A vous qui avez le câble, chanceux que vous êtes, sachez que ce soir, jeudi 18 juin 2009, à 22 h 45, TPS diffuse le film du jeune Corneliu Porumboiu dont je vous ai souvent parlé : « 12 h 08 à l’Est de Buccarest« . J’suis trop contente !
« 12 h 08 à l’est de Bucarest » : bilan moral d’une révolution, un article de LE MONDE, janvier 2007.
La Roumanie fait partie de l’Union européenne depuis le 1er janvier. Et voici que le premier long métrage de Corneliu Porumboiu, 12 h 08 à l’est de Bucarest, qui a obtenu la prestigieuse Caméra d’or à Cannes 2006, sort sur les écrans au même moment. Or cette visite guidée de son pays devrait décourager à tout jamais les velléités touristiques vers le nouvel Etat membre. A moins que l’on soit curieux de découvrir le génie d’un pays capable de produire ce genre d’humour subtilement atroce.
Les connaisseurs n’en seront pas étonnés : Tristan Tzara, Eugene Ionesco, Emil Cioran, pour ne citer qu’eux, prouvent que Porumboiu s’inscrit dans une tradition qui cultive comme peu d’autres le sourire macabre, la lucidité ravageuse, l’absurdité tragique, la misanthropie raffinée.
Dans le sillage du vétéran Lucien Pintilie, et plus encore de La Mort de Dante Lazarescu, deuxième long métrage de Cristi Puiu découvert avec ravissement en janvier 2006 (l’agonie épique d’un pauvre bougre baladé dans les hôpitaux de son pays), 12 h 08 à l’est de Bucarest laisse entrevoir l’émergence d’une école cinématographique, qui puise dans les affres de son histoire pour produire des farces lugubres.
Ce film, exemplaire des liens qui unissent histoire et esthétique, concerne la révolution de décembre 1989. En pleine dislocation du bloc soviétique, cet événement mit brutalement fin à plus de vingt années de tyrannie moyenâgeuse et de communisme féodal exercé par Nicolae Ceausescu.
L’insurrection populaire fut noyautée et torpillée par une clique d’apparatchiks de seconde zone, qui s’empressèrent de bloquer les réformes attendues. Cette opération fut notamment rendue possible, dès les premiers jours de l’insurrection, par la découverte d’un faux charnier dans la ville de Timisoara, jeté en pâture aux télévisions, et l’exécution sommaire de Ceaucescu qui s’ensuivit.
Un papy Père-Noël
A l’heure où les historiens s’emploient encore à percer les nombreux mystères de cette révolution dévoyée, 12 h 08 à l’est de Bucarest en dresse de manière loufoque et cinglante le bilan moral. Cela se passe, en deux temps, dans une bourgade non loin de Bucarest. Premier temps : l’aube se lève sur la ville. Dans les appartements miteux, la couleur est au caca d’oie, le poil de trois jours, l’humeur à la gueule de bois.
On y découvre, en parallèle, les trois protagonistes du film. Un animateur de télévision locale qui cherche à commémorer, seize ans après l’événement, la participation des habitants de la ville à la révolution de 1989. Un professeur d’histoire, alcoolique, menteur invétéré, criblé de dettes, et à l’occasion raciste satisfait (il accuse son épicier asiatique qui ne veut pas lui faire crédit d’être aussi « jaune à l’intérieur »). Un papy gâteux qui fait le Père Noël pour arrondir des fins de mois aussi difficiles que son tempérament – il envoie promener tous les gens qui l’approchent.
Le premier des trois, devant faire face à la dernière minute à la désaffection de son plateau, se rabat la mort dans l’âme sur les deux autres. Où l’on assiste à un happening de 40 minutes entre les trois hommes dans un studio de télévision rongé aux mites, avec en guise de décor un immense poster de la place de la mairie à l’époque des faits qui a la fâcheuse tendance à se décrocher.
Les deux témoins y racontent leur participation héroïque à la révolution du 22 décembre, du moins le professeur d’histoire, tandis que papy, vexé, fabrique des cocottes en papier à la chaîne. L’animateur ponctue quant à lui ce pseudo-débat d’expressions du genre « la fin du cauchemar communiste », tout en le rehaussant de citations d’Héraclite.
Riche en noms d’oiseaux
Cette énorme séquence, vraisemblablement tirée d’une observation attentive de la télévision locale roumaine, finit par tourner à l’aigre quand les spectateurs appelés à témoigner par téléphone récusent le récit de l’honorable professeur, aperçu ce jour-là dans un bar de la ville à l’heure où il prétend avoir risqué sa vie sur la place de la mairie.
Un débat soupçonneux et riche en noms d’oiseaux s’ensuit sur l’heure exacte à laquelle il a gagné le théâtre des événements, avant 12 h 08 (lorsque tous les Roumains ont pu suivre à la télévision la fuite de Ceausescu), faisant de lui un révolutionnaire, après un alcoolique notoire. Sur la petitesse humaine, ce film admirablement modeste scelle la rencontre de Gogol et de Beckett.
Jacques Mandelbaum
Voir la Bande-Annonce sur Première.
A lire, l’interview de Corneliu Porumboiu sur Dvdrama.
Sur le blog, la Roumanie culturelle :
Brassaï, chroniqueur de Paris
Constantin Brancusi, l’esthétique de la simplicité.
Philippe Lopparelli, à l’Institut culturel roumain.
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Je l’avais vu en salle à sa sortie, excellent ! J’en dirai un peu plus après l’avoir revu.
anti, double vue.
Alors, en fait, j’ai découvert hier soir, que nous n’avons pas TPS… Mdrrrr ! Ce sera pour une autre fois !
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