Dimanche, aux Saintes, alors que nous étions attablés près de l’église pour un verre avec Félix, Janusz, Metshu et les autres, j’ai vu passer à quelques mètres de nous une vieille tzigane que plusieurs autour de la table connaissaient, à en juger par les bribes de mots respectueux qui se sont échangés à son propos.
En la voyant, je me suis aussitôt dit que c’était Mère, aussi clairement que si je l’avais connue il y a deux ans, à l’époque de l’écriture de La veuve obscure, mon roman dont l’action se situe entièrement aux Saintes-Maries.
Mère est un personnage secondaire mais très important de l’intrigue. Elle apparaît au chapitre 10, en voici le début :
Iselda était l’une des rares gitanes de la communauté à vivre encore dans une roulotte traditionnelle, autrefois peinte de couleurs bariolées mais depuis longtemps délavée par le soleil et le vent de la Camargue.
Elle était installée loin de tout, près du marais de Sigoulette, sur une langue de terre bordée de bruyères et d’ajoncs, au fond du chemin qui partait du mas de Cacharel et serpentait vers le nord, le long du grand étang de Vaccarès.
Rajko était son petit-fils. Il lui apportait une fois par semaine de la nourriture et de l’eau. Il lui arrivait de venir en 4×4 mais, le plus souvent, il se faisait prêter une monture par un ami du mas et parcourait à cheval les trois kilomètres séparant la route du bout de terrain où résidait sa grand-mère.
Certains disaient d’Iselda qu’elle avait largement dépassé cent ans. Ses sourcils étaient pourtant toujours noirs. Quant à ses cheveux, plus personne ne les avait vus depuis une éternité. Ils étaient en permanence cachés par un foulard sombre relevé d’un liseré rouge, noué en une coiffe aux replis complexes.
Elle fumait à longueur de journée une pipe grossière et son visage était un champ de rides. Il ne serait venu à l’idée d’aucun Rom de l’appeler par son prénom.
Pour tous, elle était Mère.
Nous avons revu Mère le mardi 24 mai en fin d’après-midi sur la plage, alors que la procession de Sara était déjà repartie vers l’église.
Elle était entourée de ses proches et parlait affectueusement à Yardani, jeune et talentueux violoniste que nous avions découvert l’an dernier à la soirée de l’Association Saintoise des Gitans et Amis.
Quand j’ai montré mes photos d’elle à Félix, il l’a aussitôt identifiée, en me regardant comme si je lui avais demandé s’il reconnaissait le plus célèbre visage du monde.
Son vrai nom est Pisla Loeflfer, elle est Sinti et est originaire d’Alsace. La famille Loeffler et la famille Baptiste sont les deux principaux piliers du pèlerinage de Sara.
J’ai fini par retrouver sa trace sur le web, ce qui n’a pas été très simple. Elle porte également le nom de Pisla Helmstetter. Elle a réalisé et scénarisé en 1989 un documentaire intitulé De la source à la mer, qui raconte l’histoire d’une famille tzigane résidant en Alsace et sédentarisée qui, chaque année, repart sur les routes en direction des Saintes-Maries-de-la-Mer.
Elle apparait également dans l’excellent documentaire Qui a peur des Gitans ?, de John-Paul Lepers, diffusé l’été dernier à la télé. Sur un forum de jazz manouche qui parle de ce film, on la voit en photo et on peut lire parmi les dizaines de commentaires, celui-ci, très émouvant : « La vieille femme sur la photo s »appelle Pisla Helmstetter, c’est la sœur à ma grand-mère, une femme qui a vécu les camps. »
Certes, à la différence d’Iselda, Pisla ne porte pas de foulard sur les cheveux, elle n’a probablement pas cent ans, je ne sais pas si elle fume la pipe et elle ne vit pas seule tout près des Saintes-Maries.
Mais son visage, rieur et beau, c’est celui de Mère.
Très belle journée à vous
Merveilleux visage qui me fait penser à ces femmes photographiées au Ladakh par Olivier Föllmi. Une lecture à livre ouvert sur les expériences de vie. Le regard posé sur Mère par Yardani dit tout sur le profond respect que nous devons (devrions) avoir vis à vis de nos anciens. Merci Anna. Je me réjouis de découvrir ton recueil de « rencontres ».
Je viens d’ajouter à la fin de ma note tout un ensemble d’infos complémentaires que j’ai dénichées sur le web au sujet de Pisla. Et c’est passionnant !
Eh oui ! Encore une belle rencontre ! Son visage m’évoque celui de Kousmine, comme chaque visage ridé et souriant en fait 😉
http://www.kousmine.com/Photo%20005.jpg
anti
Amusant que tu parles de Kousmine! Je potasse ses conseils de régime depuis 2 jours! Je me souviens très bien d’elle. Un centre de soins Kousmine siège à Vevey où elle a formé médecins et autres thérapeutes à ses principes de santé. Et ça lui a réussi!
J’ai eu la chance de croiser la route du Dr Kousmine assez tôt dans ma vie. Je crois que j’ai mangé des tonnes de crème Budwig – Penser à en refaire et donc de racheter un moulin à café ! – 😉 A propos, il manque un article sur ce magnifique personnage sur le blog. A suivre…
anti
Toute la sagesse des anciens que le peuple rom conserve au fil du temps.
Tiens, tiens ? L’une de nous vient de changer de nom ? 😉
Plaît-il ?
Mraow 🙂
Histoire de faire comme tout le monde :+)
fenrele pisla nor au st marie chouker met ham frau je suis de toue coeur avec elle comment elle va
Bonjour, je suis à la recherche de Pisla. J’avais accompagné Yehudi Menuhin à la fête qu’elle avait organisée pour lui dans son village en Alsace. Pouvez-vous me donner ses contacts? J’aimerais aller la voir. Marianne
Nous ne savons pas où elle vit, si elle est sédentarisée ou pas. Une chose certaine est qu’on peut la croiser facilement lors des pèlerinages aux Saintes Maries. Peut-être au prochain dans quelques semaines ?
je suis a la recherche du film de la source a la mer puet tu me dire ou je peux le trouve
Malheureusement, aucune idée (je l’ai cherché aussi pour nous mais je n’ai pas trouvé)… On essaiera de poser la question directement à Pisla la prochaine fois qu’on la croise, donc probablement en mai prochain aux Saintes-Maries.