Shahla Sherkat a vu son mensuel, « Zanân » ( « Femmes » ), fermé par la censure. Mais cette militante de la première heure poursuit sa lutte pour promouvoir les droits des femmes, adapter la loi islamique à la vie morderne. Elle était de passage à Paris pour la sortie de son livre, Zanân, le journal de l’autre Iran.
(Paru le 04.03.2009 , par Georges Malbrunot pour le Figaro Madame).
Les sentinelles de la République islamique ont beau être loin, la peur, elle, est toujours là. « C’est de l’alcool ? », s’inquiète Shahla, en pointant la menthe à l’eau sur la table pendant l’entretien dans son hôtel parisien. Un cliché montrant cette femme, à la chevelure enveloppée dans un foulard en lin, un verre à la main pourrait lui coûter de sérieux problèmes à son retour à Téhéran. Shahla Sherkat, 52 ans, marche sur un fil. Son mensuel, Zanân (« Femmes » en farsi), a été fermé l’an dernier par la justice. Depuis, cette militante pressée se bat pour faire renaître de ses cendres le premier vrai journal féministe d’Iran.
Elle publie Zanân le journal de l’autre Iran (CNRS Éditions) ou, comme elle le définit elle-même, « le miroir des mille et une activités des Iraniennes ». Les siennes d’abord : depuis ce jour de juin 1991 où, après dix années passées au magazine Zan-e ruz (« La Femme d’aujourd’hui »), elle est remerciée pour avoir « soutenu une ligne moderniste, occidentaliste et féministe ».
Même si le mouvement féministe est apparu dès 1905 en Iran, avec les premières réunions secrètes de femmes, le voir porter aujourd’hui par des « filles de la Révolution » dérange certains ayatollahs. Et pourtant, c’est ce fil d’Ariane qui relie toutes ces femmes, dont Shahla retrace l’histoire dans son livre, agrémenté de photos. Ces « croyantes pas ordinaires », qui jadis écoutaient les prêches, lisaient et commentaient le Coran, en demandant aux imams leur intercession. Faute d’aller à l’école, elles se préparaient ainsi à la vie.
CONTOURNER LES INTERDITS
Aujourd’hui, ces femmes se retrouvent encore, certes pour prier, mais surtout pour échapper à la pesanteur des devoirs conjugaux. Ces
« épouses de martyrs » avec lesquelles Shahla a partagé vingt-quatre heures de « leur bruyante solitude » dans le quartier des détenues ordinaires de la prison d’Evine, à Téhéran. Cette jeune styliste qui chine aux quatre coins de son pays à la recherche de beaux tissus anciens. Mais aussi ces jeunes femmes toxicomanes, le plus souvent mariées, victimes de l’addiction de leurs époux. Ces femmes baloutches venues vendre leurs broderies à Téhéran. Ou encore cette chirurgienne qui organise des stages de formation à l’accouchement sans douleur sous hypnose pour réduire le taux élevé de césarienne (40 %).
« Vous le voyez, sourit Shahla, les Iraniennes ne correspondent pas aux clichés que l’Occident nourrit à leur égard : des femmes cantonnées dans leur cuisine à s’occuper des enfants et de leurs maris. » En avance sur leurs voisines afghanes ou saoudiennes, elles ont pris leur place dans le monde du travail et la vie sociale. Les Iraniennes occupent un tiers des postes de fonctionnaires et plus de 55 % des étudiants appartiennent au sexe dit faible. Mais leur combat est jalonné d’embûches. Les manifestations féministes continuent d’être réprimées et, en décembre dernier, le pouvoir n’a pas hésité à fermer le bureau de Shirin Ebadi, la célèbre avocate et Prix Nobel de la paix.
Et puis, il y a ce voile que des millions d’Iraniennes sont tenues de porter. « En faire une obligation religieuse n’est pas une bonne chose », estime Shahla. Mais que se passerait-il si 100 000 Iraniennes descendaient dans la rue en jetant leur fichu par terre ? Question sacrilège à laquelle cette mère de deux filles préfère, par prudence, ne pas répondre. « Mais une chose est sûre, ajoute-t-elle, nous ne sommes pas prêtes à payer le prix d’une deuxième révolution. Le peuple a trop souffert de la première, et puis vous savez, les femmes ont des problèmes beaucoup plus graves à régler que le voile. »
EN FINIR AVEC LES INÉGALITÉS
Pour venir à Paris, comme pour sortir de chez elle dans le quartier huppé de Tajrish, au nord de Téhéran, Shahla doit recueillir au préalable l’assentiment de son mari. « Heureusement, dit-elle, notre société est en avance sur nos lois. » Traduction : les Iraniennes ont le génie pour contourner les interdits. Et grignoter la moindre avancée, face à un régime autoritaire et une police des mœurs tatillonne. Un foulard qui laissera apparaître une chevelure ondulée. Une promenade bras dessus bras dessous dans un parc de Téhéran. Une sortie en amoureux le vendredi au cinéma. Rien n’est acquis d’avance aux Iraniennes, même pas la célébration de la Journée de la femme, dimanche prochain, objet là encore de compromis byzantins avec le pouvoir.
À la tête de Zanân, Shahla connut ses plus belles heures sous la présidence réformatrice de Mohammad Khatami entre 1997 et 2005. Elle mise sur sa victoire en juin face au conservateur Mahmoud Ahmadinejad, pour faire avancer les chantiers en cours. L’un des plus importants est l’adaptation de la loi et de la jurisprudence islamiques à la vie moderne. Pour en finir une fois pour toutes avec les inégalités en matière de divorce, d’héritage, ou désormais à l’entrée de l’université, où des quotas sont appliqués aux filles. Entre avancées modernistes et pesanteurs traditionnelles, Shahla n’a cessé de slalomer. Un combat aussi passionnant qu’éprouvant, à l’instar des cent numéros de son mensuel Zanân, dont elle parle comme d’une naissance à chaque fois répétée.
« Cent fois grimper les marches du doute, cent fois connaître les douleurs. Savez-vous que sur ce chemin ardu, des arbres nous refusaient leur ombre, des cavaliers se moquaient de notre passion. Aujourd’hui, je suis comme une aimante, qui malgré les cent coups de fouet qu’elle a reçus pour son amour interdit, se love, les os brisés et le visage ensanglanté dans les bras de son bien-aimé. »
A lire, Etre féministe en Iran et bien sûr, à lire et/ou à voir Persepolis de Marjane Satrapi.
A lire aussi sur le blog : Téhéran ferme une ONG
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Magnifique portrait de cette femme au courage exemplaire, ce qui ne l’empêche pas d’être lucide et mesurée. On comprend, en lisant ce qu’est son combat, que demander trop dans la culture et la société qui sont les siennes serait voué à l’échec et qu’à cette stratégie, elle préfère celle des petits pas, plus réaliste même si plus frustrante.
Je suis frappée de la ressemblance entre la couverture du livre et cette photo du Che :
” Soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre coeur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire. ” Che Guevara
http://dhaker.unblog.fr/2008/05/10/commandante-che-guevara-un-combat-un-homme-une-legende/
anti
Merci pour le lien. Je vais le mettre dans le corps de la note ! J’ai trouvé cette condamnation de la cour européenne en janvier dernier : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2009-0029+0+DOC+XML+V0//FR
Une interview donnée à l’occasion de la journée de la femme : http://www.france24.com/fr/20090307-entretien-shirin-ebadi-iran-prix-nobel-paix-journee-femme
et cet article récent sur la défense qu’elle assurera de la journaliste irano-américaine Roxana Saberi, condamnée à huit ans de prison pour espionnage :
http://www.drzz.info/article-30567273.html
Sacrées femmes !
anti
Ce sont les femmes qui feront évoluer la société iranienne.
A petits pas, lentement et sûrement.
Femmes, je vous aime !
Quelle horreur… Surtout quand on pense à toutes celles dont on ne saura jamais rien…
Roxana Saberi libérée.
« AFP – La justice iranienne ne reconnaît pas son innocence mais la libère…
Pas innocente, mais libre. De huit ans de prison, la peine de Roxana Saberi a été réduite en appel ce lundi matin à deux ans avec sursis. La journaliste irano-américaine devrait avoir quitté en début d’après-midi la prison d’Evine, au nord de Téhéran.
L’intervention fin avril du président Ahmadinejad, plus connu pour ses propos antisémites que pour sa clémence, aura sûrement pesé dans la balance. Le président iranien avait demandé de faire «le nécessaire pour assurer le respect de la justice et l’exactitude dans l’examen des accusations» portées contre Roxana Saberi. «
YES !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Merci ! Merci ! Merci !
anti
Excellente nouvelle, il était temps…