Aux États-Unis, le Congrès a abandonné dans le courant de l’été tout projet de règlementation visant à réduire les changements climatiques. Dégoûtées, trois organisations majeures de la lutte pour l’environnement en appellent maintenant à l’action directe, qui ne concerne pour l’instant que les États-Unis pour des raisons expliquées dans l’appel qu’ils ont rendu public il y a quelques jours.
Publiée sur Grist, site phare du mouvement vert, cette lettre parue le 7 septembre est signée par le directeur de Greenpeace USA, son homologue du Rainforest Action Network, et par le leader du réseau 350.org. En voici une traduction-adaptation signée Hélène Crié-Wiesner et mise en ligne sur le site de Rue89.
Chers amis,
Quel été ! Les scientifiques viennent d’annoncer que nous venons de vivre les six mois les plus chauds, l’année la plus chaude, et la décennie la plus chaude de l’histoire humaine. Dix-neuf pays ont enregistré des records absolus de température : le thermomètre a grimpé à 54°C au Pakistan, un record en Asie.
Quand on voit l’impact de ces chiffres sur les incendies en Russie, ou sur le Pakistan noyé par des inondations sans précédent, on comprend qu’il n’y a rien d’abstrait dans tout ça.
Cet été, justement, le Sénat américain a décidé de reconduire un accord bipartisan en vigueur depuis vingt ans : l’immobilisme politique face aux changements climatiques. Lesquels, rappelons-le, ne résultent pas d’une quelconque volonté divine.
Nous sommes face aux industries les plus puissantes et les plus profitables du monde : celles qui tirent leurs bénéfices de l’exploitation des combustibles fossiles.
Nous ne les vaincrons pas en restant gentils. Nous devons construire un vrai mouvement, d’une ampleur sans commune mesure avec ce que nous avons bâti dans le passé. Un mouvement capable de contrer le pouvoir financier du pétrole et du charbon. Ce mouvement est notre seul espoir, et nous avons besoin de votre aide.
Action directe de masse
Quelles sont les priorités ? Dans l’immédiat, en ce moment partout dans le monde, des groupes préparent la Global Work Party du 10 octobre 2010 (10/10/10). Ce sera l’occasion de présenter nos solutions concrètes pour résoudre la crise climatique.
On ne se contentera pas de sortir quelques panneaux solaires. L’objectif est de faire honte à nos leaders politiques, de les apostropher : « On fait notre boulot. Et vous ? »
En attendant, dans tout le pays, des avocats et des associations locales abattent un travail d’enfer en combattant des projets de nouvelles centrales au charbon, des militants s’emploient à convaincre les banques de ne plus prêter d’argent aux sociétés délinquantes, des conseils municipaux rivalisent d’imagination pour rendre leurs villes plus propres et durables.
Tout cela constitue la base de n’importe quel mouvement, la fondation de tout progrès à long terme. Mais aussi indispensables que soient ces actions, elles ne sont pas suffisantes. Nous progressons, mais le problème va plus vite que nous. Le temps n’est pas notre allié.
Nous en avons conclu une chose : il faut passer à l’action directe de masse. C’est ce qui a été employé autrefois pour le droit de vote, les droits civiques des Noirs, et la lutte contre la globalisation capitaliste. […]
L’histoire a prouvé qu’il y a une manière efficace de transmettre un message à la fois au public et aux décideurs politiques : s’impliquer physiquement, faire barrière de nos corps.
Agir dans l’unité et avec l’aide de tous
Il est évidemment impossible de prédire à l’avance quel événement va servir de déclic. Après tout, des tas de Noirs avaient refusé de quitter les sièges réservés aux Blancs dans les bus sans que nul ne s’en émeuve. Il se trouve que quand Rosa Parks l’a fait à son tour, en 1955, le mouvement des droits civiques a pris comme une traînée de poudre.
Mais il y a au moins deux choses certaines. Premièrement, nous devons agir dans l’unité. Deuxièmement, nous sommes plus intelligents ensemble que seuls. C’est pourquoi nous réclamons votre aide.
Quand vous déciderez de vous lancer dans un combat écologique, pensez en terme d’action directe. Réfléchissez à ce qui est possible, et soumettez-nous vos idées. Voici quelques pistes de réflexion :
– Pensez à Gandhi, Martin Luther King, et à d’autres pacifistes avant eux. Pas de violence, pas de dommages à la propriété.
– Nous avons besoin d’actions à grande échelle, impliquant un maximum d’acteurs. Pensez en centaines et en milliers de personnes. N’imaginez pas des actions si pointues que seuls quelques spécialistes pourraient y participer. Vous n’allez pas trouver des centaines de gens capables de grimper des façades en rappel ou de faire de la plongée sous-marine.
– Nous ne sommes pas idiots, nous savons que nous n’arrêterons pas l’économie basée sur le charbon et le pétrole avec une seule action concrète. Nous devons nous concentrer sur des objectifs symboliques […].
– Nos actions doivent être ancrées localement, c’est à dire s’appuyer sur des associations et des militants locaux.
– Nos tactiques doivent emporter l’adhésion des spectateurs, pas nous les aliéner. Il faut tenir les provocateurs et les incendiaires à distance, et savoir attirer les gens qui auront une influence sur le public. La discipline compte beaucoup.
– Nous devons être transparents, ne pas nous complaire dans le secret. Notre travail est forcément surveillé à la loupe par la police.
– L’esthétique a son importance. On se bat aussi pour la beauté du monde, celle qui a été confisquée par nos adversaires. Nous voulons aussi gagner les cœurs et les esprits.
– Nos ressources ne sont pas illimitées. Le coût et la complexité de ce genre d’action peuvent vite s’envoler. Comme pour tout ce qui concerne l’environnement, la frugalité et la simplicité sont des vertus cardinales.
Les États-Unis sont historiquement responsables du problème
Bien que nos organisations respectives aient toutes des actions en cours à l’international, nous raisonnons en ce moment au seul niveau des États-Unis. Pour trois raisons :
1 – Dans certaines parties du monde, des militants ont déjà fait un travail énorme, et ils ont bien des choses à nous enseigner.
2 – Les États-Unis se doivent de montrer l’exemple, ne serait-ce qu’à cause du fait que notre pays est historiquement à l’origine de l’effet de serre.
3 – Enfin, même si nous, Américains, prenons de vrais risques (face à la police) en nous engageant dans l’action directe, il ne faut pas oublier qu’ailleurs, ceux qui luttent de cette manière peuvent carrément être jetés en prison pendant des décennies, ou bien pire.
Notez enfin que même si cet appel n’émane que de trois organisations écologistes, nous entendons que le combat soit ouvert à tous. Nous collaborerons avec plaisir avec quiconque partage nos objectifs et notre ligne de conduite. […]
Nous nous doutons bien que cette stratégie d’action ne va pas convenir à tout le monde. Pas de problème. Pour ceux que cela intéresse, voici l’adresse où envoyer vos idées : climate.ideas@gmail.com. D’ici la fin de l’automne, on aura creusé tout ça, et on reviendra vers vous avec un plan cohérent d’action à démarrer au printemps.
Phil Radford, Greenpeace USA, Becky Tarbotton, Rainforest Action Network, Bill McKibben, 350.org
Traduction d’Hélène Crié-Wiesner (Rue89)
A lire également sur le blog : Le réchauffement climatique, état des lieux
Photos AG
« Nous en avons conclu une chose : il faut passer à l’action directe de masse. »
Ça, c’est sûr !
Une belle initiative que voilà, même si, après avoir vu « Le monde selon Monsanto » ce week-end, je suis un peu refroidie. Il y a tellement d’enjeux économiques ! Espérons tout de même qu’elle sera suivie, en tout cas, j’en suis.
Si je suis d’accord avec l’ensemble de ce qui est écrit, il reste deux trois petites choses qui me posent question.
« – Pensez à Gandhi, Martin Luther King, et à d’autres pacifistes avant eux. Pas de violence, pas de dommages à la propriété. »
Alors là, quand on voit justement Monsanto et consorts, je suis pour l’atteinte à la propriété privée ! Ne serait-ce que pour le fauchage des OGM en plein champs et, laissez-moi rêver, pour que les dirigeants de ces entreprises soient responsables pénalement de leurs décisions !!!
« Les États-Unis sont historiquement responsables du problème »
Je croyais que le problème était né avec l’industrie, auquel cas, historiquement ce serait la Grande-Bretagne et la Belgique (fin du XVIIIe) qui seraient historiquement responsables du problèmes, puis la France (début du XIXe). L’Allemagne et les États-Unis, à partir du milieu du XIXe, le Japon à partir de 1868 puis la Russie à la fin du XIXe. Après, c’est sûr, l’étendue de l’industrie n’est pas la même selon que le pays est grand ou plus petit.
anti
Sur le dernier point, je crois que c’est ce que veulent dire les signataires : les USA n’ont pas « créé » l’augmentation excessive de l’effet de serre mais ils en sont depuis des années les plus gros contributeurs et donc les premiers responsables au niveau planétaire. N’oublions pas que, chez eux, les sources principales d’énergie sont le pétrole et, facteur aggravant, le charbon (comme la Chine, l’autre plus gros pollueur de la planète quasiment ex-aequo pour les gaz à effet de serre).
Quant au « pas de dommages à la propriété », il s’agit à mon avis de motivations purement pragmatiques. Le mouvement se veut de masse, il doit rassembler le plus large possible. De ce fait, il est logique de :
– se mettre à l’abri de tout recours en justice (surtout aux US où les avocats dégainent plus vite que leur ombre) en affirmant que toutes les actions lancées le seront de façon 100% légale,
– ne pas donner prise à des arguments du genre « ce sont des subversifs/révolutionnaires/gauchistes/terroristes qui ne respectent pas la propriété », valeur sacrée s’il en est dans ce pays.
Aaaaah ! C’est de la diplomachie !!!
J’ai bon ?! J’ai bon m’dame ?!!!
anti, faille haute.
Naaaaaan, mdrrr, pas de la diplomatie, du pragmatisme !
Imagine un appel où ils écriraient : « Nous sommes déterminés à mener toutes les actions nécessaires, y compris en causant des dommages à la propriété privée ». Seule une poignée de militants déterminés soutiendraient un appel de ce genre, parce que pour eux, ce serait la tôle à coup sûr, tout simplement. Or, son but, c’est justement d’en faire une action largement suivie, pas de la radicaliser.
Comme cela est précisé, « Nos tactiques doivent emporter l’adhésion des spectateurs, pas nous les aliéner. »
C’est bon, c’est bon, j’ai compris (c’est quand même de la diplomatie. Je cite : La diplomatie est la conduite de négociations entre les personnes, les groupes ou les nations en réglant un problème sans violence. C.Q.F.D.) donc de la communication par devant et de l’action comme on veut par derrière ! Yes !
anti, hein ? Quoi ? Je triple ma première année ?! Flûte ! Tout ça, c’est du pipot.