Lespugue, Robert Ganzo

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Dans sa note du 17 janvier dernier Poème à la Vénus de Lespugue, Anna nous a fait découvrir un poème magnifique de son ami Eric Fabre-Maigné.

Elle écrivait aussi :

Un recueil édité en 1966 du poète vénézuélien Robert Ganzo s’intitule également « Lespugue« . Comme il semble épuisé, si quelqu’un en a un exemplaire, Eric serait très intéressé d’en prendre connaissance.

Le festival de Saint Malo «Etonnants Voyageurs» décerne le Prix Robert Ganzo, prix qui entend saluer un poète de tempérament, un aventurier du verbe et de la vie, un passeur d’émotions et de défis, un arpenteur de grand large et d’inconnu (source Wikipédia).

Robert Ganzo poète fut aussi auteur dramatique, archéologue (préhistorien), peintre et marin. Quoi de plus normal alors que d’avoir choisi les photos de la Grottes des nageurs dont parlait ramses hier, pour illustrer ces vers ?

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Eric, voici Lespugue de Robert Ganzo que je suis ravie d’avoir découvert grâce à vous deux.

A Léona Jeanne

Lespugue

L’ultime pas, le dernier feu,
tout signe, le chaos l’efface.
Rien que des vents plein de froid bleu
entre des mâchoires de glace.
Dans l’ombre de ton lourd sommeil
parmi les neiges et les pierres,
un premier rêve éclôt, pareil
au gel qui brûle tes paupières.

Ton souffle comme une eau s’élève
vers quel fleuve encore incertain ?
Ouvre les yeux au bout du rêve ;
voici l’aube et le ciel s’éteint.
C’est donc ici ? Faims, soifs, saccages,
tumultes : nous fûmes conduits.
Seules tes mains, comme des cages,
gardent ce qui reste des nuits.

Comme les dents d’une morsure,
te levant quand je me levais,
tu me suivais esclave sûre,
et peut-être, je te suivais,
esclave sans effroi, moi-même.
Ainsi, mornes, indifférents,
accouplés, deux signes errants
dans l’hostilité d’un ciel blême.

Bois immobiles sans poussière ;
lacs noirs où rien n’avait baigné ;
chemins de sang ; haltes de pierre :
au gré du troupeau résigné
nous fûmes conduits. Tout s’efface.
Au bout du rêve ouvre les yeux ;
rien que ton corps chaud et frileux ;
rien que mes yeux de bête lasse.

Le jour. Regarde. Une colline
érpand jusqu’à nous des oiseaux,
des arbres en fleurs et des eaux
dans l’herbe verte qui s’incline.
Toi, femme enfin- chair embrasée –
comme moi tendue, arc d’extase,
tu révèles soudain ta grâce
et tes mains soûles de rosée.

Tes yeux appris aux paysages
je les apprends en ce matin
immuable à travers les âges
et sans doute à jamais atteint.
Déjà les mots faits de lumière
se préparent au fond de nous ;
et je sépare tes genoux,
tremblant de tendresse première.

*
* *

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Où finis-tu ? Je t’ai laissée
Dans la chaleur de notre abri ;
mais tu marches dans ma pensée
et me dépasses, comme un cri.
Les loups n’ont pas clameur plus grande
lorsque s’abat celui qui meurt ;
et les vents n’ont pas la rumeur
que je porte ainsi qu’une offrande.

Je te laisse et tu m’accompagnes
jusqu’aux pénombres de ces bois,
dans ces ravins, sur ces montagnes
où se déchirent les nuages ;
et dans mes mains, lorsque je bois,
c’est ton visage que je vois,
le premier de tous les visages
ouvert pour la première fois.

L’ombre monte et tu m’es ravie.
Jusqu’à tes confins poursuivie,
tu t’endors. Et moi, vigilant,
j’écoute l’oiseau te frôlant,
les sources, les bruits de ta vie
venu de son plus lointain gîte,
et le feuillage gris qu’agite
un souffle plein d’appels et lent.

Où finiras-tu ? Quand je retrouve
tes bras qui m’attendent, tes fièvres,
et le mystère de tes lèvres
pareilles à ce feu qui couve ?
Tu souris aux abords du règne
où va ton regard pénétrant ;
et ta force, comme un torrent,
jaillit de ton ventre qui saigne.

Si ma fureur prise à la grappe
de ton corps tranquille et puissant
crie et se mélange à ton sang,
ton visage éloigné m’échappe.
Ta chair immense que j’étreins
riait et pleurait dans ma moelle,
et je trouve, au fond de tes reins,
la chute sans fin d’une étoile.

Où finiras-tu ? La terre oscille ;
et toi, dans le fracas des monts,
déjà tu renais des limons,
un serpent rouge à la cheville ;
femme, out en essors et courbes
et tièdes aboutissements,
lumière, et nacre ombres et tourbes
faites de quels enlisements ?

*
* *

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Vals que l’été gorge de sève,
je vois tes seins s’épanouir
et parfois ton ventre frémir
comme un sol chaud qui se soulève.
Tu m’apaises et je m’étonne
de ces pouvoirs que tu détiens ;
et je sais, femme, qu’ils sont tiens
les miracles roux de l’automne.

Ta voix chante les longs passages
de nos frères multipliés
aux horizons, et leurs messages
noués au tronc des peupliers ;
les noirs charniers des jours torrides
les faims, les soifs insatiables
et le rire égrené des sables
déchirants des poitrines vides ;
les griffes, l’empreinte des dents,
les flammes vacillantes dans
la nuit des plaines infinies, la sèche attente des momies,
le dur et blanc dédain des os,
l’ordre frappé sur la peau morte
roulant aux ailes des échos,
et tout ce que la terre porte.

Et chante aussi que tu m’es due
comme mes yeux, mes désarrois,
et des cinq doigts d’ocre aux parois
de la roche où ta voix s’est tue.
Le silence t’a dévêtue,
– chemin d’un seul geste frayé –
et mon orgueil émerveillé
tourne autour d’une femme nue.

Première et fauve quiétude
où je bois tes frissons secrets
pour connaître la saveur rude
des océans et des forêts qui t’ont faite, toi, provisoire,
île de chair, caresse d’aile,
toi, ma compagne, que je mêle
au jour continue de l’ivoire.

Ton torse lentement se cambre
et ton destin s’est accompli.
Tu seras aux veilleuses d’ambre
de notre asile enseveli,
vivante après nos corps épars,
comme une présence enfermée,
quand nous aurons rendu nos parts,
de brise, d’onde et de fumée.

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anti

Les photos viennent de chassimages.com, panoramio et de Wikipédia.

8 Replies to “Lespugue, Robert Ganzo”

  1. ramses

    Anti,

    Les peintures du Gilf-El-Kebir forment un contrepoint saisissant à ces très beaux vers :

    « L’ultime pas, le dernier feu,
    tout signe, le chaos l’efface. »

    Observez les impacts de balles sur la 3ème photo… Il n’y a pas que les talibans qui détruisent les boudhas !

    Ces peintures sont restées inconnues et intactes pendant des millénaires et il a suffi de quelques années, après la découverte du site, pour les dégrader volontairement… Mais pas besoin d’aller si loin pour découvrir le summum de la bêtise humaine, le phénomène est identique dans la Vallée des Merveilles, au-dessus de Nice. Certains fragments ont été enlevés au burin et au marteau !

    Comme si l’homme moderne était jaloux de son ancêtre préhistorique… Le monde à l’envers, comme dans le billet précédent, mais là, on est tombé plus bas…

  2. anti

    Non, non, non : on est tombé plus haut ! pas plus bas.

    Bon, ok, je tente de plaisanter sur un sujet qui ne l’est guère.

    « Comme si l’homme moderne était jaloux de son ancêtre préhistorique… »

    Pour ma part, j’y vois la marque de la cupidité plus que celle de la jalousie, malheureusement, qui supposerait une considération de la valeur de l’autre passé.

    J’ai été frappée aussi en choisissant les photos par rapport au texte notamment dans la dernière partie :

    « Ta voix chante les longs passages
    de nos frères multipliés
    aux horizons, et leurs messages
    noués au tronc des peupliers ;
    les noirs charniers des jours torrides
    les faims, les soifs insatiables
    et le rire égrené des sables
    déchirants des poitrines vides ;
    les griffes, l’empreinte des dents,
    les flammes vacillantes dans
    la nuit des plaines infinies, la sèche attente des momies,
    le dur et blanc dédain des os,
    l’ordre frappé sur la peau morte
    roulant aux ailes des échos,
    et tout ce que la terre porte.

    Et chante aussi que tu m’es due
    comme mes yeux, mes désarrois,
    et des cinq doigts d’ocre aux parois
    de la roche où ta voix s’est tue. »

    Evidemment, les vers que tu soulignes « L’ultime pas, le dernier feu, tout signe, le chaos l’efface » sont terribles dans le contexte que tu évoques. Et c’est vrai. Souvent. Pas toujours, souviens-toi. Il y a eu beaucoup de pilleurs dans les pyramides il me semble avant que des chantiers archéologiques soient lancés. Je peux me tromper mais bon. J’ai envie d’y croire ce soir.

    De beaux mots oui. Un plaisir que de le copier, plaisir qui se prolongera dans la lecture des autres poèmes du même auteur. C’est toujours touchant, je trouve, de feuilleter un vieux livre. Il sent le chlore, il a été parcouru par beaucoup de personnes, il est là, encore, depuis, 50 ans, 100 ans, 300 ! Quelle histoire !

    anti

  3. ramses

    Anti,

    « Pour ma part, j’y vois la marque de la cupidité plus que celle de la jalousie, malheureusement, qui supposerait une considération de la valeur de l’autre passé. »

    Faire exploser les boudhas en Afghanistan, tirer à balles réelles sur des peintures rupestres, ce n’est pas de la cupidité. Le sens profond que j’y vois est la négation de celui qui a existé avant, la volonté d’ôter les traces, pour faire prévaloir sa propre identité, dont personne ne se soucie. Les « tags » en milieu urbain ont la même signification.

    Les explorateurs et maintenant les touristes, qui viennent visiter ces vestiges du passé, exposent paradoxalement ceux-ci à la rancœur des autochtones, qui n’en connaissent pas la valeur. Cela tient sans doute au fait que les autochtones sont « transparents » aux yeux des touristes, eux-mêmes considérés par les Autorités comme des pourvoyeurs de devises… Triste chaîne de la « culture » !

    Dans le même ordre d’idées, le Paris-Dakar 2000, qui était devenu le Paris Le Caire, a causé des dégâts irréparables dans le Wadi Rayan et la vallée des baleines :

    http://weekly.ahram.org.eg/2000/467/op4.htm

    « Pour quelques dollars de plus » !

    Que personne ne s’y trompe, si les Autorités égyptiennes « protègent » les trésors pharaoniques, ce n’est pas par amour du passé, c’est pour attirer les touristes et leurs précieuses devises !

  4. anti

    Ouh là, ramses ! je n’y étais pas du tout. Je pensais aux pillages de sites pas à leur destruction qui n’a rien à voir en effet. Dont acte.

    La Paris Dakar ? Celui qui se passe en Argentine ? Mdrr ! Oups ! Désolée ! Enfin, non, même pas, j’ai trouvé ça tellement… tellement… surprenant !

    anti

  5. Vich-Ganzo

    Merci, amicales pensées à vous. L’un des petits enfants de Robert Ganzo.
    (Je suis âgé de 62 ans)
    Manuel Vich-Ganzo

  6. anti Post author

    Bonjour Manuel,

    Merci de votre passage ici, cela m’a donné l’occasion de relire ce magnifique poème , car je n’ai plus le livre que j’avais trouvé d’occasion à l’époque. Je l’ai offert à cet ami d’Anna, Éric Fabre-Maigné, qui aime tant l’œuvre de votre grand-père.
    Au plaisir,
    anti

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