Rentrée universitaire 1993. Premier cours de sociologie avec Monsieur Huet à l’université de Haute Bretagne.
Amphithéâtre bondé. Silence.
Il sort un livre.
Il lit.
Reçoit la visite de Ereshkigal la déesse des enfers
Elle l’honore de ses trois rejetons maléfiques
Qui attendent depuis des éons les supposés présents offerts…
Assistance captivée.
Le professeur nous lit L’épopée de Enkidou et Gilgamesh racontée par Henri Gougaud, tiré de L’arbre à soleils.
C’est ma deuxième rencontre avec ce conteur, la première datant de ma lecture de « Silence« de Comès dont il a écrit la magnifique préface.
Henri Gougaud fait partie de ces auteurs chers à mon cœur, hors le temps et l’espace car ils sont le temps et l’espace. Aussi, pendant cette nouvelle semaine de vacances, je vous proposerai encore un peu de lecture, quelques contes de ce grand monsieur mais pour l’heure présentation de l’Homme.
Été 1936, Henri Gougaud naît à Villemoustaussou près de Carcassonne, dans le bureau de poste où son grand-père est facteur rural (les lettres, déjà !).
Sa mère est institutrice, son père cheminot. Racines paysannes, anarchie et syndicalisme, c’est l’héritage qu’il vivra à sa façon.
La guerre éclate, il a 4 ans. Ses parents s’engagent dans la Résistance.
Années grises au goût d’angoisse, et certes pas de contes pour s’endormir le soir.
Mai 44, l’occupant quitte Carcassonne. Joie débordante, bals partout.
À côté des danseurs, le grand-père pleure, debout. La vie reprend ses droits et les enfants leurs lieux. Jeux en bande dans les carcasses des vieux engins militaires abandonnés.
Chaque été, Henri et son frère vont en vacances chez les grands-parents maternels dans les Corbières pauvres. On vit pieds nus là-bas. Moissons, vendange familiale, danse des pieds dans les fouloirs, vapeurs de raisin mûr.
À la fin août il faut rentrer, se rechausser.
Sur les bancs de l’école il est un élève moyen que les programmes n’enthousiasment pas. Aux problèmes de robinets ou aux leçons d’histoire à la gloire des colonies, l’élève Gougaud préfère de beaucoup questionner les haricots plantés en terre. D’où savent-ils à coup sûr la direction de la lumière ?
14 ans, il est scout, plus exactement Éclaireur de France, par souci de laïcité.
On le lâche en pleine nature, en compagnie de 5 garçons. Ils devront se débrouiller seuls pendant 10 jours. Apprentissage rude mais efficace d’autonomie et de débrouillardise.
Années lycée. Si l’ennui persiste dans la scolarité, la vie s’ouvre au dehors.
À 15 ans il fait la connaissance de Déodat Roché, qui est ami de ses parents.
« Bonjour, troubadour ! », dit le vieux sage en l’accueillant. Il fréquente René Nelli en dehors de ses cours de philosophie. Il rencontre des amis du poète Joë Bousquet, des artistes, des chercheurs. Ces relations nourrissent le poète qu’à 15 ans il s’est juré d’être.
Pour le grand-père syndicaliste, il n’est pas de démocratie sans éducation, donc le fils de sa fille devrait logiquement devenir enseignant. Son bac en poche, Henri part pour Toulouse étudier les lettres modernes, sans conviction cependant. Il y retrouve Nelli, et son cours sur les Troubadours.
Avec lui, il entre de plain pied dans l’oralité. Des contes il connaît Jean de l’Ours que sa grand-tante Jeanne lui contait. Par son grand-père il a ri aux histoires de Jean Foutralas, un Mulla Nasrudin occitan. Mais il n’en sait pas plus. Ses premières collectes lui dévoilent un univers qu’il ne soupçonnait pas. Il se passionne pour cette littérature d’illettrés, pour ces récits sans auteur qui ont mystérieusement traversé le temps avec pour unique support la parole.
Dans la ville rose il se lie d’amitié avec le milieu anarchiste : Marc Prévôtel, un certain Pierre, homme d’une totale générosité. Floréal, résistant espagnol exilé (le combat continue de l’autre côté des Pyrénées). Il met en scène Brecht, avec une troupe de théâtre formée d’anarchistes de la CNT.
Avec Marc Prévôtel qui l’a amené au Monde libertaire, il monte à Paris, où il rencontre Maurice Joyeux et Suzy Chevet. Dans ses bagages sont sa guitare, et les chansons qu’il a composées.
En 1959, alors qu’il est censé finir ses études à Lyon, il est engagé par le Cirque Robba qui a l’idée saugrenue de « moderniser » son spectacle en y adjoignant un chanteur. Il chante donc tous les soirs quatre chansons et présente les numéros.
Décidé à rester dans la capitale, il fait la manche dans les restaurants, découvre la « Rive gauche » et ses cabarets. Léo Noël l’engage à l’Écluse.
Il partage désormais la scène avec Christine Sèvres, Gribouille, Barbara, Marc et André… Climat exaltant. C’est une famille sans motivation
commerciale, on y compose des chansons sur un coin de table en essayant de faire au plus beau. Il fait de la chanson comme on fait de la poésie.
Il n’est pas chanteur, mais homme qui chante. Nuance. Un jour il a l’occasion de proposer des chansons à Serge Reggiani, « Paris ma rose » est choisie. Quand les autres commencent à chanter pour lui, il cesse de se produire, car son désir est avant tout d’écrire.
Jacques Bertin, Gribouille, Christine Sèvres, Juliette Gréco, Jean Ferrat, Lise Médini, Martine Sarri, Colette Mansard, Marc Ogeret entre autre chanteront ses chansons.
Vient le grand vent de 68. En 1969 il crée avec des amis une maison d’édition, Bélibaste, qui publiera sa traduction des « Poèmes politiques des troubadours » et divers textes anarchisants comme les « Lettres de prison » de Rosa Luxembourg.
En 1973 il publie « Démons et merveilles de la science-fiction ».
Invité sur France Inter par Claude Villers pour présenter son livre, il débute avec lui une chronique de science-fiction (Pas de panique) et commence à raconter des histoires (Marche ou rêve). Viendront Le grand parler, puis Ici l’ombre, et Tout finit par être vrai.
Des bibliothécaires lui demandent de venir raconter. De lui-même il n’y aurait peut-être pas songé.
À partir de ce moment il décide de ne plus faire qu’écrire. Un recueil de nouvelles fantastiques (« Départements et Territoires d’Outre mort »).
Des romans, des recueils de contes et de légendes, un Almanach.
Il conte, aussi. Ses soirées s’intitulent « Le grand parler », ou « Contes des origines ». Dans « Beau désir », il exalte, avec les contes dits « paillards », la jubilation de la vie.
S’il se rattache à une lignée, c’est celle des saltimbanques, ces gens intemporels capables d’improviser une scène sur un bout de trottoir.
Libertaire définitif, il invente sa vie tous les jours. Il dit : « Les contes m’ont nourri toute ma vie, ils m’ont fait ce que je suis.
Comment ont-ils fait ? Je l’ignore, c’est leur secret. »
Source : le site de Henri Gougaud.
A lire sur le blog : Les sept plumes de l’aigle.
Très belle semaine à tous !
anti
Photos internet sauf « ciel », Anna Galore
Ca donne l’eau à la bouche mais… justement nous partons alors à lire dès notre retour.
J’ai reconnu plusieurs titres de lui dans sa bio, j’étais fan de SF dans les années 70 et j’ai dû croiser sa route par livres interposés plus d’une fois !
« Ca donne l’eau à la bouche mais… justement nous partons »
Ah ben oui !!!
Très belle semaine à tous !!!
BISOUS !
anti
Partir… Revenir… La Galorie nous la joue Claude Lelouch !
Anna, es-tu sur la photo 93 ? Je te verrais bien avec le petit pull bleu turquoise…
Anna, je voulais dire Anti, mais tu auras rectifié…
Ah ! J’adore Maître Gougaud !
Du temps où, dans une autre vie, j’étais conteuse, je contais souvent « La mère des contes » de Gougaud.
Le voici :
« Où sont donc nés les contes, et pourquoi, et comment ?
Une femme l’a su, aux premiers temps du monde. Qui l’a dit à la femme ? L’enfant qu’elle portait dans son ventre. Qui l’a dit à l’enfant ? Le silence de Dieu. Qui l’a dit au silence ?
Il était une première fois, dans la grande forêt des premiers temps, un rude bûcheron et son épouse triste. Ils vivaient pauvrement dans une maison basse, au cœur d’une clairière. Ils n’avaient pour voisins que des bêtes sauvages et ne voyaient passer, dehors, par la lucarne, que vents, pluies et soleils. Mais ce n’était pas la monotonie des jours qui attristait la femme de cet homme des bois et la faisait pleurer, seule, dans sa cuisine. De cela elle se serait accommodée, bon an, mal an. Hélas, en vérité, son mari avait l’âme aussi broussailleuse que la barbe et la tignasse. C’était cela qui la tourneboulait. Caressant, il l’était comme un buisson d’épines, et quand il embrassait en grognant sa compagne, ce n’était qu’après l’avoir battue. Tous les soirs il faisait ainsi, dès son retour de la forêt. Il poussait la porte d’un coup d’épaule, empoignait un lourd bâton de chêne, retroussait sa manche droite, s’approchait de sa femme qui tremblait dans un coin, et la rossait. C’était sa façon de lui dire bonsoir.
Passèrent mille jours, mille nuits, mille roustes. L’épouse supporta sans un mot de révolte les coups qui lui pleuvaient chaque soir sur le dos. Vint une aube d’été sur la clairière. Ce matin-là, comme elle regardait son homme s’éloigner sous les grands arbres, sa hache en bandoulière, elle posa les mains sur ses hanches et pour la première fois depuis le jour de ses épousailles elle sourit. Elle venait à l’instant de sentir une vie nouvelle bouger là, dans son ventre. « Un enfant ! » pensa-t-elle, tremblante, émerveillée. Mais son bonheur fut bref, car lui vint aussitôt plus d’épouvante qu’elle n’en avait jamais enduré. « Misère, se dit-elle, qui le protégera si mon mari me bat encore ? En me cognant dessus, il risque de l’atteindre. Il le tuera peut-être avant qu’il ne sot né. Comment sauver sa vie ? En n’étant plus battue. Mais comment, Seigneur, ne plus être battue ? » Elle réfléchit à cela tout au long du jour avec tant de souci, de force et d’amour neuf pour son fils à venir qu’au soir elle sentit germer une lumière.
Elle guetta son homme. Au crépuscule il s’en revint, comme à son habitude. Il prit son gros bâton, grogna, leva son bras noueux. Alors elle lui dit :
– Attends, mon maître, attends ! J’ai appris aujourd’hui une
histoire, elle est belle. Ecoute-la d’abord, tu me battras après.
Elle ne savait rien de ce qu’elle allait dire, mais un conte lui vint. Ce fut comme une source innocente et rieuse. Et l’homme demeura captif, si pantois et content qu’il oublia d’abattre son bâton sur le dos de sa femme. Toute la nuit elle parla. Toute la nuit il l’écouta, les yeux écarquillés, sans remuer d’un poil. Et quand le jour nouveau éclaira la lucarne, elle se tut enfin. Alors il poussa un soupir, vit l’aube, prit sa hache et s’en fut au travail.
Au soir gris, il revint. Elle l’entendit pousser la porte à grand fracas. Elle courut à lui.
– Attends, mon maître, attends ! Il faut que je te dise une nouvelle histoire. Ecoute-la d’abord, tu me battras après !
A l’instant même un conte neuf naquit de sa bouche surprise. Comme la nuit passée son époux l’écouta, l’œil rond, le poing tenu en l’air par un fil invisible. Le temps parut passer comme un souffle. A l’aube elle se tut. Il vit le jour, se dit qu’il lui fallait partir pour la forêt, prit sa hache, et s’en alla.
Et quand le soir tomba vint encore une histoire. Neuf mois, toutes les nuits, cette femme conta pour protéger la vie qu’elle portait dans le ventre. Et quand l’enfant fut né, l’homme connut l’amour. Et quand l’amour fut né, les contes des neuf mois envahirent la terre. Bénie soit cette mère qui les a mis au monde. Sans elle les bâtons auraient seuls la parole. »
C’est beau, non ?
A bientôt,
eMmA
Si c’est beau ?!!! Emma ??? OUI !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Que la vie est belle ! Je cherchais justement comment répondre sur le fil des poèmes de Zaza que je n’arrivais pas à être sensible à ses derniers poèmes tant je suis, grâce à la lecture du « Don de Qâ » dans un amour vrai, positif, global et non pas tortueux et voilà que je lis ton conte !!! Un écho de ce que je ressens intérieurement ! Merci douce Emma ! Et, shame on me, j’étais ce matin sur ton blog, j’avais laissé la page en onglet pour commenter et… je me suis laissée débordée !!! Et te voilà ! Merci ! Ta présence à toi aussi me comble.
anti
OH ! Je suis émue de lire un si beua commentaire.
Je sais que je me répète, mais quelle chance ce blog !
Je suis en train de réponde à Startine sur mon blog qui me dit de « prendre contact avec les filles du blog Anna Galore car elles aiment bien parler des artistes qu’elles ont décourvets »…
Une grosse bise,
eMmA
Mdrrrr pour le mot de Startine 😉
Une grosse bise aussi ! Et, si tu passes, exposes, descends, voyages etc. dans le sud, pense à venir nous faire un coucou 😉
anti
Merci, je suis très touchée.
Faites-moi signe aussi, si vous le souhaitez, quend vous passez à Paris.
eMmA