L’obésité, ce n’est pas qu’un problème chez les Américains, même s’ils restent très loin devant tous les autres pays avec 65% d’habitants en surpoids et 30% obèses.
En France, une personne sur trois est en surpoids et près de 10 % de la population est obèse.
La mission parlementaire sur la prévention de l’obésité a présenté hier un rapport contenant 80 propositions pour vaincre l’obésité. Le Monde a publié un entretien avec Valérie Boyer, député des Bouches-du-Rhône qui préside cette mission.
Vous parlez d’une « épidémie » d’obésité. Dans quelle mesure affecte-t-elle la France ?
Valérie Boyer : Les spécialistes parlent de façon courante d' »épidémie », compte tenu de la vitesse de propagation du phénomène. La France est touchée comme les autres pays européens. On a longtemps cru que le régime méditerranéen et notre culture culinaire nous mettaient à l’abri, mais aujourd’hui, les chiffres sont alarmants : un adulte sur deux est en surpoids et un sur six est obèse. Chez les enfants, un sur cinq est en surcharge pondérale et les enfants obèses ont 80 % de chances de le rester. Les spécialistes s’accordent à dire que l’obésité coûte entre 10 et 15 milliards d’euros à la Sécurité sociale chaque année. La situation est donc urgente.
Vous souhaitez faire de l’obésité une cause nationale, mais les pouvoirs publics ont-ils vraiment des moyens d’agir sur la question de l’obésité ? Y a-t-il des exemples d’autres pays qui ont su mettre en place une politique efficace de lutte contre l’obésité ?
Non. En France, nous sommes même plutôt en avance grâce à une politique de santé publique ambitieuse. Nous avons déjà le plan national nutrition santé, mais aujourd’hui, c’est insuffisant car l’obésité, bien plus qu’un problème de santé publique, est un problème de société. Il faut agir globalement, sur des comportements sociaux et des habitudes véhiculées par l’ensemble de la société. C’est là toute la difficulté. Une chose m’a frappée au cours des cinquante à soixante heures d’auditions que nous avons menées à l’Assemblée nationale, c’est la souffrance et les difficultés rencontrées par les personnes obèses ou en surpoids. C’est pourquoi nous proposons que la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) isole l’obésité comme facteur de discrimination.
Comment se manifestent les discriminations à l’encontre des personnes obèses ?
On sait, grâce à l’Observatoire des discriminations, qu’une personne obèse a trois fois moins de chances qu’une personne dite « de poids normal » d’obtenir un entretien d’embauche pour un poste de commercial. Les personnes obèses choisissent des métiers dans lesquels l’apparence est moins importante. Elles travaillent surtout dans les métiers de la santé et de l’action sociale (22 %) et dans l’administration publique (13 %). En revanche, elles occupent seulement entre 2 et 3 % des postes dans l’hôtellerie ou les services à l’entreprise. De la même façon, nous déplorons que la souffrance psychosociale des personnes en surpoids ne soit pas étudiée : ce sont des gens qui souffrent beaucoup. Il y a un problème d’estime de soi.
Et puis l’accès aux soins leur est aussi plus compliqué. Les obèses sont souvent en situation de souffrance psychologique et ont tendance à se refermer sur eux-mêmes, refusant de recourir aux soins. Et il arrive parfois que le corps médical, par défaut de formation, porte un regard négatif sur l’obésité : c’est pourquoi on a demandé qu’il y ait des centres pour l’obésité avec des équipes pluridisciplinaires formées. On demande aussi qu’il y ait des matériels pour les personnes obèses. Quand elles arrivent à l’hôpital elles se retrouvent parfois à moitié nues parce qu’il n’y a pas de blouses à leur taille. C’est inacceptable. De même il n’y a pas de transports médicalisés ou de transports tout court pour les personnes qui ont un fort surpoids. On est en train de le mettre en place.
Elle ne fait pas l’unanimité, surtout quand elle est mal rapportée dans les médias. Ce week-end, un membre de la commission a diffusé une fausse information sur le contenu du rapport, reprise ensuite par un journal qui a titré : « Faut-il taxer les barres de chocolat ? » En aucun cas nous ne proposons cela dans le rapport. Nous disons : pas de taxation sans détaxation et pas de détaxation sans taxation. Est-il normal que tous les aliments aient la même fiscalité ? Aujourd’hui, un aliment riche en gras, riche en sel est taxé à 5,5 %, au même taux qu’un kilo de pommes. Il est urgent d’avoir une communication cohérente sur la valeur nutritionnelle des aliments et ne pas favoriser, par exemple, des aliments qui ont des calories vides [qui ne contiennent ni vitamines, ni fibres, ni minéraux] comme les boissons très sucrées. Cette réflexion, il faut la mener à Bruxelles, en nous appuyant sur les études scientifiques sur la qualité nutritionnelle des aliments.
Quelles sont les prochaines étapes, après la présentation du rapport devant la commission de l’Assemblée nationale ?
L’étape suivante, c’est faire de l’obésité une grande cause nationale ou qu’il y ait une grande loi de santé publique. Il est important d’actionner tous les leviers. Ce n’est pas seulement au monde de la santé d’agir, mais aussi à la restauration scolaire et collective, aux publicitaires… Le rapport insiste énormément sur la réorganisation des soins et l’éducation thérapeutique et demande une prise en charge globale de ce problème.
(Propos recueillis par Mathilde Gérard, Le Monde)
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