« C’était une grande bâtisse un peu austère mais chaleureuse et accueillante, construite en face d’un des plus beaux paysages du monde : les palmiers, les mandariniers, les rosiers se dessinaient devant les montagnes enneigées de l’Atlas. Des sources, une eau claire, irriguaient le potager. Il y avait aussi des oiseaux, des poules, des ânes, la vie. Des hommes avaient choisi de s’installer dans ce lieu loin de tout mais proche de l’essentiel, de la beauté, du ciel, des nuages. Ce n’étaient pas des hommes comme les autres : ils n’avaient besoin ni de confort ni de télévision. Ce qui nous est nécessaire leur était inutile, et même encombrant. »
Jean-Marie Rouart décrit les lieux lors de son discours académique à l’Académie française.
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Hier soir, dans mon commentaire sur la note consacrée au Monastère de Santa Creus je parlais de mon envie d’aller voir « Des hommes et des dieux », de Xavier Beauvois avec notamment Lambert Wilson et Michael Lonsdale, film qui retrace les derniers jours des moines de Tibéhirine, en Algérie, avant leur enlèvement et leur assassinat en 1996.
En 1996 l’enlèvement et le meurtre des sept moines français de Tibhirine a été un des points culminants des violences et atrocités qu’a connues ce pays dans l’affrontement entre l’État et les groupes terroristes extrémistes qui souhaitaient renverser le régime. La disparition des moines – pris en étau entre ces deux camps – a secoué durablement les gouvernements, les communautés religieuses et l’opinion publique internationale. L’identité des assassins et les circonstances exactes de leur mort demeurent à ce jour un mystère. Une action judiciaire en France est en cours depuis 2003. Elle a obtenu récemment la levée du « secret défense » de certains documents du dossier. Dans les prochains mois de nouvelles révélations pourraient permettre d’avancer vers la vérité.
À propos du film
Le film « Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois s’inspire librement de cette tragédie, en explorant les derniers mois de la vie de cette petite communauté de moines chrétiens en « terre musulmane ». Le film s’attache davantage à retranscrire l’esprit des événements et des enjeux qu’a connus la communauté, plutôt qu’à relater avec exactitude les détails de la réalité historique.
L’histoire débute quelques semaines avant l’ultimatum lancé par les terroristes qui ordonnent aux étrangers de quitter le pays. Un groupe terroriste menaçant fera même irruption dans le monastère la nuit de Noël…
Le dilemme des moines jusqu’ici latent se pose alors avec acuité : partir ? rester ? La décision doit être collective. Mais pour eux, le choix de rester ou non sur place, malgré les menaces, est lourd de conséquences. Leur refus d’une protection militaire incite les autorités à leur demander de retourner en France.
C’est en prenant en compte ces considérations humaines, politiques et religieuses, que chacun des moines forgera sa décision en son âme et conscience. Cette forte tension dramatique accompagne la vie quotidienne et mystique de la communauté, ses liens profonds avec la population, l’esprit de paix et de charité qu’ils veulent opposer coûte que coûte à la violence qui gangrène le pays.
Le film témoigne ainsi de la réalité de l’engagement de ces moines et de la force du message de paix qu’ils souhaitent transmettre en restant vivre avec leurs frères musulmans : la possibilité d’une entente fraternelle et spirituelle entre chrétiens et musulmans… Les moines appelaient l’armée « les frères de la plaine » et les terroristes « les frères de la montagne », sans naïveté, conscients d’avancer sur un étroit chemin de crête entre ces deux camps aux positions ambiguës.
Le film de Xavier Beauvois adopte le point de vue des moines ainsi que le rythme et la simplicité de la vie monastique cistercienne.
La vie Monastique
La vie cistercienne-trappiste tire d’abord sa source de la Bible, de la Règle de Saint Benoît (rédigée au VIIe siècle) et des écrits des pères du monachisme.
Elle reprend d’abord les formes traditionnelles de la prière monastique avec la « liturgie des heures » qui est une prière commune à la chapelle sept fois par jour, surtout nourrie de psaumes. Le chant est une composante essentielle de la prière et du rythme de la vie cistercienne. Les moines chantent d’une seule voix pour entrer en communion dans le Souffle de Vie. À l’unisson ils font corps dans le combat spirituel.
Les moines cisterciens valorisent le silence, qui est la règle, au cours de la majeure partie de leur journée. Mais leur vie s’élabore aussi à travers l’enseignement du supérieur (abbé ou prieur) et les échanges communautaires nommés « chapitres ». C’est dans la pièce du même nom que se prennent les grandes décisions, toujours soumises au vote et préparées par des discussions personnelles dans le bureau du supérieur.
Les cisterciens-trappistes n’ont aucune mission « apostolique » d’évangélisation et se gardent de tout « prosélytisme ». La Règle de Saint Benoît invite les moines à pratiquer l’hospitalité et le partage « surtout à l’égard des pauvres et des étrangers » et de tous ceux qui souffrent. Elle met en avant le travail manuel et les relations avec le voisinage dans les travaux agricoles, vitales en période d’insécurité et de restriction.
Les monastères se situent généralement à l’écart des lieux habités pour favoriser une vie dite « contemplative » au coeur de la nature. Chacun des moines trappistes prend une fois par mois une « journée de désert » pour marcher et méditer en solitaire dans la nature environnante.
Aujourd’hui, l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance (OCSO) comprend 2.600 moines et 1.883 moniales (femmes), répartis respectivement dans 96 et 66 monastères dans le monde entier.
A lire, l’article de Wikipédia : Ordre cistercien de la stricte observance.
anti
Sources : l’article de Nicole Salez, à poursuivre sur Tout pour les femmes et Wikipédia. Photos Wikipédia et Allociné.
L’évènement a été une tragédie par son absurdité et sa cruauté – qui peut en vouloir à des moines retirés de tout ? Je me souviens de l’impact de la nouvelle, lorsqu’elle a été rendu publique, et de toute l’émotion.
Le film me tente beaucoup, à bien des niveaux – en connaître un peu plus de ce que peut être la vie dans des lieux de ce genre, tenter de percevoir ce qu’ont pu être les questions et les motivations de ces moines dans les derniers jours de leur vie.
Quant aux acteurs que tu mentionnes, je les trouve également remarquables. Par dessus tout ça, un grand prix à Cannes, donc un grand film.
On y va quand tu veux.
Merci Anti!
Coupée un peu de la « civilisation » j’avais oublié que, à sa sortie, voir ce film m’avait paru quasi ‘indispensable ».
Ta note me le confirme.. J’y vais de ce pas.
Ben, pourquoi? çà fait un bout de temps que j’en ai entendu parler sur… Fr.C…. la radio!Et que j’avais décider d’aller le voir… C’est pas encore sorti?? je suis en avance pour une fois?? C’est même pô croyable…
😉
« Ben, pourquoi? çà fait un bout de temps que j’en ai entendu parler sur… Fr.C…. la radio! »
Peut-être parce que tout le monde en a parlé à l’époque du festival de Cannes, ce qui ne voulait pas dire que le film était sorti en salles 🙂
çà paraît être cela même, Anna ;-))
Je suis allée voir le film dimanche ; oui, c’est un grand film par son contenu, son interprétation, ses silences, ses atmosphères, son questionnement.
J’avoue que la dernière cène m’a bouleversée : chaque visage était un portrait avec un paroxysme dans l’expression, laquelle allait crescendo et devenait poignante.
J’en reste profondément marquée.