Heinkel He 72
Aujourd’hui j’ai envie de vous parler une fois encore de l’une de ces femmes à la destinée remarquable par bien des façons, j’ai nommé : Beate Köstlin-Ushe.
Le 25 octobre 1919 voit donc naître la petite Beate Köstlin en Prusse orientale, à Wargenau, cadette des trois enfants d’un propriétaire fermier (Otto Köstlin) et d’une femme médecin, Margarete Köstlin.
À l’âge de 8 ans, son frère lui raconte la légende d’Icare. Elle est tellement fascinée par l’histoire et l’idée de voler qu’elle se bricole des ailes avec des plumes de poule et se lance du toit de la véranda de la maison familiale.
Beate est une enfant pleine d’énergie. Ses parents ne la freinent pas, au contraire ils l’encouragent et la soutiennent dans ses goûts et ses passions. Elle a droit à une éducation dans des internats divers dont la Odenwaldschule à Heppenheim et sur l’île de Juist.
Ses parents expliquent très tôt à leurs enfants les secrets de la sexualité et de l’hygiène nécessaire qui s’y rapporte. Il n’y avait là rien de révolutionnaire, le ministère de l’Éducation de Prusse avait émis un décret en date du 2 septembre 1900 instaurant une sorte d’éducation sexuelle dans les écoles d’État.
À l’âge de 15 ans, elle remporte au championnat de sport de la Hesse l’épreuve de lancer du javelot.
Cette jeune fille de caractère grandit et ne veut en aucun cas devenir fermièreou médecin comme ses parents. Son rêve est de devenir pilote.
Une première carrière comme pilote
À 16 ans, elle va passer un an en Angleterre travailler au pair pour apprendre l’anglais. Elle revient ensuite dans la ferme paternelle où elle accepte de suivre une formation de maîtresse de maison pour faire plaisir à ses parents.
Au cours d’un déplacement à Berlin, son père fait fortuitement la connaissance de Wilhelm Sachsenberg, le spécialiste du vol motorisé au sein de l’Aéroclub allemand et lui fait part de ses soucis concernant sa fille, folle d’aviation et de la « bêtise » que ce serait qu’elle devienne pilote. Sachsenberg se montre compréhensif et envoie à Beate (qui a maintenant 17 ans) de la documentation concernant la formation au pilotage.
L’élève pilote Beate Köstlin en 1937 à Rangsdorf.
Elle a finalement gain de cause envers ses parents et elle découvre la sensation de voler à l’école de pilotage de Rangsdorf près de Berlin dans un Heinkel He 72 piloté par son instructeur Tobaschefski. Elle est « lâchée » pour son premier vol en solo trois semaines plus tard seulement. Le pilote instructeur lui fait faire sa conversion sur Klemm Kl 25 et Focke-Wulf Fw 44, puis elle passe ensuite sur un Bücker Bü 131 Jungmann, appareil qui jouera encore un grand rôle dans sa vie. Elle effectue sa grande navigation triangulaire en solitaire sur le trajet Rangsdorf – Magdeburg – Halle – Leipzig – Rangsdorf les 11 et 12 octobre et elle reçoit son brevet de pilote « A2 » le jour ses 18 ans.
Avec ceci, elle présente sa candidature dans l’usine de construction aéronautique Bücker Flugzeugbau de Rangsdorf où elle est embauchée somme stagiaire le 1er novembre et où elle occupe ensuite divers postes dans tous les départements jusqu’au 30 avril 1938.
Cette société qui avait déjà eu en la personne de Luise Hoffmann une femme pilote d’essai et de démonstration soutint les ambitions de Beate qui apprit pendant cette période à voler sur Gotha Go 145 et Arado Ar 66 (jusqu’au brevet de classe « B1 ») mais en plus elle s’initia à la voltige aérienne.
Son instructeur était Hans-Jürgen Uhse qu’elle épousera plus tard. Elle ne passa cependant l’épreuve de voltige « K 1 » que le 19 août 1938. Mais un mois auparavant, elle avait déjà participé au premier concours « vol de fiabilité pour femmes pilotes » et remporté la deuxième place (sur 13 candidates) derrière Melitta Schiller aux commandes d’un Klemm Kl 25.
Trois semaines plus tard, l’usine l’envoie participer avec un Bü 131 A À la compétition de Courtrai en Belgique où elle remporte la 1re place de sa catégorie avec son moteur poussif de 80 ch et la 3e place au classement général. Le 16 mai 1939, elle passe avec succès son brevet de voltige K2. Trois mois plus tard, lors du deuxième « concours de fiabilité pour femmes pilotes », elle remporte la 3e place sur un Bücker Bü 180 derrière Liesel Bach (sur Bü 180) et Luise Harden (sur Siebel Si 202), à nouveau parmi 13 candidates.
Quelques jours seulement avant le début de la Seconde Guerre mondiale, elle est envoyée en mission à Thurö au Danemark avec un Bücker Bü 133 Jungmeister pour y présenter l’appareil. Sa renommée est désormais acquise.
Amoureuse de son instructeur Uhse depuis le tout début, elle avait toujours refusé ses demandes en mariage. Elle disait qu’elle « ne renoncerait jamais à piloter à cause d’un homme ». Comme son instructeur la soutenait énergiquement dans ses ambitions, elle accepta finalement de l’épouser, mais alors c’est son père qui se mit en travers de sa route. Il refusa pendant un an de donner son autorisation au jeune couple. La cérémonie du mariage est fixée pour le 10 octobre 1939 mais de début de la guerre fait capoter le plan. Son mari doit partir au front le 28 septembre. Beate et lui se marient 4 heures avant son départ selon la procédure d’urgence dite Kriegstrauung (« mariage de guerre »).
Cascadeuse
Lorsqu’une société cinématographique demande à Bücker de fournir des pilotes pour doubler des acteurs célèbres, Bücker propose Beate qui est assez petite pour se cacher sur le siège avant et faire rouler l’avion au sol ou même voler pendant que les acteurs (comme Hans Albers ou René Deltgen) jouent les héros, assis sur le siège arrière…
La guerre
Elle est engagée par Bücker comme pilote et avec les trois autres pilotes de l’usine, elle fait la mise en vol des avions neufs ou réparés et leur convoyage souvent jusqu’en Hongrie. Le 1er avril 1942, Beate Uhse quitte la société Bücker pour rejoindre la nouvelle société de réparation aéronautique de l’as de la 1re guerre Alfred Friedrich à Strausberg pour y effectuer le même travail. À partir d’avril 1944, elle assure le convoyage d’appareils, essentiellement des Junkers Ju 87 produits par Weser Flugzeugbau à Tempelhof pour les acheminer dans les unités combattantes.
Son fils Klaus naît en 1943. Comme elle travaillait pour l’industrie de guerre elle est autorisée à conserver son travail et a le droit d’employer une nourrice qui garde aussi sa maison de Rangsdorf. En mai 1944, son mari Hans-Jürgen meurt dans un accident : elle devient veuve à 26 ans, mère d’un enfant de un an.
Elle a la possibilité de piloter au sein de la Luftwaffe des appareils sur lesquels elle n’aurait pas pu voler comme simple pilote amatrice. Elle pilote ainsi en plus des Ju 87, des Messerschmitt Bf 109 et des Focke-Wulf Fw 190, parfois aussi des bimoteurs Messerschmitt Bf 110. Lors de ces vols, il arrive qu’elle soit exposée au tir de chasseurs alliés. Elle réussit cependant à s’en sortir grâce à ses talents de pilote et sa chance.
À partir du 1er octobre 1944, elle est promue au grade de capitaine du 1er escadron de convoyage (Überführungsgeschwader) , Gruppe Mitte situé à Staaken. Tout à la fin de la guerre, en avril 1945, elle y reçoit une formation sur le chasseur à réaction Messerschmitt Me 262. Elle pense avoir après la guerre grâce à cette formation de bonnes chances comme pilote sur le marché du travail.
En avril 1945, Berlin est encerclée par les troupes soviétiques. Son escadrille est mutée de Staaken vers l’ouest. Elle revient tout juste d’un vol de convoyage depuis Leipzig et ne veut en aucun cas partir sans son fils et la fille de 19 ans qui le garde. Elle parvient à rejoindre la maison de Rangsdorf dans Berlin en ruines et les évacue. Ils parviennent à rejoindre Gatow, le seul aérodrome encore opérationnel. Les autres membres de l’escadrille sont déjà partis. Un Junkers Ju 52 chargé de blessés et prêt à décoller pourrait la prendre avec son fils mais pas la nurse. Elle reste et découvre dans un hangar un Siebel Fh 104 à 5 places mais sur lequel est accroché un panneau « UNKLAR » (interdit de vol). Un mécanicien de bord de la deuxième escadrille, resté sur place, l’aide à le remettre en état de vol. Elle lit pour la première fois le manuel de vol de cet avion qu’elle n’a jamais piloté pendant que l’on remplit le réservoir avec 120 litres que le commandant de la place lui a accordés contre la promesse d’emporter deux blessés. Elle décolle avec son fils, la nurse, les deux blessés et le mécanicien de bord le 22 avril à 5 h 55, direction l’ouest. Son avion est l’un des derniers à quitter Gatow. Elle rejoint son escadrille à Barth et après avoir beaucoup bataillé pour conserver son appareil que voulait lui prendre son chef d’escadrille et après une autre escale à Travemünde, elle arrive en vue de Leck dans le nord de la Frise orientale. Malgré le peu de carburant qu’il lui reste, elle doit rester à l’écart de l’aérodrome car des appareils anglais attaquent les avions allemands au sol. Elle peut enfin se poser après leur départ. Les troupes anglaises qui débarquent ici la font prisonnière. Après son retour de captivité, elle se fixe à Flensbourg avec son fils.
Une deuxième carrière dans le commerce
La carrière de pilote de Beate Uhse prit fin avec la capitulation, les troupes d’occupation alliées interdisant toute activité liée à l’aéronautique. La jeune veuve dut trouver un autre moyen pour survivre et nourrir son fils. Au début, elle traficota un peu comme tout le monde sur le marché noir. Elle vendait ses produits au porte-à-porte et fit ainsi la connaissance de nombreuses femmes et de leurs problèmes. Les soldats de retour de captivité et leurs femmes avaient un grand besoin de vivre leur sexualité après les années de séparation mais il n’y avait pas d’appartements disponibles dans les villes écrasées sous les bombes, les revenus étaient misérables et on ne voyait pas d’avenir pour les enfants. De nombreuses femmes ne concevaient pas d’autre issue que de s’en remettre aux faiseuses d’anges pour interrompre leurs grossesses. C’est là que Beate se souvint de l’enseignement prodigué par sa mère en matière de sexualité, d’hygiène sexuelle et de contraception. Elle rechercha des informations sur la méthode du docteur Ogino et réalisa une petite brochure expliquant aux femmes comment reconnaître les jours féconds de leurs cycles menstruels.
En 1947, elle en avait déjà vendu 32 000 exemplaires à 50 pfennigs / pièce et elle put, grâce à ce capital, étendre sa petite entreprise de vente par correspondance Betu-Versand à des grandes villes comme Hambourg et Brême. De nombreuses personnes lui écrivaient pour lui demander des conseils en matière de sexualité et d’érotisme. Elle dit dans son autobiographie : «La plupart des gens ne savaient rien des choses de la vie. » En plus de son cahier intitulé Schrift X, elle vendait aussi des préservatifs et des livres destinés aux couples (Ehebücher).
En 1951, elle créa avec quatre employé(e)s l’entreprise de vente par correspondance qui portait désormais son nom. Deux ans plus tard, l’entreprise employait 14 personnes. Beate se remaria avec Ernst-Walter Rotermund, un homme d’affaires de Flensburg, dont elle eut un deuxième fils, Ulrich.
En 1960, la naturiste pratiquante devint membre de l’association allemande de naturisme.
En 1962, elle ouvrit à Flensburg un magasin spécialisé dans les produits d’hygiène du couple (Fachgeschäft für Ehehygiene), le premier « Sex-shop » du monde.
Sur les conseils de son avocat, elle ouvrit le magasin en période de Noël, car celui-ci pensait que les citoyens en colère n’oseraient pas attaquer le magasin et qu’après les fêtes, la première vague de protestation serait passée – il avait vu juste.
Dans son magasin et dans ses catalogues elle proposait de plus en plus d’articles destinés à l’« hygiène du couple ». Très vite, la police commença à donner suite aux plaintes déposées par des citoyens craignant que ces produits ne servent à « exacerber et satisfaire la sensualité de manière contraire à la nature, à l’ordre et aux bonnes mœurs. » Jusqu’en 1992, plus de 2000 plaintes sont déposées contre son entreprise. Beate connaît des déboires dans un autre domaine à cause de la nature de son commerce.
L’association allemande du livre (Börsenverein des Deutschen Buchhandels) refuse d’accueillir son éditeur, le Stephenson Verlag, comme membre en raison de « réserves envers sa moralité » et le club de tennis de Flensburg ne veut pas l’admettre comme membre pour « réserves d’ordre général. »
Cependant, le succès commercial lui permet de réaliser son vieux rêve. Elle s’achète son premier avion , un Cessna 172 aux commandes duquel elle se revoit jeune fille.
C’est une réussite phénoménale ! Beate Uhse fait une entrée en Bourse fort remarquée en 1999 et reste actuellement en expansion tous azimuts (e-business, chaîne de télévision, cinéma).
Il faut dire que ses magazins implantés en plein centre des villes n’ont rien du sordide des sex-shop de quartier de la gare. Au contraire, agréables, ils sont fréquentés par une clientèle plutôt sympatique et détendue.
En 1979, elle a divorcé de son deuxième mari, Ernst-Walter Rotermund. En 1983, elle est atteinte d’un cancer de l’estomac qu’elle vaincra.
Elle passe son brevet de plongée sous-marine à l’âge de 75 ans !!!
En 1996, elle réalise enfin un autre rêve, caressé depuis de nombreuses années, et ouvre un musée de l’art érotique(Beate-Uhse-Erotikmuseum) au centre même de Berlin.
Beate Uhse meurt en juillet 2001 dans une clinique suisse des suites d’une pneumonie aggravée. Elle est inhumée au cimetière de Glücksburg (près de Hambourg).
Avec le cinéaste allemand Oswalt Kolle, elle est une des personnalités allemandes qui aura le plus fait pour l’éducation sexuelle. Elle avait été décorée en 1989 de la croix du mérite de la RFA (Bundesverdienstkreuz) et nommée citoyenne d’honneur de la ville de Flensbourg en 1999.
Un article sur les différences culturelles sur la chose Le sex-shop en Allemagne: différences culturelles ?.
A voir (en anglais) le blog de Silvia la petite nièce de Beate.
Anti, béate à la maison.
Source article Wikipédia entre autre.
Quelle vie extraordinaire ! Grand respect pour cette femme magnifique à plus d’un titre.
Anna, le soleil dans le scorpion
Wouaaaaa, quel post !! pour avoir grandi en Allemagne, je ne connaissais que les sex shop Beate Uhse. J’ai même « visité » celui de Berlin, juste à côté du musée si je me souviens bien. 🙂
Merci pour cette biographie détaillée, je vais m’y pencher pour la lire en détail dès que j’aurai le temps. C’est passionnant !
J’ai vécu plusieurs années en Allemagne et m’y suis rendue assez souvent par la suite. Il est vrai que ces sex-shop en plein centre ville m’ont intriguée. Tellement pas de complexe, pas de sordide, tellement différent de la fausse pudeur française. Allemagne, pays qui affiche aussi un rapport différent et beaucoup plus sain et naturel au corps, totale FKK Freikörper-Kultur ! (Culture du corps libre)
anti, Gemütlichkeit.