Un ex-PDG de Libération brutalement interpellé à son domicile
Du jamais vu dans une affaire de presse: le journaliste Vittorio de Filippis, qui a été directeur de la publication de Libération de mai à décembre 2006, a été interpellé à son domicile pour une banale affaire de diffamation. Récit.
Source: Libé – Recueilli par Eliane Patriarca
Quand il arrive dans les locaux de Libération, ce vendredi peu avant midi, il a encore la trace des menottes au poignet. Journaliste économique, actuellement membre de la direction du journal, Vittorio de Filippis a été PDG et directeur de la publication du journal de mai à décembre 2006. Il vient de passer plusieurs heures, d’abord au commissariat de police du Raincy (Seine-Saint-Denis), la commune où il réside, et plus tard dans la matinée de ce vendredi au tribunal de grande instance de Paris. Avant d’être mis en examen. Il est pâle, fatigué, outré.
«J’ai été réveillé vers 6h40 ce matin par des coups frappés sur la porte d’entrée de ma maison, raconte-t-il. Je suis descendu ouvrir et me suis trouvé face à trois policiers, deux hommes et une femme portant des brassards, et j’ai aperçu dans la rue une voiture de police avec un autre policier à l’intérieur.»
Les représentants de l’ordre lui disent qu’ils ont un mandat d’amener au TGI de Paris contre lui. «J’imagine tout de suite que cela concerne la période de cogérance durant laquelle j’ai été PDG et directeur de publication de Libération en 2006, et je pense à l’affaire Xavier Niel, du nom du fondateur de Free, le fournisseur d’accès à Internet, parce que c’est tout simplement l’affaire la plus récurrente parmi toutes celles dont j’ai eu à répondre comme directeur de publication. Et celle qui a suscité le plus de contacts avec les avocats de Libération, Jean-Paul Lévy et Emmanuel Soussen.»
Xavier Niel a déjà attaqué plusieurs fois en diffamation Libération et le journaliste Renaud Lecadre, auteur d’articles dans le quotidien et sur le site liberation.fr, évoquant les démêlés judiciaires du fondateur de Free.
Vittorio de Filippis a chaque fois été convoqué par la justice car sa responsabilité est engagée: l’article 42 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 dispose que le directeur de publication d’un journal est «l’auteur principal» du délit de diffamation publique envers un particulier alors que le journaliste auteur du papier incriminé n’est que «complice».
Mais Xavier Niel et la société Free ont été déboutés systématiquement, lors de procès qui se sont tenus au deuxième trimestre 2008. A chaque fois, ils ont en plus été condamnés à verser des dommages et intérêts à Libération pour procédures abusives.
Ce matin, le ton est vite monté entre les policiers et le journaliste, celui-ci leur faisant remarquer qu’ils ont profité de son portail sans serrure pour pénétrer chez lui.
«Habillez-vous, on vous emmène», répliquent-ils en lui interdisant de toucher à son portable dont l’alarme-réveil se déclenche. «Je commence à m’énerver, raconte Vittorio de Filippis. Réveillé par le bruit, mon fils aîné, qui a 14 ans, assiste à toute la scène. Son frère, 10 ans, ne sort pas de sa chambre mais j’apprendrai par la suite qu’il était réveillé et a très mal vécu ce moment… Je dis aux flics qu’il y a peut-être d’autres manières de se comporter. Réponse devant mon fils: «Vous, vous êtes pire que la racaille!» J’ai juste le temps de rassurer mon fils, de lui dire que je ne suis pas un malfrat et que tout cela concerne le journal et qu’il est en train d’assister à une injustice. Je lui demande, en l’absence de ma femme qui est en déplacement, d’accompagner son frère à l’école et d’aller lui aussi en cours.»
Les policiers emmènent le journaliste au commissariat du Raincy.
7h10. Au commissariat, des policiers lui lisent les motifs de son interpellation. C’est bien de l’affaire Niel dont il s’agit et particulièrement d’un article du journaliste Renaud Lecadre paru sur le site liberation.fr. Après lecture du document, Vittorio de Filippis demande à plusieurs reprises la présence des avocats du journal. Réponse: «Ils ne seront pas là.» Vittorio De Filippis refuse alors de signer quoi que ce soit. «Je suis assis sur un banc, boulonné au sol, dont pendent plusieurs paires de menottes. Face à moi, affichée au mur, la Charte d’accueil du commissariat».
D’autres policiers demandent au journaliste de vider ses poches. Il s’exécute.
7h30. Trois policiers viennent le chercher, lui demandent de mettre les mains dans le dos et le menottent. Puis ils le conduisent à une voiture et prennent l’autoroute A86. Dans la voiture, les policiers se réjouissent de pouvoir «voir en vrai les bureaux de Navarro».
8h30. Vittorio de Filippis est emmené dans les sous-sols du TGI au dépôt, «quartier des hommes».
«On contrôle mon identité puis on m’emmène dans une pièce glauque, avec un comptoir en béton derrière lequel se trouvent trois policiers dont un avec des gants, précise Vittorio de Filippis. Derrière eux, un mur de casiers qui contiennent les effets des personnes «en transit». On me demande de vider mes poches, puis de me déshabiller. Dans mes papiers d’identité, ils isolent ma carte de presse et la mentionnent dans l’inventaire de mes effets. A aucun moment, jusqu’alors, je n’avais mentionné ma qualité de journaliste».
«Je me retrouve en slip devant eux, ils refouillent mes vêtements, puis me demandent de baisser mon slip, de me tourner et de tousser trois fois.»
Le journaliste s’exécute puis se rhabille, mais on lui a retiré ses lacets, sa ceinture, la batterie de son portable. et tous ses papiers et effets.
9h30. Les policiers l’accompagnent dans une cellule «qu’ils referment à triple tour».
«La pièce comporte une table, un rouleau de papier hygiénique, une paillasse en béton sur laquelle sont posées deux couvertures. Dans un recoin, j’aperçois un WC. Je m’asseois sur la table pour éviter les cafards et les mites.»
10 heures. Deux gendarmes viennent le chercher, et l’isolent à nouveau derrière un paravent en béton qui se trouve dans le long couloir bordé de cellules.
Ils lui demandent de se déshabiller complètement.
«Je signale alors que j’ai déjà été fouillé d’une manière un peu humiliante deux heures plus tôt et je refuse de baisser mon slip à nouveau. Bien que comprenant l’absurdité de la situation et mon énervement, ils me répondent que c’est la procédure et qu’ils doivent appeler la juge devant mon refus. Celle-ci leur répond que soit je respecte la procédure et dans ce cas-là elle m’auditionnera et je serai libéré; soit j’assume mes actes».
Le journaliste accepte donc de se laisser fouiller à nouveau, de baisser son slip, de se tourner et de tousser.
Rhabillé, il est menotté «mais cette fois avec les mains devant», et escorté par les gendarmes dans les couloirs interminables du TGI, jusqu’au bureau de la juge Muriel Josié, vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris.
10 h 40. Dans le bureau de la juge, les gendarmes lui retirent les menottes. La juge, qui «au départ», selon Vittorio de Filipis, «a l’air un peu gêné», lui signifie qu’elle l’a convoqué parce qu’elle a déjà procédé à de nombreuses convocations par courrier dans le cadre de l’affaire Niel et qu’il a toujours été «injoignable».
Le journaliste lui répond alors que, comme pour chacune des affaires qui concernent des articles écrits par des journalistes de Libération, il transmet les courriers aux avocats du journal. Et il demande alors à parler à ceux-ci. «La juge me demande leur adresse, puis me lit une liste d’adresses d’avocats dans laquelle j’identifie celles de nos avocats».
Puis Vittorio de Filippis refuse de répondre à toute autre question. La juge s’énerve, hausse le ton. Mais, en l’absence de ses avocats, le journaliste refuse tout échange verbal avec elle.
La juge lui fait signer le procès-verbal de l’entretien et lui notifie sa mise en examen pour «diffamation». Elle lui demande s’il sera joignable d’ici à la fin du mois de décembre.
Ensuite, les deux gendarmes reconduisent Vittorio de Filipis à travers les méandres des couloirs du TGI — «mais cette fois je ne suis plus menotté». Ils lui rendent ses papiers et ses effets. Et le libèrent.
11h30. Sur le trottoir devant le TGI, Vittorio de Fillipis appelle immédiatement les avocats du journal et la direction de Libération.
Aussitôt informée, la Société civile des personnels de Libération (SCPL, actionnaire du journal) dénonce, dans un communiqué, «ces méthodes inadmissibles». «La SCPL veut manifester sa solidarité vis à vis de Vittorio de Filippis, écrit-elle. Nous protestons auprès des autorités politiques et judiciaires. Nous demandons qu’une enquête soit ouverte sans délais sur ces méthodes.»
L’un des avocats de Libération, Me Jean-Paul Levy, dénonce les conditions de cette interpellation, «une première», selon lui, en matière de délit de presse. «Je suis l’avocat de Libération depuis 1975 et c’est la première fois que je vois un directeur de publication faire l’objet d’une interpellation et d’un mandat d’amener», déplore-t-il. «Je suis scandalisé que l’on inflige un tel traitement pour un délit qui n’est pas passible de prison».
La Société des lecteurs de Libération (SLL), «scandalisée par les méthodes employées par la police judiciaire et la magistrature dans une affaire de presse», s’associe à l’indignation et à la protestation de l’équipe.
Laurent Joffrin, PDG du journal et directeur de la rédaction, s’exprimera samedi dans la page consacrée par le quotidien à cette arrestation, sans précédent dans les annales judiciaires.
Ce genre de mésaventure brutale, avec un recours systématique à l’humiliation, arrive à des tas de gens moins visibles que Vittorio de Fillipis.
Manque de bol pour les flics, cette fois, l’interpellé a tout Libé derrière lui pour le faire savoir.
Entièrement de ton avis Anna, et tu sais bien pourquoi. 😉
Heureusement que Libé est avec lui, ça permet de dénoncer ce genre d’humiliation, qui oui, existe bien en France.
« C’est bien de l’affaire Niel dont il s’agit et particulièrement d’un article du journaliste Renaud Lecadre paru sur le site liberation.fr. »
Un journaliste Renaud Lecadre ? Il n’en n’a que le nom d’usage. Franchement, en dehors de cette histoire qui n’a rien d’exceptionnelle, c’est toujours aussi mal rédigé un article de Libé.
anti
Pour que ce soit bien clair, je ne connais pas Vittorio de Fillipis et le fait que sa mésaventure soit justement racontée par Libé est un biais évident en sa faveur (genre dans les détails secondaires comme les traces de menottes encore visibles – on s’en fout un peu, ce n’est pas ça qui compte).
De plus, je journaliste qui est cité, Renaud Lecadre, écrit effectivement des articles souvent mal foutus qui tiennent plus de l’imagination tordue que d’un boulot de journaliste.
Reste la partie qui compte: la description de ce qu’est une interpellation et une fouille avant présentation devant un juge.
Cela, c’est tout simplement trop.
C’est bien de préciser en effet.
Cela étant fait, ces « journalistes » pourraient aussi consacrer autant de pages à d’autres faits comme ceux qui ont concerné Slay par exemple autrement plus graves que celle-ci.
anti
C’est exactement le message, en effet.
C’est amusant d’ailleurs, cette note. Justement, il y a 5 jours, j’ai posté un commentaire sur libération.fr concernant un article de ce fameux monsieur, commentaire qui n’est jamais passé, curieusement, sur ce forum pré-modéré.
Le voici :
La honte de votre profession.
Renaud Lecadre. C’est bien l’auteur de « Les Frères invisibles » (Paris, Albin Michel, 2001) ? Livre dont on peut lire ceci sur la wikipédia :
« Ce livre comporte de nombreuses erreurs manifestes (femmes prétendument membres d’obédiences masculines, appartenances démenties, erreurs de dates sur des faits historiques) qui décrédibilisent les faits présentés comme des « révélations ». »
On se demande si cela vaut la peine de perdre du temps à faire un commentaire. Tout de même, on est terriblement loin de la volonté de Sartre, qui, en créant ce journal » souhaitait « lutter contre le journalisme couché » ».
Peut-on parler de journalisme et encore plus de « journalisme d’investigation » (source Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Renaud_Lecadre) en lisant un… comment dire ? article pareil ? Un écrit qui manque de la plus petite recherche de base, qui ne vérifie même pas les données qu’il avance dans un quotidien national ? Qui voudrait faire de la provocation mais n’arrive qu’à montrer son manque de culture et de méthode professionnelle ? On est loin d’un Jean-Ederne Hallier.
Et ce sont ces mêmes personnes à Libération qui s’insurgent devant le fichier EDVIGE ? Ces mêmes personnes qui parlent du droit d’opinion et de liberté sexuelle ?
Merci de m’avoir rappelé pourquoi je ne lisais plus votre papier qui n’a plus rien de journalistique.
anti
mais euh.. que sont ces faits qui ont concerné Slay?
sapo en retard du fin fond de sa cambrousse.. comme souvent..
Je te ferai passer un résumé par mail 😉
Le chef de l’Etat a fait savoir cet après-midi qu’il comprenait «l’émoi» suscité par l’interpellation vendredi du journaliste de «Libération», Vittorio de Filippis, et s’est dit étonné «des conditions d’exécution d’un mandat de justice, à l’occasion d’une affaire de diffamation». Ce communiqué de l’Elysée intervient quelques heures après une déclaration de la ministre de la Justice Rachida Dati estimant que la procédure à l’encontre de notre journaliste était «tout à fait régulière».
Le chef de l’Etat a également «confié à la commission présidée par l’avocat général à la Cour de justice, Philippe Léger, la mission de travailler à la définition d’une procédure pénale modernisée et plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes». Le chef de l’Etat a enfin rappelé avoir demandé à la ministre de la Justice, Rachida Dati, de «mettre en œuvre les propositions de la commission Guinchard qui préconise notamment la dépénalisation de la diffamation».
Le projet de loi reprenant ces recommandations doit être examiné par le Parlement «dès le début de l’année 2009», conclut l’Elysée.
(Source AFP)
Vu sur le blog de D. Barella, ancien membre du Conseil Supérieur de la Magistrature:
Ne sortez pas sans votre avocat.
C’est un magistrat qui vous le dit. La liberté d’aller et de venir tend à s’évaporer dans notre pays. Alors soyez prudents, ne sortez plus sans le numéro de portable d’un avocat dans votre poche : il est votre paratonnerre juridique en période d’intempéries pour nos libertés publiques.
Le nombre des mises en garde à vue totalement inutiles de citoyens suit une progression constante. La ministre de l’Intérieur s’en félicite sur le site de son ministère ; la ministre la Justice n’y trouve rien à redire, elle qui dirige pourtant la justice gardienne des libertés.
Toute vérification d’identité peut se transformer en outrage à agent de la force publique, infraction qui connaît une expansion importante. Tout contrôle d’alcoolémie, même à vélo, peut se terminer par un menottage avec garde à vue à suivre jusqu’au lendemain. Tout cela permet à la ministre de l’Intérieur d’améliorer facilement le taux d’élucidation de la police et les indicateurs de réussite de son ministère.
Eh oui, le nombre de gardes à vue dans l’année est considéré comme un indicateur de réussite et une orientation vers la performance selon le nouveau cadre budgétaire. Ainsi, mettre aux arrêts un citoyen sous contrôle policier, qu’il soit ensuite déclaré innocent ou condamné, est assimilé à un succès !
Un mandat d’amener ou un simple contrôle peuvent déraper en fouille à corps, ce qui n’est pas plus acceptable que l’humiliation par l’état des locaux de garde à vue, par le menottage inutile, par les déshabillages réglementaires imposés dans les commissariats comme des méthodes d’enquête.
Merci à l’ancien directeur de la publication de Libération : par ce qu’il a subi, il va peut-être involontairement faire avancer les libertés publiques. Nombreux sont ceux qui plaident pour importer l’habeas corpus anglo-saxon en France. Il est temps de mettre ce processus en place : ne plus laisser aux policiers la décision de mettre une personne en garde à vue devient une mesure de sauvegarde de la population.
Tant mieux si le Président de la République, un temps favorable à la tolérance zéro à n’importe quel prix, se convertit à une procédure pénale qui protège le citoyen contre des excès, que l’on espère rares, des forces de l’ordre et renonce à une procédure pénale outil de (ré)pression. Il reste à espérer que la commission qu’il a chargée de lui faire des propositions sera innovante !
• Dominique Barella •
(Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature)
http://lajustice.blogs.liberation.fr/barella/2008/12/ne-sortez-pas-s.html
Ben ça, on a élu un ancien ministre de l’intérieur pour présider la république… faut pas s’étonner des conséquences ou plutôt des conséquences de nos inconséquences.
anti
Eh oui… Pasqua souvenez-vous ? Il aurait été au pouvoir ça aurait été pareil. Concernant le fichier Edvige, eh bien, là encore, on a obligé l’amie de mon frère à donner un échantillon de son ADN pour y figurer !!!!
Maintenant, chacun doit se reconstruire dans cette histoire, une garde à vue peut faire bcp de mal. Il y avait d’ailleurs plusieurs personnes interrogées sur RTL il y a qqs jours. On commence à se poser des questions sur nos méthodes d’arrestation. Bah, il serait temps d’agir… reste à voir.