C’est une histoire peu commune qui a été publiée hier dans Rue89, celle de John Quijada, un employé du bureau d’enregistrement des véhicules en Californie qui a consacré 30 ans de sa vie à créer une nouvelle langue, l’ithkuil. Pourquoi ? Parce qu’il est parti du constat qu’aucune langue naturelle n’est optimale. Chacune est bourrée de mots aux sens parfois ambigus ou d’expressions étranges qui reflètent son histoire ou la vision du monde du peuple qui la parle.
Un exemple ? En français, il n’existe que très peu de mots pour dire qu’il pleut. On va parler de bruine, de crachin, de pluie, d’averse, de trombes d’eau et c’est quasiment tout, sauf à recourir à des expressions plus ou moins imagées. En revanche, en anglais, la Grande-Bretagne étant un pays où la pluie est un événement extrêmement fréquent, il existe plusieurs dizaines de mots de base pour le dire, hors expressions et métaphores.
Et ça peut aller beaucoup plus loin que cela dans les nuances. Pour les Aborigènes d’Australie, il n’existe pas de mot pour positionner une scène par rapport à soi-même. Ils n’utilisent que les quatre directions cardinales. Ainsi, ils n’ont pas une jambe droite et une jambe gauche, mais une jambe nord et une jambe sud quand ils sont tournés dans l’axe du soleil, ce qui devient une jambe est et une jambe ouest s’ils pivotent de 90°. Chez les Indiens Wakashan du nord-ouest du Pacifique, les verbes se prononcent différemment suivant qu’ils décrivent une observation, une déduction, une hypothèse ou une rumeur. Il existe ainsi d’autres richesses peu connues dans des dizaines d’autres langues, ce qui a amené John Quijada à se dire : « Et s’il existait une langue unique qui combinait les particularités les plus chouettes de toutes les langues du monde ? »
En 2004, il met en ligne sur le net l’ensemble de ses travaux intitulé « Ithkuil : une conception philosophique pour une langue hypothétique ». Le texte se présente comme un manuel de grammaire et de syntaxe, et il catalogue 160 000 mots. Jusque-là, la seule personne au monde à parler ithkuil, c’est Quijada et son seul but n’est pas de faire l’apologie de sa création mais de répondre aux deux objectifs qu’il a voulu concilier : être à la fois le plus précis et le plus concis possible, pour parvenir à rendre compte de toutes les pensées qui peuvent traverser un cerveau humain.
Quand le journaliste Joshua Foer, qui l’a beaucoup suivi, lui a demandé de donner un exemple concret, il a répondu : « Eh bien, il n’existe pas de langue, autant que je sache, qui dispose d’un mot unique pour évoquer ce moment de contemplation perplexe souvent accompagné d’un froncement de sourcils dont on fait l’expérience lorsque quelqu’un formule une idée à laquelle on n’avait jamais pensé et qui ouvre tout à coup des perspectives inédites. En ithkuil, ça se dirait ašţal. »
Bien entendu, à partir du moment où son manuel s’est retrouvé en ligne, des gens sont tombés dessus et parmi eux, des passionnés des langues qui ont eu la sensation de découvrir le Graal. Il se trouve que les premiers d’entre eux étaient Russes et que les personnes avec qui ils ont partagé leur enthousiasme étaient également russophones. Ce qui fait que pendant un bon moment, John Quijada n’en a rien su du tout.
Ce que les nouveaux adeptes de l’ithkuil trouvaient fascinant, c’est que cette langue leur faisait penser à un roman de science-fiction de Robert Heinlein paru en 1949, dans lequel l’auteur imaginait une société secrète de génies qui créent une langue tellement compacte qu’ils peuvent condenser des phrases entières en une très petit nombre de mots, et ces Hommes Nouveaux comme ils s’appellent entre eux, utilisent cet avantage majeur pour prendre le pouvoir sur la planète en asservissant ces retardés d’Homo Sapiens.
Quijada s’est mis à recevoir des dizaines puis des centaines de mails de son fan-club russe. « J’étais tout à la fois gêné, flatté et intrigué. Mais au-delà de ça, je voulais surtout savoir qui étaient ces gens. » Justement, un certain Oleg Bakhtiyarov l’invite en 2010 à venir assister à un congrès d’un mouvement mystérieux appelé la psychonétique. Le lieu : Elista, capitale de la Kalmoukie. Il réalise alors qu’il est un mythe vivant pour les participants à ce congrès. En 2011, il est à nouveau invité, cette fois à Kiev. Arrive le tour d’un orateur nommé Igor Garkavenko.
L’interprète de Quijada réalise soudain qu’il s’agit d’un des plus dangereux terroristes d’extrême-droite ukrainien. Lui et Bakhtiyarov travaillent ensemble depuis des années sur le concept d’une « nouvelle race d’hommes ». Et pour eux, une langue comme l’ithkuil peut être le moyen de modeler la conscience de ces surhommes afin de prendre le pouvoir sur tous les autres, comme dans le roman de Robert Heinlein. Quijada, effaré, se retrouve dépassé par sa création et rompt aussitôt les ponts avec ces dangereux personnages.
Je vous recommande de lire l’article qui lui est consacré en entier, vous y découvrirez bien d’autres informations et anecdotes, à commencer par la plus amusante : c’est en découvrant le groupe français Magma dans sa jeunesse chez un disquaire de Los Angeles que Quijada eut l’idée d’inventer une nouvelle langue. Hamataï !
Ça me fait penser à une sorte d’espéranto en signes.
Une langue planétaire, ça pourrait être bien.
Dans l’article complet sur Rue89, tu pourras lire plein d’infos passionnantes sur tout un tas d’autres langues inventées, depuis l’espéranto jusqu’aux trois langues créées par Tolkien pour sa série de livres sur les hobbits et le Seigneur des Anneaux, en passant par le klingon que ne parlent que certains extraterrestres dans StarTrek. Toutes ces langues sont de vraies langues avec un vocabulaire, des relations étymologiques entre les mots et une grammaire bien précise.
j’ai lu l’article de rue89 , c’est ce qui m’a donné l’envie de voir plus loin .
mais je n’ai trouvé que des articles en anglais ce qui m’est un peu difficile
compte tenu de mon niveau dans cette langue;
aussi je recherche des infos en français y en a-t-il?
en tout cas bravo pour votre commentaire !