Réminiscence

J’ai déjà raconté sur ce blog comment j’écris. Quand je commence un nouveau roman, je n’ai absolument aucune idée de ce qui va s’y passer, aucun plan structuré, rien à part deux choses: le titre (impossible de démarrer tant que je n’en ai pas choisi un) et la toile de fond (ici, l’histoire des Templiers et de la maçonnerie). Ensuite, les personnages se mettent en place et évoluent (d’une façon imprévisible au départ) et l’intrigue se déroule au fur et à mesure des idées qui me passent par la tête.

Le chapitre 15 de mon manuscrit en cours en est une illustration typique. Une fois le 14 écrit fin août, je n’avais aucune idée de comment poursuivre. J’ai commencé par explorer une piste plutôt compliquée, à mes moments perdus. Peu importe laquelle puisque je ne l’ai pas retenue. Ca ne devait pas être la bonne. Pendant un mois, rien n’est venu. Pas une ligne, pas un mot. C’est juste que ce n’est pas comme ça que ça marche, du moins pour moi. En fait, c’est beaucoup plus simple: y réfléchir longtemps à l’avance ne me sert à rien. A un moment, ça vient tout seul, c’est tout.

C’est ce qui s’est passé hier, à peine dans le train. Tout mon chapitre s’est formé instantanément dans ma tête, comme une évidence – et sans aucun rapport avec mes prises de tête de ces dernières semaines.

Lorsque j’en étais au tout début de l’écriture (vers le chapitre 3 ou 4), j’ai écrit au dos d’une carte de visite le mot « Réminiscence ». Pourquoi ce mot? Aucune idée, rien d’autre qu’un truc qui me passait par la tête et qu’il fallait que je mette de côté. La carte a ensuite trainé sur ma table de nuit pendant des mois. Je voyais ce mot tous les soirs en me couchant, sans plus y prêter la moindre attention. Je me disais juste qu’à un moment ou un autre, je l’utiliserais.

Hier, alors que le TGV quittait le quai de Nîmes, j’ai allumé mon PC, chargé le manuscrit à l’écran et tapé: « Chapitre 15, Réminiscence ».

Voilà qui donnait le cadre. Puis j’ai ouvert le document où je mets de côté des citations que je récolte au fil de mes lectures. Une phrase de René Guénon m’a sauté aux yeux. Elle semblait avoir été écrite pour résumer ce que j’allais raconter:

« Le symbole demeure, mais quand l’esprit s’est retiré, il n’est plus qu’une forme vide. »

Ensuite, les mots se sont enchaînés sans effort. Une version brute de moins de trois feuillets à l’aller. Une version plus fluide, passant à cinq feuillets par petites retouches successives, au retour. Je tenais mon chapitre. Il nécessite encore un petit peu de lissage, quelques détails minimes à ajuster.

Mais tout est là, comme si ça avait toujours été là.

Des éléments de l’intrigue apparus dans les 120 feuillets précédents trouvent tout à coup leur prolongement, leur explication, leur cohérence, leur importance comme si je les avais mis là, des mois plus tôt, pour amener ce que j’allais écrire hier. Et une logique dont je n’avais aucune conscience pendant l’écriture se forme et s’impose d’elle-même.

Deux précisions:
– Je ne veux pas dire ici que je trouve mon écriture suprêmement géniale ou divinement inspirée ou quoi que ce soit d’autre de ce genre. Rien n’empêche qui que ce soit de penser, en lisant mes livres, qu’ils sont hyper mal écrits et inintéressants. Je ne fais que décrire comment les choses se passent quand j’écris.
– Le photomontage illustre un détail-clé du chapitre 15 mais vous saurez pourquoi seulement si vous lisez les 14 précédents 🙂

5 Replies to “Réminiscence”

  1. anti Post author

    Y’a pas de gloire à ça Adele, c’était mon sujet de prédilection pendant mes études, le langage et particulièrement le langage écrit. Ca doit être aussi pour ça que j’aime tant les symboles. Ils sont complètement remplis de sens or les mots ne sont que des symboles. Des symboles en lieu et place d’abstraction. Tout comme l’action vaut mille fois plus que les mots.

    Réminiscence. J’adore. D’autant plus que je le disais sans le mentionner vraiment que je suis en train de composer une note sur le mythe de Léthé autant dire sur la source de l’oubli. Qu’est-ce que la réminiscence ? C’est des choses non dites qui pourrissent la vie.

    « Pour résumer, les hystériques souffrent de réminiscences. Leurs symptômes sont les résidus et les symboles de certains événements (traumatiques). Les patients ne se libèrent pas d’un passé douloureux, et négligent pour lui la réalité et le présent.

    Ces réminiscences sont chargées d’affects. De ces affects dépendent et la maladie et le rétablissement de la santé.

    Tantôt ils persistent et font peser leur poids sur toute la vie psychique, tantôt ils se transforment en processus physiques anormaux, processus d’innervation ou d’inhibition, qui ne sont pas autre chose que les symptômes physique de la névrose. C’est alors une hystérie de conversion. »

    Ca c’est pour le côté pathologique. C’est amusant parce que Anna et moi avons un point de divergence total à ce niveau. Pour moi, c’est « dire » pour aller de l’avant, pour elle, dire envenime. Sa grand-mère doit se retourner dans sa tombe !

    LE LÉTHÉ

    Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde,
    Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;
    Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
    Dans l’épaisseur de ta crinière lourde ;

    Dans tes jupons remplis de ton parfum
    Ensevelir ma tête endolorie,
    Et respirer, comme une fleur flétrie,
    Le doux relent de mon amour défunt.

    Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !
    Dans un sommeil aussi doux que la mort,
    J’étalerai mes baisers sans remord
    Sur ton beau corps poli comme le cuivre.

    Pour engloutir mes sanglots apaisés
    Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;
    L’oubli puissant habite sur ta bouche,
    Et le Léthé coule dans tes baisers.

    À mon destin, désormais mon délice,
    J’obéirai comme un prédestiné ;
    Martyr docile, innocent condamné,
    Dont la ferveur attise le supplice,

    Je sucerai, pour noyer ma rancœur,
    Le népenthès et la bonne ciguë
    Aux bouts charmants de cette gorge aiguë,
    Qui n’a jamais emprisonné de cœur.

    Charles Baudelaire.

    anti

  2. voiedoree Post author

    il va falloir que je me reconnecte à tes écrits Anna, mais ça va venir. Sur ta façon d’écrire, je crois que je te rejoins, les évènements se mettent en place au jour le jour, à un certain moment, lorsque les circonstances deviennent favorables les lignes s’imposent à notre esprit, ce qui prouve bien que c’est à peine nous qui écrivons.

  3. Anna Galore Post author

    Le côté pathologique de la réminiscence n’est que l’un des nombreux sens de ce mot, qui veut dire, plus généralement, retour à la mémoire d’un souvenir ancien, sans connotation négative particulière.

    Voici ce qu’en dit le TILF (Trésor Informatisé de la Langue Française http://atilf.atilf.fr/tlf.htm):

    RÉMINISCENCE, subst. fém.

    A. PHILOSOPHIE

    1. [Chez Platon] Souvenir d’une connaissance acquise dans une vie antérieure, quand l’âme, qui vivait dans le monde supra-sensible des essences, contemplait les Idées. Réminiscence platonicienne; mythe, théorie de la réminiscence. Ce que Platon appelait réminiscence, Descartes l’appelait idées innées (P. LEROUX, Humanité, 1840, p. 273). C’est sur la réminiscence que Platon fonde la possibilité de la connaissance; c’est par elle qu’il expliquera les idées premières, antérieures et supérieures à l’expérience (É. CHAMBRY, Platon, 1967, p. 317).

    2. [Chez Aristote] Faculté de rappeler volontairement les souvenirs«  (LAL. 1968). Synon. mémoire volontaire (v. mémoire1).

    B. PSYCHOLOGIE

    1. Retour à la conscience d’une image, d’une impression si faibles ou si effacées qu’à peine est-il possible d’en reconnaître les traces. Réminiscence du passé; confuse, vague réminiscence. On dirait très-bien de quelqu’un dont la tête faiblit (…): « Il n’a que des réminiscences, il n’a plus de souvenirs ». La réminiscence est, en un mot, un réveil fortuit de traces anciennes dont l’esprit n’a pas la conscience nette et distincte (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 9, 1864, p. 136):

    … qu’il s’agît (…) de réminiscences comme celle de l’inégalité des deux marches ou le goût de la madeleine, il fallait tâcher d’interpréter les sensations comme les signes d’autant de lois et d’idées, en essayant de penser, c’est-à-dire de faire sortir de la pénombre ce que j’avais senti…
    PROUST, Temps retr., 1922, p. 878.

    2. a) Souvenir où domine plus ou moins l’élément affectif. Réminiscence de l’enfance, de la jeunesse; réminiscence de lecture. Les plus belles choses qu’un auteur puisse mettre dans un livre, sont les sentimens qui lui sont apportés, par réminiscence, des premiers jours de sa jeunesse (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 135).

    b) Souvenir qui inspire, qui influence la création artistique et, p. méton., l’emprunt, le plagiat inconscient ainsi réalisé. Réminiscence littéraire, musicale, poétique. Un poëte, qui, en faisant des vers, imite un autre poëte sans bien s’en rendre compte, et qui refait des hémistiches déjà faits est dit avoir des réminiscences (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 9, 1864, p. 136).

    3. Mémoire profonde, lointaine, comme venue du fond des âges. Synon. mémoire collective.

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