’impulsion de Mihail Kogalniceu, après l’abolition de celui des Noirs obtenu par Victor Schoelcher à Paris quelques années plus tôt.

Pour finir, une anecdote que nous a racontée Jean-Pierre Dacheux. Un jour qu’il venait voir un de ses voisins Rom, il est reçu dans sa superbe maison avec un jardin. Elle est propre, bien décorée, confortable. Pourtant, au fond du jardin se trouve une caravane. C’est là qu’il dort tous les soirs. Pourquoi, lui demande Dacheux, dormez-vous là-bas alors que vous avez cette belle maison ? Et son voisin lui répond : « La porte de mon jardin est toujours ouverte et moi, je dors toujours dans la caravane. Comme ça, si un jour je dois partir, je peux le faire très vite. »

« Le Rom n’est pas un nomade. C’est un homme qui, étant chez lui partout, veut pouvoir se déplacer au gré de sa liberté. »

Très belle journée à vous

Photo 2 : Panktalk

14 Replies to “Le peuple du voyage”

  1. Kathy Dauthuille Post author

    Écouter Jean-Pierre Dacheux a été passionnant. Il parle avec beaucoup de précision, de façon posée. Et de nombreux points se sont éclaircis dans mon esprit.

    J’ai noté que la notion de « peuple » est correcte et non celles de « gens » , de même que le Rom est avant tout un homme libre et non du voyage. Ceci remet en question d’anciennes croyances : intéressant.

    J’aurai encore beaucoup à apprendre en lisant son livre.

    Ce fut une rencontre pleine d’enseignement.

  2. anti Post author

    Jean-Pierre Dacheux, en plus d’être philosophe est un conteur né. Il est passionnant à écouter. Il tient un blog très riche et tout aussi passionnant : http://jeanpierredacheux.blogspot.com/ et son livre, que j’ai commencé à lire est clair et concis.

    Ses récits de voyages, comme ceux de ses rencontres sont un régal à écouter. J’ai regretté sincèrement de ne pouvoir rester plus longtemps à cette table ronde, tant les échanges avec tous les participants étaient intéressants et la manière de mener le débat par Jean-Claude Vanfleteren, parfaite.

    anti

  3. Anna Galore Post author

    Rappelons aussi au passage que les expulsions de camps de Roms se poursuivent en France à un rythme élevé, dans l’indifférence quasi totale des médias en dehors de l’AFP (qui n’est que peu reprise sur ce sujet), 20 Minutes, La Voix du Nord et l’Humanité, ainsi quelques autres de façon plus sporadique.

    Hier, c’était 270 Roms installés à Bobigny depuis deux ans avec l’accord de la Mairie qui n’a pas été prévenue de l’expulsion faite au petit matin par 150 CRS. La maire (PCF) agit en ce moment pour leur trouver un nouveau lieu d’accueil.

    Vendredi à Nantes, trois caravanes de Roms trop proches d’un centre Leclerc au goût de la direction ont été expulsées au bulldozer. Oui, au bulldozer, carrément.

  4. FILALI Marie-Ange Post author

    Je n’ai pas assisté à la conférence de M. Dacheux qui devait être évidemment passionnante et pleine d’humanité sur le « peuple » rom. Mais je les cotoie depuis plusieurs années puisque j’ai l’avantage de vivre prés d’eux. Deux camps de roms de sont installés à 200 mètres de mon domicile depuis 2/3 ans (j’habite à Bobigny) et…je fais tout, soit pour qu’ils partent, soit pour partir moi-même car leur proximité est intolérable : baraquements immondes, déchets et excréments laissés partout sur la voie publique, charité faite aux carrefours par des handicapés ou des enfants accompagnés d’animaux malades, trafic d’animaux, démontage de voitures ou autres véhicules faits impunément sur la voie publique, travail des enfants (quelquefois des tous petits) comme fouiller dans les poubelles à 5 h/6 h du matin, rodéos avec des voitures de sport (étonnant non?) dans les rues de Bobigny le soir …etc…
    Les nuisances sont telles que, même les gens les plus tolérants, organisent des pétitions pour les faire expulser. Et nous ne sommes pas des fachos ou des nazis.
    C’est très facile d’encenser ces gens qu’on dit persécutés mais, dans la réalité, les choses sont tout à fait différentes. Lors de ce débat, plein de compassion certainement, j’imagine qu’aucun participant n’a, prés de chez lui, un camp installé en bonne et dûe forme. Il est intolérable de supporter un « peuple », qui ne respecte ni la loi, ni la culture du pays d’accueil mais, en plus, adopte une conduite de A à Z dans l’illégalité la plus complète sans en être inquiété puisqu’il est intouchable car jugé « martyrisé ». D’un autre côté, vous avez des gens modestes (moi et mes voisins), qui travaillent, qui respectent les lois et les autres et font ce qu’ils peuvent pour vivre décemment, pour embellir leur environnement (comme arranger leurs jardins ou leurs maisons) et dont tous les efforts sont anéantis par l’arrivée d’un « peuple libre » qui détruit d’un coup toute harmonie. Tout n’est que laideur depuis leur installation. Laideur de l’environnement et laideur de leur comportement (je pense aux différents trafics et à la mise à la mendicité obligée des handicapés ou des vieux, accompagnés de bébés)
    Arrêtez votre angélisme et puis installez les à côté de chez vous ! Vous verrez que vos grandes idées humanitaires et vos opinions vont changer quand votre cadre de vie passera de paisible à bruyant, sale, indigne et quand il vous deviendra impossible de vendre votre domicile pour partir. Alors, tout doucement pointera la « dramatique, la monstrueuse, l’innommable » idée de les faire partir. Parce que vous n’en pourrez plus. Essayez, vous verrez !
    PS : Je ne pense pas que mon commentaire sera publié car il va complètement à contre sens de ce que vous prônez. C’était juste pour vous avertir que tout n’est pas blanc ou noir dans la vie et que juger que tel peuple est gentil et les autres sont méchants est très puéril.

  5. anti Post author

    Bonjour Marie-Ange et merci pour votre commentaire. Tous les points de vue sont recevables, particulièrement lorsqu’ils sont exprimés posément. Il va de soi que tout n’est ni tout noir, ni tout blanc malheureusement ou heureusement.

    anti

  6. Anna Galore Post author

    « PS : Je ne pense pas que mon commentaire sera publié car il va complètement à contre sens de ce que vous prônez »

    Comme quoi, sur ce point, vous avez pensé à tort. Tous les commentaires qui ne virent pas à l’insulte sont possibles dans nos colonnes, y compris (surtout ?) quand ils reflètent des points de vue différents. Sur les plus de 56 000 commentaires que contient ce blog, parfois lors des débats extrêmement vifs entre points de vue totalement opposés, seulement deux ou trois ont dû être effacés délibérément par mes soins, à chaque fois pour cause d’injures et d’attaques personnelles (et j’en ai à chaque fois prévenu leurs auteurs par mail pour le leur faire savoir).

    Il n’y aucun angélisme chez nous, nous savons très bien que les Roms ne sont pas plus des saints que la plupart des autres habitants de la planète. Partout où règnent la misère et la pression sociale apparaissent des comportements agressifs inacceptables tels que ceux que vous décrivez. Sachons nous rappeler cependant qu’il est nul besoin d’être Rom pour s’en rendre coupable.

    Nous exprimons simplement notre vision des choses, notre expérience personnelle et nos convictions. Vous avez parfaitement le droit d’exprimer les vôtres, en toute sincérité comme vous le faites.

  7. terrevive Post author

    Je viens de faire une découverte !

    J’ai acheté un livre à la brocante qui s’appelle « Les douze paroles du Tzigane ». Ce livre a été écrit par Costis Palamas, illustre poète grec né à Athènes en 1925. Ce livre est traduit par Eugène Clément et se trouve dans une ancienne collection Stock épuisée.

    C’est un livre absolument magnifique. Tout le livre serait à mettre en citations. Mais pour l’instant je ne mets qu’un extrait, un que j’ai fait parmi tant que j’aurais pu faire :

    « Ils sont venus aussi, les Tziganes lettrés, les méditatifs, plongés dans l’explication de l’inexplicable ; ils sont venus, les Tziganes touchés par la folie de l’étude, les devins et les astrologues, les magiciens et les voyants, et les interprètes des songes. Et ceux qui content sans fin les merveilleuses légendes exportées, comme des aromates et des pierreries, de leurs patries ancestrales, où tout est gigantesaue, où tout se déploie dans une luxuriantce et une profusion inviolées. Et ceux qui narrent certaines histoires poignantes et sombres, bien qu’éclairées par d’implacables soleils torrides. Ils sont venus, les Tziganes qui savent les révolutions des planètes, tous les secrets des constellations, qui conversent avec les étoiles et, en les observant, prédisent les amours, les destinées, les vies, les morts. Ils sont venus, les Tziganes qui charment les serpents à sept têtes, prodigues de venins meurtriers ; ils sont venus, ces Tziganes, avec leurs serpents qu’ils charment et font danser, puis ils s’en forment des bracelets et les enroulent sur eux dans d’étroits embrassements. Ils sont venus, les Tziganes qui lisent avec les yeux sibyllins de leurs femmes dans n’importe quelles mains, comme dans des livres et des grimoires, les mystérieux décrets du Destin. Tziganes savants et Tziganes sorciers, ils n’auraient qu’à vouloir, ils pourraient s’implanter en tout pays, s’illustrer en toute nation, subjuguer les coeurs et les esprits. mais ils ne veulent pas, ils ne veulent rien, rien que passer, orgueilleux et têtus, étrangers, nus, réprouvés, avec les corbaux, avec les nuées, avec les grands oiseaux migrateurs. Ils ne sont pas impuissants : ils sont les Tziganes. »

  8. terrevive Post author

    Erreur de lecture de ma part sur les dates :

    « Kostís Palamás (en grec : Κωστής Παλαμάς), né à Patras en 1859 et mort à Athènes en 1943, était un poète grec de tout premier plan, considéré comme le plus important de sa génération. Il fut d’ailleurs proposé pour le Prix Nobel de littérature en 1939. » (Wikipedia)

    (Angélica Ionatos que j’ai vue au théâtre antique de Arles chante ses textes).

    Je suis à la recherche d’autres livres…..

  9. terrevive Post author

    Merci, je viens d’en dénicher un moins cher à la Librairie Gil de Rodez.
    C’est qu’ils sont tous hors de prix!!!!!

    Dire que j’ai eu le mien pour UN euro :+)

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