S’il est bien un artiste peintre qui me met en état de Grâce, c’est lui, c’est Henri Matisse. Autant que je me souvienne, ado, j’ai essayé maintes et maintes fois de reproduire un « Nu bleu 2 » sans succès (tu m’étonnes !) J’ai compris qu’arriver à l’apparente simplicité de l’œuvre est l’apanage des grands artistes de ce monde (A ce sujet, on peut relire la note sur Brancusi).
L’expression Bleu de Matisse me faisait rêver et, en vacances à Cuba, j’avais l’impression d’en voir partout de ce bleu malicieux ! Pas étonnant quand on sait combien d’autres endroits tropicaux comme Tahiti l’ont marqué.
» J’irai vers les îles, pour regarder sous les tropiques, la nuit et la lumière de l’aube qui ont sans doute une autre densité . La lumière du Pacifique est un gobelet d’or profond dans lequel on regarde. Je me souviens qu’à mon arrivée, ce fut décevant et puis peu à peu, c’était beau, c’était beau, c’était beau ! Les feuilles des hauts cocotiers, retroussées par les alizés, faisaient un bruit soyeux. Ce bruit était posé sur le grondement de fond d’orchestres des vagues de la mer venant de briser sur le récif. Je me baignais dans le lagon. Je nageais autour des couleurs des coraux soutenus par les accents piquants et noirs des holothuries… »
Matisse donc. Pendant nos vacances en Italie, j’ai programmé un p’tit détour vers un lieu que je rêvais de visiter depuis des années : La chapelle du Rosaire ou Chapelle de Matisse.
Je veux que cette croix s’élève dans le ciel comme une prière légère et haute comme une fumée
Voici ce qu’on peut lire sur le site de la ville de Vence :
La Chapelle du Rosaire, chef d’œuvre conçu par Henri Matisse reste un monument d’art sacré unique au monde.
De 1948 à 1951, Matisse élabore les plans de l’édifice et tous les détails de sa décoration : vitraux, céramiques, stalles, bénitiers, objets du culte, ornements sacerdotaux…
Pour la première fois, un peintre réalise un monument dans sa totalité, de l’architecture au mobilier et aux vitraux.
La première pierre de la chapelle est posée en 1949. L’inauguration et la consécration à Notre Dame du Rosaire, ont lieu en 1951.
L’histoire de la Chapelle du Rosaire
Installé à Vence à la villa « Le Rêve », de 1943 à 1949, Matisse, malade, engage une jeune infirmière, Monique Bourgeois qu’il qualifie de « magnifique personne » et dont il apprécia beaucoup le dévouement. Elle devient sa confidente et son modèle (l’Idole, La Robe verte et les Oranges) , elle aime dessiner et s’intéresse au travail de Matisse. Pourtant, c’est une autre vocation qui l’appelle, en 1946, cette jeune femme entre dans les ordres de Saint Dominique et devient Sœur Jacques-Marie.
Devenue sœur soignante, elle continue à prodiguer des soins au peintre. En août 1947, Sœur Jacques-Marie confie à Matisse son désir de voir décorer l’oratoire aménagé par les religieuses dans une pièces de leur couvent.
Matisse voit grand et conçoit le projet de construire intégralement une chapelle serait offerte aux dominicaines. Entouré par des religieux, le Frère Rayssiguier et le Père Couturier, conseillé par des architectes, Auguste Perret et Milon de Peillon, recourant à l’habileté d’entrepreneurs et artisans Vençois, le maître travaille quatre années (de 1948 à 1951) pour élaborer les plans de l’édifice et tous les détails de sa décoration (vitraux, céramiques, stalles, bénitiers, objets de culte, ornements sacerdotaux…). Pour la première fois, un peintre réalise un monument dans sa totalité, de l’architecture au mobilier et aux vitraux.
La première pierre de la chapelle est posée et bénie par Monseigneur Rémond, évêque de Nice, le 11 décembre 1949.
L’inauguration et la consécration à Notre Dame du Rosaire, ont lieu le 25 juin 1951. Matisse, malade n’a pu assister à cette cérémonie, mais il a fait lire un texte par le Père Couturier :
Je la considère malgré toute ses imperfections comme mon chef-d’œuvre ».
Loin de n’être qu’un hasard dans la vie de Vence, le chef d’œuvre de Matisse qui voit alors le jour marque en fait la confirmation d’une vocation.
Celle d’une petite cité à l’histoire fertile, habitée depuis des siècles par l’esprit de la création et l’amour des arts.
Discrète, on ne la remarque que par son toit de tuiles blanches et bleues et par sa croix de fer forgé haute de treize mètres, portant des croissants de lunes et des flammes dorées.
Simple, lumineux, spacieux et équilibré : ainsi peut être défini l’intérieur de la chapelle. Placés entre la couleur des vitraux et les dessins, nous sommes à l’intérieur du tableau qu’a créé Matisse, l’un des « fauves » du début du siècle.
L’autel est placé au centre de l’espace et fait face aux deux nefs. La couleur de la pierre dans laquelle il a été construit rappelle celle du Pain Eucharistique (pierre du Gard).
Les murs, le sol et le plafond blancs contrastent avec les vitraux qui chaque jour laissent pénétrer la lumière.
Trois couleurs composent ces vitraux : le jaune (la lumière du soleil et celle de Dieu), le vert (la nature) et le bleu (le ciel méditerranéen).
Trois grandes œuvres réalisées « au trait » sur des céramiques blanches décorent les murs de la chapelle. Seul le reflet des vitraux colore ces trois compositions : « Saint Dominique », « La Vierge et l’Enfant », et le « Chemin de Croix ».
Une galerie, présentant les dessins préparatoires de la Chapelle ainsi que des modèles de chasubles conçus par Henri Matisse, est ouverte dans la partie Nord de la chapelle du Rosaire.
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Alors, en vrai ça donne quoi de visiter cette chapelle ?
Eh bien, c’est tout simplement fabuleux ! Matisse disait « Je veux que ceux qui entreront dans ma chapelle se sentent purifiés et déchargés de leurs fardeaux ». C’est assez réussi ! On se sent comme dans un grand bateau qui pourrait naviguer sur toutes les eaux, toujours en toute quiétude, même dans les eaux. Être dans cette chapelle, c’est comme plonger au sein d’une mer limpide.
La chapelle mesure 15 mètres de long, 6 mètres de large et 5 mètres de haut. La décoration n’est faite que de 3 couleurs (vitraux) et de dessins (3 panneaux de céramique). Tout y est Lumière, Art, manifestation de l’Esprit, Spiritualité. Tout y est symboles.
Le vitrail au fond, derrière l’autel, porte le nom de « Arbre de Vie ». Matisse a pris pour sujet le cactus à palette en fleur,le jugeant symbole d’endurance, de volonté de vivre, car cette plante pousse même dans le désert aride et porte des fleurs puis des fruits. La double fenêtre est couronnée d’un rideau jaune, tombant en draperie sur les côtés.
Grâce aux composants du verre bleu, le soleil, à toute heure du jour, projette à travers les vitraux sur le sol blanc, et en hiver, jusque sur les céramiques des murs opposés, des taches de lumière allant du mauve au pourpre, alors que le jaune dépoli donne des reflets ocres.
15 fenêtres en tuyaux d’orgue au motif également végétal, des feuilles de palmiers positionnées de manière différente sur les deux secteurs du même ensemble.
6 larges colonnes pour la partie réservée aux fidèles et 9 étroites derrière des stalles destinées aux Sœurs de la Communauté.
Les deux grands côtés de la chapelle décorés différemment, se soutiennent en s’opposant.
D’un espace clair soleil sans ombre qui enveloppe notre esprit, à gauche, nous passons à droite et y trouvons un mur de céramique.
Ils sont l’équivalence visuelle d’un grand livre ouvert, où les pages blanches portent des signes explicatifs de la partie musicales constituée par les vitraux.
Le panneau de Saint Dominique, ainsi que celui de la Vierge à l’enfant sont de la même hauteur, d’esprit décoratif. Leur sérénité a un caractère de tranquille recueillement qui leur est propre…
Le panneau du chemin de Croix s’anime d’un souffle différent, il est impétueux.
C’est la rencontre de l’exécutant avec le grand drame du Christ, elle fait rayonner sur la chapelle l’esprit passionné de l’artiste.
Henri Matisse a fait de ces 14 scènes,en leur conservant leur individualité, un tout cohérent. Formant un chemin ascendant, tout s’organise autour du motif principal, le Christ en Croix. C’est une évocation de la parole du Christ : Quand je serai élevé delaTerre, j’attirerai tout à moi.
Les céramiques sont l’essentiel spirituel qui explique la signification du monument. Aussi deviennent-elles, malgré leur apparente modestie, le point central de l’édifice, dont le rôle est de préciser le recueillement que nous devons éprouver.
L’autel : 3 blocs de pierre. Le socle de deux marches, le fût, la dalle, son orientation vers l’est, le prêtre officiant face aux fidèles et aux religieuses.
La pierre, c’est la pierre de Rogne : elle fut spécialement choisie pour sa couleur et son aspect semblables au pain, nourriture du corps et de l’âme.
Le tabernacle, à la porte gravée par l’artiste, est logé au centre de la dalle, dans la masse de la pierre; il fait corps avec elle. Le crucifix, sculpté de la main de Matisse, domine et garde l’ensemble. Le Ciboire est orné d’aquatinte originale. La nappe reproduit des dessins.
Les chandeliers évoquent les corolles d’anémones stylisées. La lampe du sanctuaire, le fauteuil ou encore le prie-Dieu ont été eux aussi dessinés par l’artiste.
La porte du confessionnal rappelle les tentures orientales figurants dans certains de ses tableaux.
(Texte Chapelle du Rosaire des Dominicaines de Vence, Henri Matisse)
Toute ma vie j’ai été influencé par l’opinion courante de mes débuts, époque où l’on acceptait seulement de consigner les observations faites sur la nature, où tout ce qui venait de l’imagination ou du souvenir était appelé « chiqué » et sans valeur pour la construction des œuvres plastiques. Les maîtres des Beaux-Arts disaient à leurs élèves : « Copiez bêtement la nature. »
Pendant toute ma carrière, j’ai réagi contre cette opinion à laquelle je ne pouvais me soumettre et cette lutte a été la source des différents avatars de ma route, pendant laquelle j’ai cherché des possibilités d’expressions en dehors de la copie littérale, tels le divisionnaire et le fauvisme.
Ces révoltes m’ont conduit à étudier séparément chaque élément de construction : le dessin, la couleur, les valeurs, la composition, comment ces éléments peuvent s’allier en une synthèse sans que l’éloquence de l’un d’entre eux soit diminuée par la présence des autres et à construire avec ces éléments, non diminués de leur qualités intrinsèque par leur réunion, c’est-à dire en respectant la pureté des moyens.
Chaque génération d’artistes voit différemment la production de la génération précédente. Les tableaux des impressionnistes, construits avec des couleurs pures, ont fait voir à la génération suivante que ces couleurs, si elles peuvent servir à la description des choses ou des phénomènes de la nature, ont elles-mêmes, indépendamment des objets qu’elles servent à exprimer, une action importante sur le sentiment de celui qui les regarde.
C’est ainsi que des couleurs simples peuvent agir sur le sentiment intime avec d’autant plus de force qu’elles sont simples. Un bleu, par exemple, accompagné du rayonnement de ses complémentaires, agit sur le sentiment comme un coup de gong énergique. De même, pour le jaune et le rouge et l’artiste doit pouvoir en jouer selon la nécessité.
Dans la chapelle, mon but principal était d’équilibrer une surface de lumière et de couleurs avec un mur plein, au dessin noir sur blanc.
Cette chapelle est pour moi l’aboutissement de toute une vie de travail et la floraison d’un effort énorme, sincère et difficile.
Ce n’est pas un travail que j’ai choisi mais bien un travail pour lequel j’ai été choisi par le destin sur la fin de ma route, que je continue selon mes recherches, la chapelle me donnant l’occasion de les fixer en les réunissant.
Je pressens que ce travail ne sera pas inutile et qu’il pourrait rester l’expression d’une époque d’art, peut-être dépassée, je ne crois pourtant pas. Il est impossible de le savoir aujourd’hui, avant la réalisation des mouvements nouveaux.
De cette expression du sentiment humain les erreurs qu’elle peut contenir tomberont d’elles-mêmes, mais il restera une partie vivante qui pourra réunir le passé avec l’avenir de la tradition plastique.
Je souhaite que cette partie,que j’appelle mes révélations, soit exprimées avec suffisamment de force pour être fertilisante et retourner à sa source.
Henri Matisse
A savoir, après la visite de la chapelle, on accède à un petit musée attenant, dans lequel on peut voir des croquis de l’artiste ainsi que les différents ornements de chasubles dessinés par Matisse.
Quelques liens pour approfondir :
Musée Matisse de Nice
Matisse, centre Pompidou
Musée Matisse de Cateau Cambresis.
Le Vitrail « Les Abeilles » de l’école enfin restauré, sera visible pendant les journées du Patrimoine 2009, qui se tiendront les 19 et 20 Septembre prochains.
Enfin, pour le plaisir, ce lien vers l’exposition que j’avais eu le grand bonheur de voir en 2005 avec des enfants plus que ravis : Matisse, une seconde vie. (Article de Arte Ici.)
anti
Photos 5, 6, 7, 8, 9 et 10 Anna Galore, recadrage Anti). Les autres sont de moi.
Un enchantement, que cet endroit.
Je rejoins totalement ta remarque sur la simplicité : rien n’est plus difficile ! Matisse a su atteindre cette pureté des lignes et des couleurs pour donner, dès qu’on pénètre dans la chapelle, une sensation immédiate d’harmonie et de sérénité.
Merci pour cette re-visite de La Chapelle du Rosaire de Matisse. C’est la sérénité à travers la lumière.
J’ai trouvé cette note sur le thème de l’Arbre de vie extrait de l’Apocalypse:
« De part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de Vie qui fructifient douze fois, une fois chaque mois, et leurs feuilles peuvent guérir les païens. »
Mais sans chlordécone les feuilles….
Il y a quelques années, j’ai visité l’Abbatiale Sainte Foy à Conques dans l’Averon. Les vitraux ont été réalisés par Pierre Soulages dont la couleur de prédilection est le noir (si on peut l’appeler une couleur). Il joue avec le noir et le blanc. Il n’y a aucune représentation. Au début, on est très déconcerté et puis la magie de la lumière opère! Il y a également une très belle Vierge Noire! (je venais de lire ce matin les articles sur les Vierges Noires et voilà que je les retrouve………
Très intéressant… Et en plus, l’Aveyron, c’est à deux pas de chez nous.
Très belle note, merci Anti !
Je suis allé plusieurs fois à St-Paul de Vence et j’ignorais jusqu’à l’existence de cette Chapelle… Une lacune incroyable, alors que j’aime énormément l’oeuvre de Matisse, particulièrement le « Grand Acrobate » de 1952, dont je possède une reproduction dans mon salon (ramenée d’une expo à la Villa Medicis). J’ai passé des heures à essayer de décrypter les deux lobes de l’angle supérieur droit, sans jamais y parvenir… (si quelqu’un a une idée, je suis preneur !)
Voir les rélexions de l’artiste sur la couleur noire, à propos de ce tableau :
http://www.musee-matisse-nice.org/expositions/automne_2000.html
« je venais de lire ce matin les articles sur les Vierges Noires et voilà que je les retrouve… »
La magie est partout autour de nous Valentine, oui !
« j’ai visité l’Abbatiale Sainte Foy à Conques dans l’Averon »
Je ne connais pas encore, mais, je note, je note !
« le vitrail avec l’étoile et le poisson »
Il est dans l’entrée, en haut des marches. Marches que l’on descend pour accéder à la chapelle (comme on va au coeur de la Terre) pourtant, tellement lumineuse.
« j’ignorais jusqu’à l’existence de cette Chapelle… »
Ben, celle-là, je ne m’y attendais pas !
« Une lacune incroyable, alors que j’aime énormément l’oeuvre de Matisse, particulièrement le « Grand Acrobate » de 1952, dont je possède une reproduction dans mon salon (ramenée d’une expo à la Villa Medicis). J’ai passé des heures à essayer de décrypter les deux lobes de l’angle supérieur droit, sans jamais y parvenir… (si quelqu’un a une idée, je suis preneur !) »
Tu parles si elle m’a sautée aux yeux celle-là ! Très belle ! Mais, aucune idée sur la significations des deux lobes !
Sympa le lien
Merciiiii beaucoup pour ce bel article qui m’a beaucoup aidé à faire mon brevet d’histoire de l’art! 🙂
Eh bien ! Ça fait plaisir autant d’enthousiasme ! Je vous souhaite un grand succès dans vos études !
anti
Génial 🙂
On devrait faire classer ce blog d’utilité publique ^^
Bravo pour votre analyse, vos découvertes, vos impressions. une question: pourquoi des croissants de lune sur la croix de la chapelle? une symbolique chrétienne, laquelle? symbolique musulmane?
merci de me donner votre avis, c’est pour mon fils qui a choisi de présenter ce dossier au brevet, pour l’épreuve d’histoire des arts.
a bientôt
Bonjour,
Je vous ai fait un lien suite à un article sur les arbres de Matisse, dans le Blog du groupe « L’Arbre et l’Artiste » sur la tribu des artistes
http://latribudesartistes.lateliercanson.com/web/l-arbre-et-l-artiste/l-arbre-et-l-artiste
Bonjour,
je suis actuellement en terminale littéraire spécialité Histoire des Arts et je travaille sur la chapelle pour l’épreuve du bac. Votre article m’a beaucoup aidé, notamment pour l’analyse et les citations. Est ce que par hasard vous sauriez quelle est la source de celle-ci : “je veux que cette croix s’élève dans le ciel comme une prière légère et haute comme une fumée” ?
Merci beaucoup !