Utopie : Plan imaginaire de gouvernement pour une société future idéale, qui réaliserait le bonheur de chacun. (Source Trésor de la langue française).
Parce que c’est un mot que nous utilisons volontiers sans trop en connaître l’origine, qu’on le pense plutôt positif, parce que ça interroge là où ça fait mal quand même, parce qu’ainsi ça pose la question des responsabilités, je vous propose un petit tour dans le passé, au XVIe siècle, aux sources de l’Utopie…
Le terme d’utopia est un néologisme grec forgé par Thomas More ((7 février 1478, Londres – 6 juillet 1535, Londres) en 1516 pour désigner la société idéale qu’il décrit dans son œuvre (en latin) Utopia. Il est traduit en français par utopie.
Ce terme est composé de la préposition négative grecque ou et du mot topos qui signifie lieu. Le sens d’utopie est donc, approximativement, « sans lieu », « qui ne se trouve nulle part ». Cependant, dans l’en-tête de l’édition de Bâle de 1518 d’Utopia, Thomas More utilise, exceptionnellement, le terme d’Eutopia pour désigner le lieu imaginaire qu’il a conçu. Ce second néologisme ne repose plus sur la négation ou mais sur le préfixe eu, que l’on retrouve dans euphorie et qui signifie bon. Eutopie signifie donc « le lieu du Bon ».
Si de ces deux mots, seul le premier passera à la postérité, ils n’en sont pas moins complémentaires pour décrire l’originalité de l’Utopia de More.
En effet, cette œuvre a pour caractéristique d’être, d’une part, un récit de voyage et la description d’un lieu fictif (utopia) et, d’autre part, un projet d’établissement rationnel d’une société idéale (eutopia). Ces deux aspects du texte de Thomas More ont amené à qualifier d’utopie des œuvres très différentes…
Gravure de Ambrosius Holbein pour une édition de 1518. Le coin en bas à gauche montre le voyageur Raphael Hythlodaeus décrivant l’île (Source Wikipédia)
Utopia (le nom complet en latin est De optimo rei publicae statu, deque nova insula Utopia, ou par extense, Libellus vere aureus, nec minus salutaris quam festivus de optimo rei publicae statu, deque nova insula Utopia) est l’un des ouvrages de Thomas More, qui a eu un succès particulier en France au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle.
Bien que Thomas More ne fût pas économiste, mais juriste, historien, théologien et homme politique, Utopia, qui n’était pas un traité d’économie, mais plutôt une satire de la société de son temps, fut repris au XIXe siècle, sans doute par un effet de biais, pour construire des théories économiques.
Contexte historique
En 1516 paraît en latin chez l’éditeur Thierry Martens de Louvain en Flandre, un livre étrange dont l’auteur Thomas More (Morus en latin), avocat des bourgeois de Londres et depuis peu passé au service de la diplomatie du roi d’Angleterre Henri VIII, était réputé l’ami d’Érasme.
Ce livre portait un titre construit d’après une double racine grecque signifiant « lieu qui n’est nulle part » (ou-topos en grec), mais aussi « lieu de bonheur » (eu-topos en grec), il connut un succès immédiat. D’autres éditeurs entreprirent d’éditer le livre :
* Gourmont à Paris en 1517,
* Alde à Venise en 1519,
* d’autres encore à Vienne, à Florence, à Bâle une nouvelle fois, etc.
On traduisit Utopia en italien, à Venise en 1548, en français, à Paris en 1550, mais ce n’est qu’en 1551, seize ans après la mort de Thomas More, que parut à Londres chez Ralph Robinson la traduction anglaise d’un ouvrage qui avait déjà fait le tour du monde.
Les humanistes, ces savants qui ouvraient la nouvelle page de la modernité en se consacrant à la redécouverte de l’Antiquité et de ses savoirs, les clercs qui s’interrogeaient sur le présent et l’avenir de l’Église romaine, les magistrats au service du droit et des États, les bourgeois instruits des villes marchandes, assurèrent la réputation de Utopia. Du coup, l’éditeur flamand qui en avait eu la primeur en tira huit éditions entre 1516 et 1520 ; le célèbre Frober de Bâle — pour lequel travaillait Érasme — en publia deux éditions.
L’Utopie de Thomas More a eu en France un retentissement particulier au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle : en 1643, en 1715, en 1730, en 1741, en 1780 : éditions, traductions nouvelles, rééditions, n’ont cessé de se succéder, faisant ainsi de cette œuvre l’un des livres les plus lus de la littérature européenne moderne pendant les Lumières.
L’originalité comme le succès de ce roman ont conduit à des imitations et cette œuvre se trouve ainsi à l’origine d’un nouveau genre littéraire auquel on donne précisément le nom d’utopie.
Au XIXe siècle, le mot utopie a servi à la construction de systèmes socialistes, avec d’autres sources plus idéologiques que l’intention initiale de Thomas More.
Récit
Utopus s’est emparé d’Abraxa une terre qui tenait au continent et lui a donné son nom. Il « humanisa une population grossière et sauvage, et pour former un peuple qui surpasse aujourd’hui tous les autres en civilisation ». Ensuite, il a fait couper un isthme et « la terre d’Abraxa devint ainsi l’île d’Utopie ». La genèse de l’île est symbolique : Utopus a voulu rendre le territoire difficile d’accès pour en faire un lieu réservé ; réclamant du voyageur quelque effort pour s’y rendre. De telles barrières naturelles garantissent la protection des influences extérieures.
Plus tard, Voltaire imaginera l’Eldorado (autre utopie célèbre) dans Candide. Quant au terme d’Abraxa, il n’est pas insignifiant : il désigne la ville des fous dans l’Éloge de la Folie de son ami Érasme. Ainsi, l’Utopie est régie par les mathématiques, pure manifestation de l’intelligible. Dans l’île, tout est mesurable parce que le nombre seul garantit l’égalité. Par exemple, toutes les rues de la ville d’Amaurote mesurent 6,5 mètres de largeur. Sur l’île, la propriété privée est inconnue, les Utopistes travaillent six heures par jour et prennent leur repas en commun. Le temps libre est consacré aux loisirs comme les échecs ou l’apprentissage des belles lettres.
Commentaires
Une telle société évoque celles créées respectivement par Aldous Huxley et George Orwell dans Le meilleur des mondes et 1984. Le prix à payer pour vivre dans la paix et l’égalité dans l’île d’Utopie ne serait-il pas un total anéantissement de l’être ?
More a imaginé une île où la vie des habitants serait à ce point réglée par l’État qu’il lui serait possible d’échapper aux injustices et violences inévitables même dans la société la mieux développée. Ainsi, le fait de qualifier le marxisme ou le libéralisme et surtout l’anarchisme d’utopique peut sembler être un abus de langage dans la mesure où More a inventé une société caractérisée par une emprise totale de l’État.
Sans doute ne faut-il pas exagérer ou déformer l’intention initiale de Thomas More, qui était de critiquer les abus de la société de son temps. More était conscient du caractère imaginaire de l’Utopie. (Source Wikipedia).
Le livre en français est disponible en ligne ici.
anti
Très intéressant o.O je vais lire le livre dès ce soir
L’euthopie, c’est là où vit Netsah 😀
Oui, très intéressant en effet. Le passage de Utopie à Eutopie est fascinant, je ne connaissais pas ce détail qui change beaucoup de choses et, en particulier, l’assimilation que l’on a faite par la suite entre « utopie » et « système idéal », au point que lorsque des auteurs de science-fiction du milieu du vingtième siècle (en particulier soviétiques) ont décrit des tyrannies pour critiquer sous une forme voilée leur propre régime sous couvert de fictions, on les a qualifiés d’ « anti-utopistes ». Un terme qui n’a, en fait, aucun sens, ces auteurs étant comme More des utopistes.
Je me souviens avoir été fascinée la première fois que j’ai entendu parler de tout ça.
« J’aime beaucoup ce symbole et de façon générale le volontarisme dans la démarche, l’implication préalable avant d’accéder, se donner du mal avant d’obtenir.
Quel que soit le but, quand on l’atteint, le chemin a forcément été plus riche. »
En fait, de ceci, il faut surtout retenir que ce n’est pas le but qui importe, mais le chemin et la façon de le parcourir. C’est le labyrinthe symbolique (dans lequel il y a bien la notion d’effort, de travail), c’est le voyage.
anti
« More a imaginé une île où la vie des habitants serait à ce point réglée par l’État qu’il lui serait possible d’échapper aux injustices et violences inévitables même dans la société la mieux développée. »
C’est un peu le sort que l’on prépare à nos concitoyens, mais on se rend compte en même temps que les injustices et les violences augmentent… Et cela conduit tout droit à 1984 ou « The coup of 2012 », c’est à dire à une dictature, tout le contraire de ce qui est recherché dans Eutopia…
L’utopie, c’est parfait dans les rêves… Elle m’inspire une extrême défiance dans la réalité.
Quand au but et au chemin, cela tombe pile dans mes réflexions actuelles… Je pense que l’on peut se permettre de ne plus envisager le but lorsqu’on a déjà parcouru beaucoup de chemin… A moins d’être un éternel méditatif-contemplatif, il me semble qu’un individu n’ayant aucun but dans la vie serait ballotté au gré des vents…
Cela me rappelle l’Egypte, où quand vous demandez au chauffeur de tourner à droite, il répond « Inch’ Allah », comme si c’était Dieu qui tenait le volant… Et c’est pareil pour tout… Le fatalisme règne en maître (après Moubarak, quand même !)
Jolie note, Anti, de haute portée philosophique… Merci !
Avec plaisir m’sieur !
anti
Bonjour,
Avec la lenteur de l’escargot, nous avons le plaisir de vous convier aux quatrièmes rencontres annuelles de l’Objection de croissance qui auront lieu dans le département de la Loire à Marlhes du 27 au 29 août.
Au programme : (F)Estives 2010 (http ://www.les-oc.info)
• Pour résister à la domination, quels rapports au pouvoir ? Quels effets peut-on attendre des alternatives concrètes, des contre-pouvoirs et des anti-pouvoirs ? Comment atteindre une masse critique ?
• En quoi les objecteurs de croissance pourraient-ils hériter du socialisme utopique ? Et surtout, comment ? Et pour quoi ?
« Société de consommation », « société du spectacle » sont les principales manifestations d’une course sans fin pour la croissance, le productivisme : de pseudo-produits pour des pseudo-besoins.
Le développement est considéré en termes de quantités et l’unité de mesure est
le taux de croissance du PIB. La nature et l’humain sont comptés comme des
variables d’ajustements structurels.
Aujourd’hui, pourtant, la société et l’environnement sont arrivés à un tel degré de
dégradation que « les dégâts du progrès » ne peuvent plus être cachés. Plus
personne ne conteste que ce modèle de développement engendre des catastro-
phes environnementales, sociales, anthropologiques et politiques : injustices,
irresponsabilités, indécences, dépolitisation…
C’est dans ce contexte sombre que les Objecteurs de Croissance invitent à se
réunir dans la joie de vivre, la convivialité, afin de préparer l’après-développement.
Comptant sur votre coopération pour relayer cette information, recevez nos citoyennes salutations.
Décroissance ou barbarie, on peut encore choisir…
Thierry Brulavoine
02 40 53 60 16