La Miviludes est-elle sectaire ?

1809747272.jpg< Dans la lignée de quelques articles récents sur le blog au sujet des sectes (voir les liens à la fin de cette note), Rue89 publie aujourd’hui, sous le titre « La Miviludes, police des esprits », une intéressante interview d’un de ses anciens membres, dont voici de larges extraits.

Dans son dernier rapport, rendu public le 17 mai, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) souligne l’augmentation du nombre de mouvements sectaires. Elle pointe notamment les techniques dites de « développement personnel » (psychanalyse, coaching…). Mais pour Olivier Bobineau, ancien membre de la mission, son approche est inadaptée.

Conséquence pour ce spécialiste des religions : la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires surestime le phénomène sectaire en France. Entretien.

La Miviludes estime que les sectes se multiplient et prône une politique plus répressive. Comment jugez-vous son action ?

Elle entend mener une politique publique moderne, mais elle est pourtant la seule à ne pas en respecter les trois critères fondamentaux :

1. Une définition de l’objet de son travail : la Miviludes amalgame secte, phénomène sectaire et dérive sectaire, sans en donner aucune définition. Ces termes sont des coquilles vides appliqués à tout et n’importe quoi, ce qui a pour effet majeur de faire passer le nombre de sectes en France de 200 à 607. Une multiplication par trois qui tient au fait que la Miviludes a jeté son dévolu sur la psychanalyse.

2. L’exposition d’une méthodologie, c’est-à-dire l’existence d’un débat public, le croisement des sources, une véritable réflexion sur le sujet… mais la seule logique de la Miviludes est la recherche de boucs émissaires, elle-même fondée sur une autre logique, celle de l’inquisition. Le discours de la Miviludes, c’est « on n’a aucune preuve, c’est donc qu’ils les dissimulent, c’est donc qu’ils sont bien une menace ».

3. Une véritable évaluation de son action : il n’y a aucun outil pour cela, ni de discussion autour des conclusions de la Miviludes : lorsque l’OSCE et l’ONU se risquent à critiquer son travail, elle répond que ces deux institutions sont infiltrées par les sectes.

Mais les dérives sectaires dénoncées par la Miviludes n’en sont pas moins associées à des délits, tels que l’extorsion de fonds ou la manipulation…

320435878.jpgBien sûr. Mais il faut se poser deux questions : d’abord, a-t-on besoin d’un organisme spécifique pour faire appliquer le droit civil et pénal, qui existe déjà pour punir de tels délits ? D’autant que le phénomène sectaire est loin d’être le problème majeur de la société française.

La deuxième question, c’est de savoir comment prendre en compte les plaintes des victimes d’escroquerie : cela doit-il forcément passer par une désignation de ce qui est bien et de ce qui est mal sur le plan spirituel ?

Il faut une véritable administration de la preuve, un vrai service public d’information avec des conseillers scientifiques menant de véritables enquêtes.

Que pensez-vous de la mise en place d’un référentiel visant justement à définir ce qu’est un mouvement sectaire ?

C’est une véritable mise à l’index, un document qui prétend désigner le bien et le mal, ce qui est difficilement admissible de la part d’une politique publique. Une véritable définition devrait viser l’essence même de ce qu’est une secte. […]

1729478863.jpgLe rapport consacre un long passage au satanisme. L’importance de ce phénomène est-elle bien évaluée selon vous ?

La Miviludes n’avance aucun chiffre, fait état d’une progression du satanisme en Europe sans citer de sources. Il ne doit pas y avoir plus d’une centaine de satanistes en France.

La convocation d’un imaginaire relié à cette croyance ne fait pas forcément de vous un sataniste. Si tous les auditeurs de black metal sont satanistes, pourquoi ne pas dire que tous les amateurs de Bach sont luthériens ?

Il y a donc, selon vous, une stigmatisation de certains groupes ou mouvements ?

Oui, qui s’inscrit dans la tradition française d’une suspicion du spirituel, de l’opposition entre la liberté de pensée, politique et philosophique, et de la liberté de conscience, spirituelle. […]

La Miviludes joue le rôle d’une police administrative des esprits, qui recherche des boucs émissaires et stigmatise des groupuscules.

Vous présentez aussi cette attitude comme le résultat d’une tension interne à la Miviludes…

En effet, il existe plusieurs pôles au sein de la Miviludes, et notamment un pôle conservateur catholique, qui désigne le mal selon ses propres critères, et un pôle de gauche athée pour qui le mal, c’est la liberté de conscience. Ces deux « camps » ne s’accordent que dans la désignation d’ennemis communs, les mouvements présentés comme sectaires.

L’interview intégrale, réalisée par Dominique Albertini, se trouve sur le site de Rue89
Photo : Démolition de la statue de Gilbert Bourdin édifiée par la secte du Mandarom à Castellane (Reuters)

Articles traitant de sujets analogues sur le blog :

Chamans, gourous, nouveaux sorciers, nouveaux dangers
Les nouveaux masques des sectes
La propagande scientologiste bannie de Wikipedia
La réponse de Caroline Benarrosh
La scientologie au tribunal pour escroquerie

9 Replies to “La Miviludes est-elle sectaire ?”

  1. Anna Galore Post author

    Pour avoir une meilleure idée de qui est Olivier Bobineau, le mieux est d’aller faire un tour sur son blog, dont je donne le lien en début de note (cliquer sur son nom). Il n’est pas le premier à quitter la Miviludes pour cause de désaccord avec la façon dont cette commission travaille. Et Rue89 ne peut pas être soupçonnée de vouloir déstabiliser une organisation dont l’objet théorique est de dénoncer les sectes. Raison de plus pour que la Miviludes ne plonge pas dans des dérives aussi peu glorieuses que certaines de celles qu’elle est supposée dénoncer (formatage des pensées, manipulation, réduction des libertés). Je n’ai que mépris pour les sectes mais je déteste tout autant les inquisiteurs.

    Cela étant, à chacun de se faire son opinion, en effet…

  2. ramses Post author

    La Miviludes est soupçonnée à son tour de « dérives sectaires ».

    Je partage ce point de vue.

    « La Miviludes joue le rôle d’une police administrative des esprits, qui recherche des boucs émissaires et stigmatise des groupuscules. »

    C’est bien le danger, qui conduit tout droit à l’univers d’Orwell.

    « Il ne doit pas y avoir plus d’une centaine de satanistes en France. La convocation d’un imaginaire relié à cette croyance ne fait pas forcément de vous un sataniste. Si tous les auditeurs de black metal sont satanistes, pourquoi ne pas dire que tous les amateurs de Bach sont luthériens ? »

    Et ne parlons pas des adorateurs de Nutella…

    « Lorsque l’OSCE et l’ONU se risquent à critiquer son travail, elle répond que ces deux institutions sont infiltrées par les sectes. »

    C’est grave, comme affirmation, si elle se révèle exacte.

    Laissons à la Justice le soin de se prononcer sur les faits délictuels et à chacun sa liberté de penser, la seule qui nous reste (la liberté d’expression étant d’ores et déja très compromise, cf. les 2 poursuites introduites par Christine Albanel envers deux internautes, dont l’une s’est permise d’écrire « Ouh la menteuse »)…

  3. Anna Galore Post author

    Si, petite confusion de Ramses à ce sujet, il s’agit bien de Nadine Moreno, qui a d’ailleurs fait machine arrière hier. Mais le fond reste vrai, bien sûr.

  4. anti Post author

    La citation  » si tous les auditeurs de black métal sont satanistes, pourquoi ne pas dire que tous les amateurs de Bach sont luthériens » est EXCELLENTE !

    Depuis que Ramses a évoqué cette mission, je ne fais que ce genre de découvertes inquiétante.
    D’ailleurs, dans les commentaires de la note « Les nouveaux masques des sectes », nous parlions déjà de Nathalie Luka ex-membre de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) jusqu’en novembre 2005, mission dont elle avait démissionné au motif qu’elle refusait d’être liée à un prévisible durcissement de la position de cet organisme.

    Vigilance et persévérance !

    anti

  5. ramses Post author

    Pardon, rendons à César… C’est bien Nadine Morano qui poursuit les internautes pour « injures » et pas Christine Albanel (elle, c’est par la Loi Hadopi qu’elle les poursuit !).

    Effectivement, comme le suggère Anna, un petit tour sur le blog d’Olivier Bobineau est instructif (notamment la Revue de Presse) :

    http://www.olivierbobineau.com/

    Plus on avance sur le sujet, moins je comprends la légitimité de cette Miviludes, électron libre sans aucun contrôle, dont le but inavoué me semble être le « formatage des esprits », par une classification arbitraire du « bien » et du « mal ». Cerise sur le gateau, son Président est en « délicatesse » avec la Justice, ce qui décrédibilise encore plus cette « Mission ». Les « recommandations » adressées par la Ministre de l’Intérieur (cf. le rapport récent) démontrent également que cette « Mission » n’a pas les coudées franches.

  6. simon Post author

    Comme l’écrit ce psy sur son site (cliquer sur mon nom, même si ce n’est pas MON url) :

    la Miviludes, la secte de ceux qui voient des sectes partout.

  7. anti Post author

    Bonjour Simon, et merci pour les liens (le lien que tu indiques en indique d’autres, qui en indiquent… etc.)

    anti

  8. Alajah Post author

    Les sectes c’est pas ma tasse de thé mais si on utilise des organismes comme la MIVILUDES ou l’UNADFI pour lutter contre elles, le remède est pire que le mal.

    Le danger avec la lutte contre les sectes, c’est d’avoir soi même une vue « sectaire » sur un problème qui historiquement existe depuis toujours. Témoins: les guerres de religions, l’inquisition, etc. C’est au Moyen âge qu’est apparue une compétition entre les religions établies et la laïcité. La laïcisation est en général propre aux pays de tradition catholique tels la France et la Belgique (où l’Église s’est posée comme concurrente à l’État, avant d’être rejetée).

    On ne peut pas oublier que même si dans un premier sens, la laicité est un concept politique qui désigne le principe de la séparation de l’église et de l’état, en deuxième sens, elle rend compte du respect de la liberté religieuse et en général, des droits fondamentaux (liberté de conscience, d’expression, de culte, d’association, d’enseignement et non-discrimination en fonction de la religion).

    Pourtant, ces droits fondamentaux sont violés dans les pays qui disent le plus fort les respecter, tels en France et en Belgique où l’Etablissement s’opposent ouvertement ou couvertement à leur existence.

    L’Etablissement ne s’y oppose pas de façon rationnelle et systématique. En matière de « sectes », l’arbitraire bureaucratique est total. On y découvre de lamentables approximations conceptuelles et des compositions et alliances suspectes. Par exemple, il n’y a rien de plus sectaire que les groupes dits « anti-sectes ». Ce sont ces groupes qui sont « l’Autorité » en la matière. En France, la MIVILUDES est dirigée par un magistrat franc-maçon impliqué dans une obscure affaire de traffic d’armes avec l’Angola. Quant à la Belgique, l’Observatoire des Sectes a été créé par une recommandation de la commission parlementaire sur les sectes de 1996-97 dont le président, M. Serge Moureaux; son rapporteur francophone, M. Antoine Duquesne; son rapporteur flamand, M. Luc Willems, sont des franc-maçons. Et le président de l’Observatoire, M. Henri de Cordes et son directeur, M. Eric Brasseur, sont tous deux également des franc-maçons. Cet observatoire a dressé une liste de plus de 500 organisations dites sectaires qui inclut même des groupes du secteur médical et paramédical. A l’inverse, ils ignorent bien entendu complètement la franc-maçonnerie qui est pourtant une secte politico-philosophique qui a infiltré les rouages de notre société aux plus hauts niveaux.
    Et pour en revenir aux alliances suspectes, que dire du prêtre catholique « antisectes » français Jacques Trouslard allié au Grand Orient de France, tous deux en guerre déclarée contre les « sectes »?
    Nous vivons au XXIe siècle, malgré ce, il semble que les mentalités n’ont pas vraiment changé. Seuls les mots utilisés pour les décrire sont différents. La chasse aux sorcières est toujours d’actualité…

  9. Anna Galore Post author

    « la franc-maçonnerie qui est pourtant une secte politico-philosophique qui a infiltré les rouages de notre société aux plus hauts niveaux »

    Quand vous dites « infiltré », vous voulez dire plutôt plus ou plutôt moins que la secte politico-philosophique connue sous le nom de catholicisme ?

    Plus sérieusement, revenons aux caractéristiques communes à toutes les sectes ( http://www.annagaloreleblog.com/archive/2009/05/19/les-nouveaux-masques-des-sectes.html )

    – Manipulation financière : dans une secte, la plupart du temps les tarifs sont exorbitants et dépassent largement la valeur de l’enseignement, ou d’un week-end de thérapie. La participation n’est pas libre, mais imposée et les montants sont disproportionnés. Certains vont même jusqu’à s’endetter.

    – Manipulation sexuelle : sous couvert de soins énergétiques, les gourous imposent des pratiques parfois sexuelles. Par ailleurs, être choisi par le gourou est présenté comme un très grand honneur, refuser ses avances est non seulement difficile mais de plus mal vu par le groupe. Toute proposition sexuelle doit éveiller votre méfiance, quelle qu’elle soit. Il s’agit tout simplement d’abus sexuels qui en aucuns cas ne participent à votre épanouissement.

    – Pressions physiques : fatigue, jeûnes, réveils nocturnes, etc. sont préconisés par le gourou. Au final, l’ensemble de ces pratiques visent à affaiblir physiquement les « adeptes » dont les capacités de résistance et de réaction sont alors amoindries.

    – Perte des repères : rupture avec l’environnement d’origine. La manipulation peut aller jusqu’à la rupture avec le noyau familial. La nouvelle famille, c’est le groupe ! Il faut adopter la pensée du groupe, ses lectures et tous ses choix culturels. Plus le temps de réfléchir. Peu à peu, la secte occupe davantage de votre temps. En dehors des séances de groupe, vous avez des rendez-vous réguliers et obligatoires avec un autre « adepte ».

    – Prosélytisme obligatoire : les sectes comportent des systèmes de parrainages, des soirées où vous devez amener un proche.

    Pour le peu que je connais de l’extérieur la franc-maçonnerie et les quelques francs-maçons que j’ai eu l’honneur de rencontrer, je ne vois dans cette organisation humaniste aucun des critères en question. Je ne trouve rien de surprenant, en revanche, à ce que des francs-maçons s’opposent avec énergie à toute forme de secte, eux qui prônent la libre pensée à tous les sens du terme.

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