Comme souvent, pendant cette première semaine de vacances, nos pas nous ont menés vers un endroit sacré.
Nous étions sur Paris pour l’après-midi avec Anna car j’y avais un rendez-vous important. En attendant l’heure H, j’ai voulu lui faire découvrir les succulents sandwichs grecs de mon ami Grégoire qui tient la boutique Apollon, rue Raymond Losserand. Nous nous sommes régalées et, comme il nous restait encore quelques minutes et que la chance semblait être au rendez-vous elle aussi, j’ai eu envie de faire découvrir à Anna un lieu unique que j’aime beaucoup, pas souvent ouvert malheureusement : Notre Dame du Travail située juste à côté, entre la rue Vercingétorix et la place de Catalogne dans le XIVe arrondissement.
Concernant l’histoire de cette église, voici ce qu’on peut lire sur la plaque, devant le bâtiment :
Depuis que les Expositions Universelles se tenaient au Champs de Mars, les centaines d’ouvriers chargés d’œuvrer à ces manifestations logeaient dans le XIVe arrondissement.
Pour eux fut construite, entre 1899 et 1901, en remplacement de Notre Dame de Plaisance, devenue trop petite, une nouvelles église placée sous le vocable de notre Dame du Travail.
Aux façades extérieures en meulières, moellons et pierres de tailles, de style roman, l’architecte Jules-Godefroy Astruc a opposé un intérieur aux voûtes formées d’arceaux métalliques, portées par de fines colonnettes en fer, qui donnent à l’édifice une clarté et une légèreté exceptionnelles.
Les fermes de fer proviendraient du Palais de l’Industrie construit pur exposition universelle de 1855 et démoli en 1899 pour faire place aux Grand et Petit Palais.
De même, les moellons des façades latérales proviendraient du Pavillon des Tissus de l’exposition universelle de 1900. La cloche est une prise de guerre de Sébastopol (1854), offerte pas Napoléon III aux habitants de l’ancienne commune de plaisance et placée dès 1861dans l’ancienne église.
Un édifice au tournant du siècle dont l’histoire pourtant commence bien avant, au milieu du XIXe car sa construction au début du XXe siècle résulte du long travail de collecte financière et de l’engagement social d’un homme : le père Soulange-Bodin comme nous le montre très bien ce document signé Cécile Dupré Conservatrice du patrimoine. Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris.
Notre-Dame-du-Travail (Paris), une église au tournant du XIXe siècle et du XXe siècle.
L’église Notre-Dame-du-Travail, protégée au titre des monuments historiques depuis 1976, s’élève rue Vercingétorix, dans le quatorzième arrondissement de Paris. Son ossature métallique apparente l’inscrit dans la catégorie des architectures innovantes, nombreuses au tournant du siècle, comme Saint-Jean-de-Montmartre. Ces édifices associent souvent contraintes économiques et solution ingénieuse.
C’est le cas encore ici. Mais l’intérêt de Notre-Dame-du-Travail va au-delà de cette question du choix des matériaux auquel on la cantonne généralement. En effet, l’histoire de cette église commence bien avant, au milieu du XIXe siècle, et son édification au début du XXe siècle résulte du long travail de collecte financière et de l’engagement social d’un homme : le père Soulange-Bodin.
L’inventaire mené entre octobre et décembre 2007 par la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles (COARC) de la Ville de Paris a permis de mieux comprendre l’histoire des œuvres présentes dans cette église, mais également de prendre conscience de l’histoire sociale d’une paroisse et de l’engagement personnel d’un homme dans une époque de rapports de force entre l’Église catholique et l’État français.
Cet article vise à rendre compte de l’histoire de cette paroisse, de son église, et de ses décors. Il souhaite également mettre en lumière la méthodologie de l’inventaire qui, si elle n’est pas propre aux églises de cette période, n’en n’est pas moins particulière, au sens où elle prend en compte des objets souvent délaissés dans des édifices plus anciens et dont les œuvres sont plus insignes. La collecte d’informations dans ce type d’édifice nous rappelle le nécessaire ajustement du champ de l’inventaire à l’histoire du bâtiment.
Histoire de la paroisse et de son église
Située dans le quartier de Plaisance, cette église a porté plusieurs noms qui rappellent les étapes successives de sa construction. En 1835, une chapelle de secours dédiée à l’Assomption est installée dans un modeste local pour répondre aux besoins des paroissiens rattachés à une église trop éloignée : Saint-Lambert de Vaugirard. Vers 1845, cette chapelle de secours est réédifiée en bois dans l’actuelle rue du Texel, puis instituée paroisse par Mgr Affre, archevêque de Paris, en mars 1848. Elle est alors connue sous le nom de Notre-Dame de l’Assomption de Plaisance.
À la suite de l’annexion des communes limitrophes en 1861, la paroisse intègre le territoire parisien et change de dédicace pour devenir Notre-Dame-de-Plaisance. Cette chapelle est agrandie en 1865. À cette occasion, l’empereur Napoléon III offre à la paroisse une cloche prise au siège de Sébastopol, ainsi que des ornements de drap d’or.
Parallèlement, le quartier de Plaisance qui jusqu’à la Monarchie de Juillet réunit avant tout des carrières (en activité jusqu’en 1807) et des lieux d’agrément, connaît un formidable essor démographique. En 1850, on dénombre 2 000 habitants, en 1856, 10 000 paroissiens. En 1897, le père Soulange-Bodin déclare 35 000 habitants sur sa paroisse dans son appel à souscription.
Pour répondre aux besoins d’une population ouvrière pauvre, la paroisse fait inaugurer par l’archevêque de Paris en 1872 un « fourneau économique » qui distribue jusqu’à deux mille repas par jour, une crèche pouvant recevoir cent enfants, un vestiaire et une salle de conférence pour les ouvriers.
Tout cela provoque l’endettement de la paroisse, et retarde la reconstruction de l’église. Le jeune père Soulange-Bodin est nommé en 1884 vicaire de Notre-Dame de Plaisance. Celui-ci, défenseur d’un catholicisme social, poursuit les œuvres de la paroisse en fondant un patronage pour recevoir les enfants des rues, auquel s’ajoute bientôt le « Torchon », qui organise à domicile le travail des femmes d’ouvriers, leur offrant ainsi une nouvelle source de revenus.
Sont fondés également une société de secours mutuel, un cercle ouvrier, une coopérative de consommation, les conférences de Saint-Vincent-de-Paul et des secrétariats du peuple. Le père Soulange-Bodin est aussi à l’origine d’un périodique, dont la première parution daterait de 1897, appelé L’Écho de Plaisance, qui obtient un succès national et constitue une source inépuisable de renseignements sur l’histoire et la vie de cette paroisse.
Ce dynamique vicaire devient curé de la paroisse en 1896 et lance une souscription nationale pour financer la construction d’une nouvelle église, sur un emplacement offert par le précédent curé, le père Grenier, grâce au don conséquent d’un proche de Soulange-Bodin.
Après cette édification, Notre-Dame-de-Plaisance rue du Texel est désaffectée en 1903, puis démolie en 1904. La dédicace de la nouvelle église relève d’une décision du curé Soulange-Bodin, qui retient une proposition faite par l’un des vice-présidents de l’Union fraternelle du commerce et de l’industrie dans une lettre qu’il lui adresse :
« Si vous placiez votre église à édifier sous le vocable de Notre-Dame-du-Travail,
réservant un pilier à chacune des professions industrielles ou commerciales, suivant les anciennes corporations ? »
Des industriels et commerçants du quartier proposent de financer la réalisation d’une statue représentant Notre-Dame-du-Travail. Cette sculpture en calcaire blanc est toujours visible dans la chapelle de la Vierge.
La dédicace, dans l’esprit du père Soulange-Bodin, devait permettre de réconcilier les travailleurs et la religion, le travail et le capital.
Roger Soulange-Bodin, une figure déterminante
La personnalité du curé Soulange-Bodin est déterminante dans la réalisation de l’église. Son engagement sans faille pour cette paroisse fait de lui une des figures marquantes du catholicisme social du tournant du siècle.
Une plaquette éditée par la paroisse en 1985 dresse ainsi le portrait d’un « homme gai, impétueux, toujours sur la brèche, populaire, imaginatif […] bon et surnaturel ».
Jean-Baptiste, Roger Soulange-Bodin (1861-1925) est né à Naples où son père était consul général de France. Il grandit entre l’Italie et le Pays basque, d’où est originaire sa famille.
Il suit des études classiques au collège Stanislas puis entre au séminaire Saint-Sulpice à Paris. Ordonné prêtre à 23 ans, il est nommé vicaire à Notre-Dame de Plaisance, poste dans lequel il voit une mission apostolique et sociale.
Cet homme défend des idées sociales et leur donne forme en fondant les œuvres précédemment citées. Une fois nommé curé, il investit sa grande énergie dans la reconstruction de l’église. Franc-tireur, fervent démocrate, il prône aussi la séparation des églises et de l’État et rejette l’idée de prêtre fonctionnaire.
Il crée une des premières associations paroissiales françaises en septembre 1904 pour gérer les biens de sa paroisse mais refuse de la déclarer à la préfecture. Ce refus ne permet pas à l’association de posséder des biens (immeubles ou capitaux), mais le père Soulange-Bodin y voit une manière de se prémunir des saisies potentielles de la puissance publique.
Passionné de pédagogie, il publie un ouvrage Lettres à un séminariste dans lequel il défend l’idée d’une formation en économie et politique sociale pour les futurs prêtres. Il est rapidement interdit à la vente. Son caractère impétueux le pousse à s’opposer à l’inventaire des biens de la fabrique par l’administration en 1906, ce qui le conduit devant les tribunaux. Il est déclaré coupable d’avoir provoqué directement la résistance aux lois, malgré la brillante défense de son avocat, mais n’est condamné qu’à une peine symbolique.
En 1909, l’archevêque de Paris le nomme curé de Saint-Honoré-d’Eylau, après vingt-cinq années de travail au service de la paroisse de Plaisance. En 1924, il démissionne et meurt en mai 1925.
Couverture d’un appel à souscription. Jean-Marc Moser, 2008. © Ville de Paris, COARC
La souscription
Afin de rassembler des fonds pour la nouvelle église, le curé Soulange-Bodin lance un large appel à souscription dès 1897 et fait imprimer 100 000 prospectus dans lesquels il expose son projet.
Il utilise avec à-propos le contexte de préparation de l’Exposition universelle de 1900 à Paris pour mobiliser d’éventuels donateurs au-delà du seul territoire parisien.
Voici le texte édité à cette fin :
« Pourquoi une église ?
Pour unir sur le terrain de la Religion les travailleurs de toutes les classes.
Pourquoi à Paris ?
Parce que Paris est considéré à juste titre comme le centre du travail et de l’industrie.
Pourquoi dans le quartier de Plaisance ?
Parce que c’est un faubourg composé uniquement de travailleurs, qui n’a pas encore d’église pour ses 35 000 habitants, mais qui est admirablement préparé à en recevoir par un ensemble remarquable d’œuvres religieuses et sociales.
Pour quand ?
Pour 1900. Il faut qu’en venant à l’Exposition universelle, les travailleurs des deux Mondes puissent venir prier dans le sanctuaire de la Vierge du Travail. Il faut qu’en 1900, tandis que s’ouvrira le Palais des produits du travail, s’ouvre pour les producteurs du travail un grand Sanctuaire d’union et de concorde ».
Dans ce document cartonné dont la couverture est ornée d’une composition signée de Robert Salles (1871-1929), sont mentionnées les contreparties attachées aux différents montants offerts par les donateurs : « Les bienfaiteurs de 1000 francs auront droit à un écusson d’arc de voûte avec armes ou inscriptions de leur choix ».
Il est à noter qu’aucune mention de bienfaiteur n’est visible aujourd’hui dans l’église.
Par ailleurs, Étienne Moreau-Nélaton, le célèbre affichiste et futur donateur de la collection d’impressionnistes visible aujourd’hui au musée d’Orsay, offre une affiche à la paroisse pour cette souscription. On peut y lire : « Travailleurs de France ! / Apportez tous votre pierre à Notre-Dame-du-Travail ». Cette affiche est évoquée dans le numéro de mai 1897 de L’Écho de Plaisance, permettant ainsi de dater facilement cette création : Moreau-Nélaton, ami de la paroisse, a dessiné « une charmante affiche chromolithographique en faveur de la construction de notre église ».
Le curé Soulange-Bodin utilise d’ailleurs tout au long du chantier de construction L’Écho de Plaisance comme porte-voix pour ces appels de fonds.
Une fois les travaux achevés, les appels aux dons en argent ou en nature pour les ornements, les meubles, les décors continuent d’alimenter les colonnes de ce journal, dont l’audience est alors d’envergure nationale.
La construction de l’église actuelle
L’histoire de la construction de cette église peut être facilement résumée grâce à deux sources principales : un rapport sur la construction rédigé en 1897 par l’architecte Jules Astruc (1862-1935), architecte-voyer adjoint de la Ville de Paris, et les exemplaires de L’Écho de Plaisance ou de son supplément (Chronique de Notre-Dame-du-Travail) permettent de retracer les différentes étapes et les cahots de cette réalisation, entièrement financée par des fonds issus d’une souscription et de dons.
En 1897, dans son rapport adressé au préfet de la Seine, Jules Astruc relate les origines du projet.
Grâce à un don, l’abbé Grenier, curé de Notre-Dame-de-Plaisance de 1889 à 1896, achète un terrain, sur lequel il fait démolir en 1891 plusieurs constructions.
Ce terrain étant situé sur des anciennes carrières, de longs travaux de consolidation s’ensuivent de 1891 à 1894. Les travaux de fondation et de fouilles se poursuivent de 1896 à 1897.
Pour justifier la capacité de la paroisse à financer son projet jusqu’à terme, l’architecte détaille ensuite les matériaux qui vont être mis en œuvre et les différents éléments de la construction.
Il mentionne par exemple que les murs latéraux et de façade seront en pierre meulière, tandis que le banc royal de Saint-Maximin sera choisi pour les encadrements de baies et les rosaces.
Il spécifie aussi que « la construction des piles et arcs intérieurs, celle des voûtes, charpente de comble, remplissage de voûtes serait en fer étudiée par la maison Moisant ». Cette indication permet de réfuter l’hypothèse longtemps retenue selon laquelle la charpente de Notre-Dame-du-Travail proviendrait de la démolition du palais de l’Industrie.
Les exemplaires de L’Écho de Plaisance conservés aux archives de l’Archevêché ou à la Bibliothèque Nationale de France permettent de compléter ces éléments.
Le supplément à L’Écho de Plaisance d’août 1897 rapporte : « Les ouvriers terrassiers ont fini leur travail. Ils ont cédé leur place aux maçons qui construisent les fondations. Huit grands puits de 22 mètres de profondeur sont comblés de béton et forment assises des deux clochers ».
Le numéro de septembre 1897 montre une photographie du chantier en cours. Dans le supplément de novembre 1898, le curé est heureux d’annoncer que « la crypte est finie ». Elle est bénie le 12 novembre.
La Chronique de Notre-Dame-du-Travail d’avril 1900 indique : « les murs en meulière de l’église supérieure sont commencés et, à la carrière, on taille les grandes pierres de la façade ».
En revanche, dans le même périodique daté de juin 1900, le curé se désole de voir les travaux bientôt suspendus faute de fonds. Mais L’Écho de Plaisance de mai 1901 annonce la reprise des travaux grâce à un don de 50 000 F offerts à la suite d’un miracle réalisé à Lourdes.
On apprend également que la maison Moisant et Compagnie travaille à l’ossature métallique qui doit être mise en place en juillet. Dans cette même revue, nous pouvons suivre les dernières étapes de la réalisation en 1901 : en juin, la tribune de l’orgue est achevée ; « le 21 août la croix qui termine la façade a été montée, scellée et bénite » ; en décembre, la pose des vitraux a commencé. Après divers aménagements intérieurs, réalisés grâce à de nouveaux dons, la nouvelle église est finalement inaugurée en avril 1902.
La Chronique de Notre-Dame-du-Travail de juillet 1902 annonce que la précédente église installée rue du Texel est désormais fermée définitivement. Elle est détruite en 1904.
Enfin, une troisième source finit de détailler la chronologie des travaux de construction : il s’agit des notes d’un érudit local prises à partir des archives de la paroisse.
Un rapport de la fabrique du 27 septembre 1899 explique que les 750 000 F nécessaires à la construction du plan primitif paraissent trop difficiles à rassembler et que le curé a donc demandé à l’architecte d’étudier un nouveau plan.
Celui-ci présente des charpentes en fer agrémentées de céramique et un plafond plat. Un rapport de la fabrique d’avril 1900 explique que le plan primitif soumis à l’administration municipale en 1897 reste inchangé quant à sa forme, mais que le mode de construction est modifié.
Il est également décidé de supprimer les clochers et les voûtes, ainsi que de substituer le moellon à la pierre de taille. Tout au long de ce chantier, la question financière a donc joué un rôle central.
Vue de la charpente métallique de Notre-Dame-du-Travail. Jean-Marc Moser, 2007. © Ville de Paris, COARC
L’architecture de Notre-Dame-du-Travail
L’architecte choisi pour la réalisation de cette église est Jules Astruc. Cet élève de Victor Laloux (1850-1937) à l’École des beaux arts réalise à la même période l’école de Saint-Aignan, rue des Ursins, en 1899, puis, entre 1909 et 1911, l’église Saint-Hippolyte. Pour le projet de Notre-Dame-du-Travail, il livre successivement trois plans qui, à chaque fois, tentent de réaliser une économie par rapport à la proposition précédente. Une première proposition est donnée en septembre 1886, puis un projet plus modeste en 1897, dont les éléments sont détaillés dans le rapport précédemment cité ; faute de moyens, le projet est encore aménagé en 1899.
Le choix du métal n’apparaît qu’à partir du projet de 1897. C’est un choix par défaut qui se comprend par la nécessité de rendre la construction la moins onéreuse possible. Mais de cette contrainte économique, le père Soulange-Bodin fait une réponse aux besoins spirituels des couches populaires de la société. Certes ce matériau permet de couvrir de vastes espaces avec peu de piliers ; mais, selon lui, il offre aux ouvriers de la paroisse un cadre familier, proche de celui qu’ils connaissent dans le monde du travail.
À l’époque, le fer est utilisé à cette échelle exclusivement dans les bâtiments civils et, plus précisément, les édifices utilitaires (gares, usines, halles…). A contrario, le choix de la façade est plus conventionnel.
Vue de la façade de l’église Notre-Dame-du-Travail. Claire Pignol, 2007. © Ville de Paris, COARC.
L’architecte propose une formule s’inspirant des façades romanes. Notre-Dame-du-Travail se présente donc comme un compromis architectural entre une nef audacieuse et un extérieur accompagné de chapelles absidiales plus traditionnelles.
Cette esthétique de l’entre-deux, évoquée par Simon Texier, a nourri pendant près d’un siècle une certaine controverse sur la place à donner à Notre-Dame-du-Travail dans l’histoire de l’architecture religieuse du XXe siècle. Pour ses détracteurs, il semble évident que l’usage du fer apparent dans une église ne répond pas à la fonction symbolique et sacrée du lieu.
Cet argument se retrouve à des dates différentes. Jean Bayet écrit en 1910 : « Ce charpentage exclusivement métallique, avec ses nervures et ses ramifications hardiment projetées, donne à ce monument un aspect fort curieux, mais peu conforme, il faut bien l’avouer, au caractère d’une église ».
L’ouvrage de Dumolin et Outardel reprend ces notions de hardiesse et de légèreté mais souligne également le fait que cette charpente correspond peu au caractère d’une église. De même dans Les Cahiers d’Art Sacré, un article extrêmement critique assène en 1946 : « Les soucis plastiques et spirituels étaient purement et simplement éliminés ; et l’on prétendait qu’ils étaient satisfaits si la construction était logique ».
Pourtant, dès 1903, un article de La Construction Moderne porte un regard beaucoup moins intransigeant sur l’architecture d’Astruc.
Il rappelle que l’intérêt de cette construction se résume à sa grande économie et au fait que la charpente métallique pourrait être celle de toute salle de réunion un peu vaste. L’auteur prend ainsi l’exact contre-pied des reproches habituellement émis à l’encontre de cette église.
Dans un autre numéro de La Construction moderne, l’auteur souligne que chaque matériau employé (pierre, bois, fer, brique) a conservé son caractère propre et que l’harmonie générale de l’ensemble résulte de cette juxtaposition simple qui ne se farde ni d’enduits ni de peintures.
Il note aussi que les murs latéraux, les contreforts et les murs du presbytère sont en vieux moellons durs qui proviennent en grande partie de la démolition des abattoirs de Breteuil. L’article indique enfin que les arcs en fer sont cintrés, évitant ainsi le rapprochement trop évident avec les constructions civiles ou industrielles.
Il est vrai que ce choix relève là encore du compromis esthétique et révèle sans doute également combien il était difficile à l’époque d’associer ce type de mise en œuvre à un édifice sacré, même pour un prêtre aussi frondeur que Soulange-Bodin.
Plus récemment, les ouvrages évoquant Notre-Dame-du-Travail traitent de cette architecture en la replaçant davantage dans son contexte.
Le débat s’est apaisé ; il n’est plus question de savoir s’il s’agit de bonne ou de mauvaise architecture pour une église, mais bien de comprendre le sens de cette architecture dans son temps.
Ainsi en 1971, Marc Hemery rapporte les nombreuses contraintes économiques qui ont influé sur le chantier et conclut ainsi son article : « Le volume est sans doute plus vaste et les espaces moins bien définis ; ils annoncent, naïvement peut-être, la grande fluidité des espaces qui sera le propre de l’architecture du XXe siècle ».
Bernard Violle en 1982 revient sur la coexistence à Notre-Dame-du-Travail de l’innovation technique et d’un certain archaïsme, visible dans la chapelle de la Vierge et sur la façade néoromane. Cette coexistence est, à ses yeux, symptomatique « des aspects contradictoires pour nous de la mentalité chrétienne qui a promu la J.O.C. et le syndicalisme chrétien ».
Dans la lignée de ces livres et de leurs successeurs, nous tenons à souligner ici l’importance des contraintes économiques auxquelles la paroisse a dû faire face. La modestie même de cette architecture, son ambivalence, nous permet de comprendre par qui et surtout pour qui elle a été réalisée. L’architecture métallique offre un vaste espace couvert à moindre coût, la façade en pierre quant à elle confère l’aspect sacré traditionnel, indispensable aux fidèles.
Le décor de Notre-Dame-du-Travail
L’architecture de Notre-Dame-du-Travail ne se comprend pleinement qu’en association avec le décor intérieur réalisé à la même époque, et qui répond de façon plus didactique à la mission apostolique du père Soulange-Bodin.
La large nef est flanquée de dix chapelles décorées de lignes florales peintes au pochoir, donnant un certain charme Art nouveau à l’ensemble.
Ce décor au pochoir encadre des toiles au format cintré qui représentent plusieurs saints, patrons des travailleurs et des opprimés.
Soulange-Bodin a pour cet ensemble fait appel à deux peintres du voisinage : Giuseppe ou Joseph Uberti et Émile Desouches dont la signature curieuse a longtemps fait penser qu’il existait un peintre méconnu portant le patronyme d’Erdès.
Uberti signe la plupart des compositions : Saint Joseph patron des menuisiers et charpentiers, Sainte Geneviève patronne de Paris, Saint Vincent de Paul protecteur de l’enfance, Saint Éloi et Saint Luc patron des artistes ouvriers d’art, tandis que Desouches compose Saint Fiacre ou Ermite de Plaisance et Saint François d’Assise, dont la facture paraît plus faible que celle des œuvres du peintre italien.
Uberti, Joseph. Saint Éloi, patron des ouvriers métallurgistes, 1899. Jean-Marc Moser, 2007. © Ville de Paris, COARC.
Ces peintures veulent rendre hommage au monde du travail au travers de saints protecteurs, démarche imitée du Moyen Âge.
C’est bien l’esprit de la lettre qu’un des vice-présidents de l’Union fraternelle du commerce et de l’industrie adresse en 1896 au nouveau curé de Notre-Dame-du-Travail. Le curé offre une imagerie à laquelle les paroissiens issus des milieux de l’industrie et de l’artisanat peuvent facilement s’identifier.
Si le style nous apparaît aujourd’hui plutôt conventionnel, il soulève à l’époque quelques critiques, semble-t-il, puisqu’en 1903 il est écrit dans L’Écho de Plaisance : « Quant aux peintures, elles ne sont pas, il est vrai, du style chapelle ordinairement admis ».
De même, dès novembre 1899, L’Écho de Plaisance décrit le pinceau d’Uberti comme « original et vigoureux » et ajoute : « Si vous voulez voir quelque chose qui ne ressemble en rien aux doucereux chromos du quartier Saint-Sulpice, il faut venir visiter la crypte et admirer cette toile […] ».
La première toile exécutée par Uberti pour Notre-Dame-du-Travail en 1899 représente saint Éloi, patron des métallurgistes. Il ne pouvait pas en être autrement dans une église où le métal devait prendre tant de place.
Un autre artiste, représenté dans d’autres églises parisiennes, a réalisé la longue composition qui orne l’abside de la chapelle de la Vierge. Il s’agit de Félix Villé. Ce tertiaire dominicain réalise ici sa dernière grande œuvre en 1904 ; elle s’intitule Notre-Dame du Travail secours des affligés. Villé organise sa composition en deux mouvements allant vers le fond de l’abside : à gauche les travailleurs, à droite les sans-travail.
Tous sont accueillis par deux anges qui les introduisent auprès de Notre-Dame du Travail. En effet, cet ensemble peint ne se comprend qu’avec la présence au fond de la chapelle d’une autre œuvre : la sculpture de Notre-Dame du Travail proposée à la paroisse par des industriels et des commerçants du quartier. Elle est l’œuvre en 1898 de Joseph Lefèvre (1836-1911), sculpteur habitant aussi la paroisse.
Lefèvre, Joseph. Notre-Dame du Travail, 1898. Claire Pignol, 2007. © Ville de Paris, COARC.
Cette sculpture étonnante taillée dans un bloc de 7000 kg et bénie le 22 mai 1898 remporte un grand succès auprès des paroissiens.
Elle représente la Vierge assise et l’enfant Jésus debout à son côté portant un maillet de charpentier. Sur le socle sont représentés des symboles du travail.
Ce décor correspond à deux tendances fortes de l’art de cette époque. D’une part, la réelle imbrication entre les différents éléments du décor nous rappelle la notion d’art total, chère aux tenants de l’Art nouveau et qu’on trouve ici dans le rapport étroit entre les peintures au pochoir et les peintures de chevalet, entre la peinture murale et la sculpture.
D’autre part, certaines œuvres intègrent des éléments de la modernité notamment dans la représentation du monde ouvrier. Cela est visible au centre de la toile d’Uberti consacrée à saint Joseph (1900), où, à l’arrière-plan, on note la présence de charpentiers en costume contemporain et de façades typiquement parisiennes.
De même, Émile Desouches, dans son tableau de Saint François d’Assise, intègre à la foule écoutant le prêche du saint des personnages modestes qui ressemblent davantage à des travailleurs italiens du XIXe siècle qu’aux contemporains de saint François. Les éléments sculptés sur la base de la statue de Joseph Lefèvre nous renvoient aussi à l’époque contemporaine avec une façade d’usine ou une machine à vapeur.
Ce choix de représenter des travailleurs et leurs outils répond parfaitement au souhait du père Soulange-Bodin de voir l’église se rapprocher du monde du travail. Mais il n’est pas sans évoquer, avec des teintes politiques différentes, l’intérêt que lui portent les artistes de l’Art nouveau ou les néo-impressionnistes comme Maximilien Luce (1858-1941).
D’autres œuvres notables participent au décor de Notre-Dame-du-Travail. Nous citerons sans nous attarder : Sainte Bibiane et Sainte Élisabeth de part et d’autre de la nef, peintes par Roy (1880-1950), ainsi que Le baptême dans les catacombes, accroché dans la chapelle des fonts baptismaux.
Dans cette même chapelle se trouve une autre toile plus ancienne que les autres œuvres visibles à Notre-Dame-du-Travail : il s’agit d’une copie de l’Assomption de Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823) réalisée par Thérèse Donnet et datée de 1865. Elle fut peinte pour la précédente église de la rue du Texel et constitue une des rares traces du transfert des œuvres de l’ancienne à la nouvelle église.
Après le premier conflit mondial, deux tableaux de Lucien Simon (1861-1945) viennent orner la chapelle des morts. Il s’agit du Sacrifice, martyre des soldats et des Morts accueillis au Paradis par le Christ. Les œuvres présentes aujourd’hui dans l’église ne constituent cependant qu’un pan de l’ensemble qui s’y trouvait pendant l’entre-deux-guerres. De nombreux éléments ont été ôtés par le clergé en 1968 avec l’autorisation de la municipalité, notamment les barrières en bois de la nef, les confessionnaux, les statues en plâtre et le chemin de croix ; ils sont visibles sur des cartes postales anciennes.
Carte postale ancienne représentant le bas-côté droit de la nef de Notre-Dame-du-Travail. Jean-Marc Moser, 2008.
© Ville de Paris, COARC.
Les restaurations et les aménagements au cours du XXe siècle
Les années 1960 et 1970 correspondent à des années de bouleversement pour ce quartier, réhabilité en deux vagues successives. Dans le cadre du réaménagement de l’îlot Vandamme en 1960, une note du sous-directeur des Beaux-Arts indique qu’il ne s’opposerait pas à la démolition et à la reconstruction de l’église afin de faciliter son alignement dans la rue Vercingétorix. Elle est finalement épargnée et intégrée au projet de la ZAC Guilleminot, dont les travaux débutent en 1972.
L’église subit en 1974 des actes de vandalisme. Un des personnages à droite de la toile de Villé porte encore les stigmates de cet événement malgré les travaux de restauration. Avec le réaménagement du quartier par Ricardo Bofill (1939- ), l’église est dissimulée derrière la place de Catalogne et bénéficie de la proximité de jardins.
Si certaines années ont été marquées à Notre-Dame-du-Travail par une recherche de dépouillement, la période de présence du père de La Morandais est une période d’acquisition, de dépôts et de création. Entre 1984 et 1985, Henri et Geneviève Taillefert restaurent les peintures au pochoir, réalisent des fonts baptismaux à immersion en mosaïque, ainsi qu’une grande peinture murale à l’extérieur de l’église représentant la charpente métallique de la nef. Dans ces mêmes années, une complète restructuration du chœur a lieu, avec la mise en place de plusieurs œuvres de Jean-Jacques Bris, dont un grand Christ de la résurrection, un tabernacle et dans le fond de la chapelle de la Vierge, une colombe du Saint-Esprit qui dissimule probablement l’Assomption de Villé. Une Pieta de Georges Serraz est acquise et installée dans la chapelle des morts placée désormais à droite de l’entrée entre les deux toiles de Lucien Simon. La Main créatrice, une sculpture de Michel Serraz (1990) est placée dans la nef.
Notre-Dame-du-Travail et les méthodes d’inventaire
Plaque émaillée donnant les horaires des messes. Jean-Marc Moser, 2007. © Ville de Paris, COARC.
La Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles (COARC) créée en 1996 a pour missions d’inventorier, de documenter et de restaurer les œuvres d’art, le mobilier et les décors présents dans les églises appartenant à la Ville de Paris.
Cet inventaire général est toujours en cours. À dire vrai, il est en perpétuelle évolution : depuis les premiers inventaires datant de la seconde moitié du XIXe siècle son champ d’intervention s’est considérablement élargi. Il semblait prioritaire au XIXe siècle d’établir la liste des tableaux, sculptures et mobiliers remarquables. Après une phase de réactualisation menée dans les années 1980, il a paru nécessaire d’ouvrir le champ d’investigation à des domaines longtemps délaissés comme l’orfèvrerie, les ornements liturgiques, les statues d’édition en plâtre, le mobilier, et de suivre les lignes directrices de l’Inventaire général.
Les méthodes de travail ont évolué et, du point de vue de l’histoire, il est indispensable d’établir une photographie la plus précise possible des œuvres, décors et mobiliers présents dans les églises de la capitale. Cet inventaire a autant vocation à établir un état à une date donnée qu’à définir la liste des propriétés respectives de la municipalité et du diocèse. Le travail de collaboration entre la Commission diocésaine d’art sacré (CDAS) et la COARC répond à un besoin administratif au moment des passations. Il matérialise également la volonté de deux entités de s’entendre afin de mieux protéger, conserver et connaître le patrimoine religieux.
Cette démarche prévaut à la fin de l’année 2007 lorsque le curé de Notre-Dame-du-Travail est remplacé. D’octobre à décembre 2007, l’inventaire est réalisé par deux conservatrices du service accompagnées alternativement de deux photographes et d’un assistant.
La liste d’œuvres illustrée de photographies numériques complète la documentation de la COARC et permet de faciliter l’état des lieux pour la passation. Trois cent vingt-cinq œuvres y figurent. Cette liste sera sûrement abondée au fil des années. Chaque œuvre reçoit un numéro d’inventaire généré à partir d’un code attribué à l’église suivi d’un numéro de photographie. Seules les œuvres appartenant avec certitude au diocèse ou à des prêtres à titre personnel ne reçoivent pas de numéro d’inventaire. Dès l’enquête de terrain, les objets sont liés à leur photographie. Une couverture photographique nécessite plusieurs clichés, afin de garder une image de toutes les faces d’un objet (certaines permettant de comprendre les techniques de réalisation de l’œuvre), de zoomer sur les détails (gros plan sur les broderies, les poinçons, les signatures). La réalisation d’une fiche d’inventaire nécessite également l’identification des matériaux quand cela est possible, et une prise de mesures.
La recherche documentaire ou archivistique en amont étaye ce travail de terrain. Dans le cadre précis de cet inventaire, les archives de Paris, les archives de l’Archevêché et la Bibliothèque Nationale de France ont été sollicitées. De longues recherches avaient été réalisées plusieurs années auparavant par d’autres conservateurs du service. Cette compilation de données représente une somme d’informations essentielle à la compréhension de l’histoire de cette paroisse. La lecture des numéros de L’Écho de Plaisance et de leur supplément, conservés à la Bibliothèque Nationale de France, permet de retracer la chronologie de cette église au tournant du siècle.
Cette publication mériterait une étude à elle seule. Quelle place tenait-elle dans le réseau des revues catholiques ? Quels étaient son lectorat et son impact sur les paroissiens ? Cette revue qui traite à la fois de la vie de la paroisse, qui prodigue des conseils en matière d’éducation des enfants, de morale, de diététique, est un formidable porte-voix pour les idées de Soulange-Bodin.
Cette étape documentaire s’est trouvée enrichie par l’inventaire in situ. Nous avons constaté que toutes les archives de la paroisse n’avaient pas été versées aux archives de l’Archevêché, et que certains documents illustrés subsistaient sur place. L’appel à souscription de 1897 et des cartes postales datant probablement de l’entre-deux-guerres nous apportent, pour l’un, des informations sur l’esprit de cette souscription et, pour les autres, une image fidèle de l’église au cours du XXe siècle. Ces cartes postales complètent les descriptions données par L’Écho de Plaisance ; elles attestent également des changements de décor survenus en moins d’un siècle. La nécessité d’un inventaire actualisé le plus large possible n’en apparaît que plus pressante. Enfin, ces cartes postales qui devaient être commercialisées, matérialisent l’attachement des paroissiens ou même des visiteurs de l’époque à cette architecture et son décor peu commun.
Une carte postale représente l’abside de la chapelle de la Vierge : une Assomption surplombe la statue de Lefèvre ; elle est mentionnée dans la Chronique de Notre-Dame-du-Travail d’avril 1903. Cette œuvre de Félix Villé complétait l’ensemble peint et sculpté de la chapelle. Elle n’est plus visible aujourd’hui mais se trouve sans doute encore derrière la colombe du Saint-Esprit signée par Jean-Jacques Bris.
La troisième étape de ce travail d’inventaire est l’analyse des œuvres et des documents rassemblés, leur comparaison avec d’autres objets connus. À terme, ces informations seront versées dans une base de données commune aux institutions patrimoniales de la Ville de Paris, offrant la possibilité de rapprochements plus aisés au sein de l’ensemble des collections parisiennes.
Qui a pratiqué l’exercice d’inventaire, sait combien il est difficile de décider d’inventorier tel ou tel objet. Dans le cas de Notre-Dame-du-Travail, un inventaire « large » a été choisi, en raison du fait que le moindre objet, le matériau le plus modeste, symbolise l’engagement individuel ou collectif de paroissiens pour meubler ce lieu.
La modestie même de ces objets nous rappelle les caractéristiques économiques et sociales de cette paroisse jusqu’à la réhabilitation du quartier dans les années 1960-1970. Prenons un exemple pour illustrer le changement de regard nécessaire qui s’opère dans ce genre d’édifice : selon une publicité publiée dans le numéro de mars 1914 de L’Écho de Plaisance, Joseph Lefèvre propose sa sculpture de Notre-Dame du Travail en édition dans différents matériaux.
Un exemplaire de ces éditions est actuellement visible dans le bureau de M. le curé. Ce tirage en plâtre de 36 cm de haut n’égale pas en qualité la sculpture originale, son intérêt est autre : il témoigne d’une piété populaire à l’époque, d’un attachement particulier pour cette imagerie, encore perceptible aujourd’hui dans les billets pliés déposés dans les interstices de la statue, sur lesquels figurent des requêtes à la Madone en lien avec le travail ou le chômage.
De même, un objet aussi modeste qu’une plaque émaillée qui mentionne les horaires de la messe aurait pu échapper à notre vigilance dans une église plus fastueuse et à l’histoire plus ancienne. Or ces plaques sont mentionnées avec enthousiasme par Soulange-Bodin dans L’Écho de Plaisance.
Donnet Thérèse, Assomption d’après Prud’hon, 1865. Jean-Marc Moser, 2007.
© Ville de Paris, COARC.
Enfin, la copie de L’Assomption de Prud’hon, dans une autre église, aurait certes été inventoriée mais ne bénéficierait pas du même statut
d’ « incunable », comme à Notre-Dame-du-Travail.
En effet, comme il a été dit précédemment, cette copie est un des rares vestiges de l’église de la rue du Texel et constituait le tableau du maître-autel. Elle rappelle également l’ancienne dédicace de l’église. Il est rare qu’une copie du XIXe siècle, même de qualité, concentre autant de motifs d’intérêt. C’est bien le rapport entre les œuvres et leur contexte de réalisation qui cristallise leur plus ou moins grande richesse historique. Cette église dont la construction est très ramassée dans le temps nous rappelle l’exigence de comprendre une œuvre dans son contexte. Pourquoi les toiles d’Uberti et de Desouches sont-elles cintrées ? On ne sait répondre, mais leur insertion dans les chapelles de la nef se comprend mieux si l’on observe les décors végétaux réalisés au pochoir qui leur dessinent un écrin.
Conclusion
Notre-Dame-du-Travail constitue un jalon intéressant dans l’histoire de l’architecture des églises parisiennes mais témoigne surtout d’un courant social au sein du catholicisme de la fin du XIXe siècle avec la figure du père Soulange-Bodin. Ce type d’église reste atypique dans le paysage parisien, mais est contemporain d’une autre réalisation innovante, Saint-Jean-de-Montmartre. Il faut attendre les « Chantiers du Cardinal » [44] à partir de 1931, pour voir réapparaître une telle ambition.
Les décors de cette église, intimement liés à leur architecture, évoquent la volonté farouche de Soulange-Bodin de mettre l’art au service de son projet social et apostolique. Ces peintures et ces sculptures tentent de recréer un lien privilégié entre les travailleurs et la foi catholique.
Outre l’intérêt historique, architectural et esthétique de cet édifice, l’inventaire dans de tels lieux exige une curiosité et une attention pour des objets très disparates et, dans l’ensemble, à la valeur esthétique limitée, à l’aune de nos critères actuels. Il est l’exemple même de l’exercice illustrant les objectifs de l’Inventaire : comprendre un patrimoine dans son contexte. L’inventaire se doit de dresser la liste des objets à la lumière des connaissances recueillies sur place, dans les archives ou en bibliothèque. Le champ de l’inventaire (c’est-à-dire le choix des objets inventoriés) est donc constamment ajusté à son territoire d’intervention, même si celui-ci se limite à une église.
Cela nous interroge sur la manière dont nous menons les inventaires dans des paroisses plus anciennes, plus riches, où les périodes les plus anciennes sont privilégiées car, en comparaison, les objets du XIXe et surtout du XXe siècle nous paraissent moins dignes d’intérêt. Or, cette évolution de la qualité des objets est visible dans presque toutes les paroisses. Nous constatons aujourd’hui que certaines productions en série, quasi-industrielles, sont devenues très rares car méprisées. À l’inverse, des pièces d’orfèvrerie ou des ornements plus anciens ont toujours bénéficié du respect que l’on voue aux matières précieuses.
Pour plus d’informations et de liens, consulter :
– l’article de Evariste Lefeuvre : Visite de Notre Dame du Travail.
– l’article de Lepiéton de Paris. Vous faire découvrir des endroits insolites de Paris, dont j’ai tiré la photo de la cloche et la dernière.
– la revue In Situ, Le patrimoine religieux des XIXe et XXe siècles dont j’ai tiré grand nombre de photos du COARC.
Pour le reste, les photos ont été prises par Anna, en ce qui concerne le bénitier, et les autres par moi pendant ces vacances de Noël, sauf la première d’entre elles qui a été prise avec mon portable à l’époque Pascale en 2007.
anti
Argh ! Le site de In situ est en vrac ! Je remettrai les photos manquantes plus tard…
anti
Superbe découverte pour moi et article passionnant à lire, du début à la fin. Ce lieu est vraiment à voir, il est remarquable à bien des points de vue.
Grand coup de coeur également pour deux des photos d’Anti qui illustrent cette note : celle de la chaire en contre-plongée (au dessus de l’intertitre « Roger Soulange-Bodin, une figure déterminante ») et celle de Marie penchée sur le corps de Jésus (au dessus de l’intertitre « Conclusion »), absolument sublimes à mon goût.
Bravo Anti pour cet article incroyablement complet. Je n’avais jamais entendu parler de cette église, et j’irai la voir sans défaut car je trouve cette alliance architecturale remarquable !
Coucou Adele ! Et surtout bonne virée parisienne ! Je suis sûre que cette église te plaira ainsi que le site pour la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles d’où vient cet article (lien dans la nota !)
anti
très beau travail, je retrouve ce que mes parents, grand-parents et moi-meme ont vu , vécu, et grandit autour de cette paroisse du travail. Mon grand père a souscript avant la 1ére guerre, mon père a souscript après la seconde pour le chauffage et moi j’ai nettoyé l’eglise après 68 , en outre le démontage des nombreux exvotos dans la chapelle de la vierge.
MERCI.
Merci à vous pour ce témoignage très émouvant.
Bonsoir et merci pour ce commentaire. C’est toujours enrichissant d’avoir des témoignages de personnes directement touchées par le sujet d’un article.
Bonne soirée,
Au plaisir,
anti
Merci pour cette page sur Notre-dame du Travail. C’est un lieu cher à ma famille. Mon grand-père, Charles Lefèvre, en était un des paroissiens au début du XXème siècle.
Mais le plus important est que mon arrière grand-père, Joseph Lefèvre, a réalisé la statue de Notre -Dame.
Pour la petite histoire, il est dit que la Vierge a pris les traits de mon arrière grand-mère et l’enfant Jésus ceux de mon grand-père !
A bientôt
Merci à vous pour ce très beau témoignage.
Bonjour Cath.
Merci pour votre commentaire. Ça doit vous faire une certaine impression lorsque votre regard se pose sur cette sculpture en ce lieu… C’est émouvant d’y penser.
anti
Bonjour, et merci de ce bel article, qui m’a appris beaucoup de choses. Mais il m’en reste tant à apprendre ! Un aïeul, Léon Harmel, était le président fondateur de l’Union Fraternelle du Commerce et de l’Industrie, dont il est question dans l’article. Il connaissait manifestement Joseph Lefèvre, car ce dernier est l’auteur de plusieurs statues de Notre Dame de l’Usine, culte complémentaire à celui de Notre dame du Travail. Je serais intéressé d’avoir l’adresse mail de la personne qui descend de ce sculpteur pour avoir davatage de renseignements. Il me semble en particulier que la date de naissance et de décès ne correspondent pas à ce sculpteur, mais à un peintre qui portait le nom « Joseph Lefebvre » et non « Joseph Lefèvre ». Ce sont deux personnages distincts. Cordialement emerichristine-perso@yahoo.fr
Bonjour et merci pour votre commentaire. J’ai fait passer votre message à la personne concernée. J’espère qu’elle vous répondra rapidement.
Bonne journée,
anti