Subventions européennes aux élevages de taureaux de corrida : les petits arrangements entre amis sont-ils encore efficaces ?
Un article de Marika Marcuzzi
Il y a un an paraissait dans le Midi Libre un article intitulé « Toros de combat : petits arrangements entre amis au sein de l’Union européenne ». Lors d’une conférence tenue à la CCI de Nîmes fin octobre 2013, l’eurodéputé basque Alain Lamassoure, alors président de la commission des budgets au Parlement européen, ancien ministre du Budget et des Affaires européennes, avait provoqué l’hilarité de 120 responsables économiques du Gard. Il avait expliqué pourquoi l’Union européenne rejetait les amendements visant à supprimer les subventions européennes accordées aux éleveurs de taureaux de corrida. Les pays ne respectant pas les principes européens de protection animale s’arrangeraient entre eux ; la Finlande, la Suède et l’Ecosse notamment seraient « devenus alliés en tauromachie ».
Mais qu’en est-il réellement ? Que révèlent les résultats du vote en séance plénière de l’amendement visant à supprimer les subventions européennes accordées aux éleveurs de taureaux dits de combat ?
Alain Lamassoure avait annoncé concernant la Finlande et la chasse aux phoques « […] j’ai dit aux Finnois que je défendrais leurs tradition, tous les pays voulant leur interdire la chasse aux phoques, mais, en échange, qu’ils défendraient les nôtres, les toros. Et c’est ce qu’ils font depuis. » Résultat du vote du 22 octobre : sur 13 eurodéputés finnois, 10 ont voté pour l’amendement de Bas Eickhout, dont 3 eurodéputés EPP qui n’ont pas suivi la consigne de vote de leur fraction.
A propos de la Suède : « On a dit : laissons-les mâchouiller leur machin [du « chwam »] et veillons à ce qu’il soit interdit d’en mâchouiller ailleurs. Depuis, les Suédois votent pour les toros. » Sur 20 eurodéputés suédois, 18 ont voté pour l’amendement, dont 5 eurodéputés S&D et 3 EPP qui n’ont pas suivi la consigne de vote.
Enfin, il avait évoqué la bien triste pratique écossaise : « En Écosse, ils tirent sur un coq de Bruyère. Mais c’est un peu violent si on n’est pas né là-bas. […] Ce sont les Écossais. On les laisse faire. Et ils votent pour les toros. » Sur 73 eurodéputés du Royaume-Uni, 65 ont voté pour la fin des subventions européennes. Aucun n’a voté contre l’amendement, pas même un Ecossais.
Pourquoi son assistance avait-elle donc été hilare ? Les responsables économiques avaient-il grassement ri parce que le coq de Bruyère est abattu quand il monte au ciel avec un grand cri de joie après l’amour ? Ou parce que cet actuel membre de la commission européenne des affaires économiques et monétaires avait eu l’audace d’annoncer publiquement des accords moralement peu glorieux, des arrangements entre amis qui ne seront jamais les nôtres, des pratiques au sein de l’Union européenne condamnées par 76% des lecteurs ?
C’est à notre tour de rire : les petits arrangements entre amis au sein de l’Union européenne ne fonctionnent visiblement pas toujours. Les eurodéputés finlandais, suédois et écossais ont massivement voté pour la fin des subventions européennes indirectes de la corrida (77%, 90% et 89% en faveur de l’amendement 232 respectivement).
Le CRAC Europe a mené cette année une campagne intensive d’information auprès des eurodéputés de tous les pays d’Europe. Il continuera en 2015 à faire en sorte que la corrida ne soit plus « au mieux inconnue » en Europe et que tous les eurodéputés sachent bien qu’en accordant des subventions, ils maintiennent en vie une pratique « au pire qualifiée d’horriblement barbare ». C’est Alain Lamassoure qui le dit et nous sommes bien d’accord là-dessus. Mais notre objectif est que le pire pour les aficionados dépasse le stade d’une qualification inoffensive et indolore pour atteindre celui bien plus concret de tauromachie « au pire privée de subventions européennes » qui fera beaucoup plus mal.
Marika Marcuzzi
Déléguée CRAC Europe Allemagne
Chargée de campagne « Financement européen des corridas basta ! »
Oui, effectivement, ce vote européen est venu contredire les prétendus arrangements sottement revendiqués par Alain Lamassoure. A noter qu’un autre sinistre personnage, Claude Allègre, avait tenu des propos analogues à ceux d’Alain Lamassoure. On peut lire dans « La Provence » de 2012 un article sidérant sur les positions de Claude Allègre au sujet des animaux et de l’écologie :
http://territoireavenir.canalblog.com/archives/2012/09/30/25228071.html
Pour la corrida, il affirme humblement l’avoir sauvée (rien de moins !) :
Les Danois voulaient faire faire voter une loi au Parlement européen pour faire interdire la corrida. Le responsable du groupe socialiste espagnol, catastrophé, est venu me voir. On a monté un plan. Je suis allé voir les Danois en disant que nous allions déposer une loi pour interdire la chasse à la baleine. Immédiatement, ils ont oublié la corrida.
Similitude avec Alain Lamassoure : on s’appuierait sur les pratiques peu reluisantes des uns pour conserver les pratiques peu reluisantes des autres. Mais lors du vote, les eurodéputés danois ont approuvé l’amendement Eickhout à une très large majorité (certes, ils n’avaient qu’un seul député du PPE, ce qui a beaucoup aidé, mais le conservateur Bendt Bendtsen fait partie des populaires européens qui ont voté POUR l’amendement malgré la consigne massivement suivie du groupe de voter CONTRE).
Très intéressant ! Merci, Alberich.
En fait, l’amendement Eickhout a été rejeté parce que les deux principaux groupes, le PPE et le S&D, ont donné la consigne de voter CONTRE. Cela a donné des résultats désolants comme, par exemple, l’Allemagne qui se prononce majoritairement CONTRE, ou l’eurodéputée UMP Françoise Grossetête qui votre CONTRE alors qu’elle apparaît dans la liste des signataires du manifeste du CRAC. Ces gens ne sont pas pro-corrida, ils sont simplement disciplinés. Si les eurodéputés PPE et S&D avaient été simplement laissés libres de voter comme ils le pensent, l’amendement Eickhout aurait été massivement approuvé.
Je ne sais pas qui décide des consignes de votes au PPE et au S&D mais je présume qu’il s’agit des instances dirigeantes, c-a-d finalement peu de monde.
L’idéal serait d’arriver à toucher ces décideurs, arriver à les informer de façon sérieuse sur la corrida. C’est peut-être possible si des associations pro-animaux influentes d’autres pays acceptent de relayer la démarche. Il y aurait sans doute un peu plus de chances de succès avec le S&D où les dirigeants seraient moins proches de lobbies agricoles et cynégétiques.
Merci Alberich pour votre commentaire ! Oui, le vote des Danois prouve lui aussi que les « plans » ne fonctionnent pas toujours. Le vote danois est particulièrement impressionnant puisqu’ils sont 12 eurodéputés sur 13 à avoir approuvé l’amendement de Bas Eickhout, soit 92% de oui, dont des EPP et S&D « rebelles » (modifications de vote incluses). C’est tout à l’honneur de ces eurodéputés qui ne se sont pas laissés piéger ; en revanche, cela ne donne sans doute pas une très belle image de la France dont les MEPs doivent passer pour des marchandeurs de bas étage…
Réponse à votre second commentaire Alberich :
Notre prochaine campagne ira dans ce sens. Nous travaillons déjà avec des organisations animalistes d’autres pays, notamment en Allemagne, qui sera une cible majeure en 2015.