J’ai participé hier à l’une des sessions de la 5ème université de bioéthique, qui se tenait à Nîmes au Carré d’Art. A cette occasion, j’ai eu l’occasion de rencontrer un homme remarquable. Il s’appelle Maurice Rivoiron et il représentait l’association France Parkinson dans le Gard.
La maladie de Parkinson peut frapper n’importe qui à n’importe quel âge. Muhammad Ali (alias Cassius Clay) et Michael J. Fox en sont deux exemples célèbres.
Plusieurs traitements existent et permettent de combattre les symptomes à des degrés divers.
Il a, tout d’abord procédé à un petit rappel historique sur la maladie de Parkinson. Elle a été identifiée et décrite dans un livre pour la première fois par un médecin, James Parkinson, en 1817. Plus tard, Jean-Baptiste Charcot l’a nommée « maladie de Parkinson » et la dénomination est restée. Il se trouve que du mot « Parkinson » a été dérivé un adjectif, « parkinsonien », et que, petit à petit, on s’est mis à dire « un parkinsonien » pour parler d’une personne atteinte. Cette dérive sémantique fait qu’on parle de ces personnes non plus comme de n’importe quel être humain mais comme de parkinsoniens, réduisant ainsi tout ce qu’elles sont à leur maladie. Une telle facilité de langage malheureuse n’est pas unique : on va aussi parler d’un cancéreux, d’un sidéen, d’un diabétique… et enfermer ainsi les malades concernés dans une case qui n’est plus celle où nous nous trouvons, donc les pousser, de façon souvent involontaire mais certaine, vers l’exclusion et la solitude.
Or, pour quelqu’un qui est frappé d’une maladie de longue durée, l’exclusion est le pire qui puisse lui arriver pour y faire face. Chez une personne atteinte de la maladie de Parkinson (et vous comprendrez que j’utiliserai des périphrases plutôt que le nom « parkinsonien » dans tout le reste de cet article), ce problème de la solitude est accentué par les symptômes mêmes qu’elle subit.
L’un d’entre eux est une perte progressive de la motilité des muscles du visage. Les traits se figent et plus aucune expression ne transparait. Au début, les amis viennent la voir pour la soutenir en lui parlant. Mais ce visage inexpressif les déroute. Ils ont l’impression soit qu’on leur fait la gueule, soit qu’on s’en fiche de leur venue, soit – et c’est le pire – que le cerveau est tellement atteint que la personne ne se rend plus compte de rien. Ce qui est faux, l’intelligence de la personne atteinte est intégralement conservée. Vous imaginez le désarroi qui la frappe en voyant tous ses amis s’éloigner, puis ne plus venir du tout.
Et cela ne se limite pas aux amis. Les médecins, y compris spécialistes, tombent parfois dans le même panneau. Maurice Rivoiron raconte qu’ainsi, lors de l’une des premières consultations où il avait accompagné son épouse, le médecin posait ses questions non à elle mais à lui ! Jusqu’à ce que ce dernier fasse remarquer au praticien que s’il voulait en savoir plus sur l’état de santé de sa femme, c’était à elle qu’il devait s’adresser.
Affectés ou non par la maladie ? Les voit-on différemment suivant la réponse ? (photo France Parkinson)
Pour autant, il ne jetait la pierre à personne et nous décrivait tout cela d’une voix douce et, je crois pouvoir le dire, emplie d’amour. Amour indéfectible pour sa femme, d’abord, à qui il consacre tout son temps plus que jamais depuis qu’elle est malade, là où d’autres auraient préféré la fuite devant une telle épreuve. Amour pour les autres personnes atteintes du même mal, en décidant de s’impliquer activement dans l’association France Parkinson. Amour pour nous tous, les humains et nos faiblesses, sans intention de blesser ou d’exclure. N’avons-nous pas tous ou presque, a-t-il ajouté, le réflexe de considérer une personne sur une chaise roulante, surtout si elle est agitée de tremblements, comme quelqu’un de diminué mentalement – et pas uniquement physiquement ?
Maurice Rivoiron organise, comme beaucoup d’autres au sein de France Parkinson, toutes sortes d’activité pour briser la solitude des personnes atteintes, que ce soit des réunions où malades et conjoints se retrouvent pour parler de tout dans une ambiance détendue du fait de la compréhension mutuelle ou de permanence téléphonique pour les personnes qui ont besoin de parler. Il a fait remarquer que dans ce dernier cas, l’appelant peut très bien parler 40 minutes sur 45 et dire « Merci d’avoir autant parlé avec moi », tant être écouté lui a permis d’avoir enfin la sensation d’un vrai dialogue.
A la fin de son intervention, j’ai profité d’une pause pour aller parler à Maurice Rivoiron. Je lui ai suggéré d’ajouter à la panoplie des outils mis en œuvre ce moyen de communication idéal que peut être Internet. Sur les blogs ou les forums, personne ne sait quelle peut bien être votre apparence et donc personne ne vous juge dessus. Seule votre personnalité compte. Et même lorsque la motilité des doigts est réduite, peu importe si un malade mettra plus de temps à écrire une réponse sur son clavier, il ne l’enverra en ligne que lorsqu’elle sera prête. Et il pourra échanger avec le monde entier sur les sujets qui l’intéressent et qui ne sont pas (pas forcément) Parkinson mais tous les autres : ses goûts, le dernier film qu’il a vu, les livres qui lui plaisent, des recettes de cuisine, des photos de voyage, bref, la vie normale de quelqu’un de normal, qui ne serait plus pré-jugé comme parkinsonien mais considéré comme n’importe quel humain.
Je lui ai cité le fait que, grâce à notre blog, j’avais fait – comme beaucoup – des rencontres magnifiques sans savoir quelle apparence physique ou quel métier pouvait bien avoir tel ou tel. Et que les quelques rencontres faites ensuite dans le monde réel avaient souvent été des surprises. Je lui ai cité en exemple l’une d’entre elles, un homme dont les propos me faisaient penser qu’il avait une trentaine d’années alors qu’il en avait 70. Et une autre, un humaniste plein d’humour dont nous avons ensuite su qu’il était militaire de carrière. Lui aurions-nous parlé de la même manière si nous avions su cela en premier ? Ou aurions-nous interprété le moindre de ses mots au travers de ce filtre déformant – celui de nos préjugés ?
Maurice Rivoiron a adoré l’idée.
Très belle journée à vous
A l’occasion de cette note, création d’un nouveau tag : « rencontre ».
Il reprend tous les articles du blog qui ont été consacrés à des rencontres particulièrement fortes.
http://www.annagaloreleblog.com/archives/tag/rencontre.html
Malade ou non, personne ne doit être mis à l’écart… Car la solitude est une prison pire que n’importe laquelle des maladies. Il n’est jamais très bon de rester avec soi-même, je pense…
Sinon je crois en effet qu’Internet peut servir à ça, et également de thérapie conte la dépression.
J’ai une seconde vie dans un monde virtuel depuis maintenant quatre ans et j’y ai rencontré des centaines de gens du monde entier. Avec leur confiance, certains m’ont petit à petit révélé plus sur leurs vies réelles… Des personnes atteintes de cancer, de maladies graves, des gens seuls, des gens avec des pensées suicidaires, des gens qui n’arrivaient pas être eux-même dans la vraie vie, des gens avec des lourds passés rejetés par la société et qui sont pourtant des personnes avec un cœur énorme qui ne demandent qu’à communiquer et se sentir vivre dans une communauté… Ils ne cherchent pas à ce qu’on s’apitoie sur leur sort, ils aspirent juste à être heureux.
Ces mondes virtuels sont souvent montrés du doigts par ceux qui ne les comprennent pas, ceux qui sont heureux entourés de leurs amis et de leur famille, en bonne santé, formatés par les médias et avec une esprit fermé. Mais pourtant, si il y a autant de monde dans ses univers alternatifs qui essaie d’échapper à la vie réelle, c’est de leur faute… Si ces gens veulent tellement avoir une autre vie, plus belle, et par plus belle, dans la majorité des cas, ça veut dire une vie « normale », c’est parce que ces personnes se sentent exclues de la société d’une manière ou d’une autre.
Alors oui je pense qu’Internet peut les aider à se sentir mieux vu que la société « hors-ligne », elle, ne semble pas évoluer.
On s’est tous senti seul à un moment… sinon c’est qu’on vit déjà dans un monde imaginaire mais celui-là n’amènera rien de bénéfique.
La femme que j’aime était seule, je me suis battu pendant des mois pour gagner sa confiance… C’est une victime de la société moderne, sa maladie c’est la gentillesse… Elle n’a fait que subir les erreurs de ses parents et des expériences de trahison qui sont devenus coutumes en France. Pourquoi la victime est celle qui se retrouve dans cette prison qu’est la solitude ? Pourquoi c’est celle qui souffre qu’on abandonne ? Comment peut-on parler d’espèce la plus évoluée en parlant de l’être humain dans ces conditions ?
Elle n’est plus seule désormais.
« Comment peut-on parler d’espèce la plus évoluée en parlant de l’être humain »
En se comportant comme tu l’as fait, comme nous le faisons, comme le font ces bénévoles dévoués à toutes les causes auxquelles nous adhérons, qu’il s’agisse de maladie ou plus généralement de bien-être (là ça va des ONG aux associations genre Restaus du Coeur).
Merci pour ce très beau témoignage.
« Car la solitude est une prison pire que n’importe laquelle des maladies. »
C’est ce que montre trop bien Vendredi de Michel Tournier dont je parle souvent, justement parce que je trouve cette vision tellement juste. J’avais choisi ce livre comme sujet de mémoire « la parole dans la constitution et la cohésion du moi » et partant, l’échange. Je suis une passionnée de langage quel qu’il soit. Et là, ce que je lis est très beau.
Je repense à cette personne rencontrée lors d’une fête d’internautes, sourde, pour qui internet avait été un premier pas vers une nouvelle vie sociale, vers la reconquête de l’estime de soi.
Je pense aussi aux personnes handicapées et malades mentales dont je me suis occupée pendant un certain temps aux Papillons Blancs. Combien de gens parlent des handicapés en oubliant de parler de personnes handicapées ? Des personnes avant tout !
« Comment peut-on parler d’espèce la plus évoluée en parlant de l’être humain »
« En se comportant comme tu l’as fait, comme nous le faisons, comme le font ces bénévoles dévoués à toutes les causes auxquelles nous adhérons, qu’il s’agisse de maladie ou plus généralement de bien-être »
Je t’aime Anna…
Netsah ? Il y a des tonnes de choses à dire sur tout ce que tout soulève dans ton commentaire, des tonnes de choses à dire oui, mais qu’on n’a pas besoin de se raconter quand on a partagé la même expérience. On le sait. L’autre le sait. On se reconnaît et on est bien ensemble. Au-delà des mots. Parce que personne ne devrait être maintenu à l’écart.
« A l’occasion de cette note, création d’un nouveau tag : « rencontre ».
Il reprend tous les articles du blog qui ont été consacrés à des rencontres particulièrement fortes.
Peu importe l’ivresse, pourvu qu’il y ait la Rencontre 😉
anti, vive les liens !
Très belle note et commentaires très pertinents qui me touchent beaucoup ! Exactement comme je le ressens !
Je vais envoyer mon papa faire un tour sur cette note… Cela lui fera du bien et chaud au coeur car mon papa a la maladie de Parkinson…
Ces questions que je pose à la fin de mon commentaire sont en fait rhétoriques dans ma tête, j’avais déjà mes propres réponses mais j’aime beaucoup les vôtres 🙂 merci.
Je suis complétement d’accord avec vous trois.
Je sais qu’en parlant comme je l’ai fait je mets en fait les autres, ceux qui ne se préoccupent pas, dans une case… Je pense qu’il y a deux manières de voir une prison… ou on décide qu’on est enfermé ou bien on décide que c’est les autres qui le sont. C’est ce que j’ai compris pendant ma vie parisienne… A un moment je me suis senti vraiment seul dans cette ville qui ne me correspondait pas et puis j’ai compris que chacune des personnes qui m’avaient déçu par leur nombrilisme étaient en fait des personnes seules qui s’imaginaient avoir une vie communautaire. Et ça m’a dégouté… J’ai essayé d’en sauver deux ou trois mais c’était déjà trop tard.
La solitude ne m’inquiète pas personnellement parceque je l’ai apprivoisée depuis que je suis petit. Et j’ai la chance de me faire très facilement des amis, mais j’oscille entre les deux car desfois j’aime mon indépendance -ou notre indépendance plus précisément en ce moment-. Mais je n’aime pas voir que des gens en souffrent, ceux qui en général n’ont pas le choix de subir la solitude. C’est eux qu’il faut aider 🙂 et je trouve que des initiatives comme les Restaus sont admirables pour ça. Ils ne forcent pas les gens à quoi que ce soit, ils font juste massivement savoir qu’ils sont là et qu’ils peuvent peut-être apporter du soutien et de la chaleur humaine ou juste à manger.
Sur ce, je vais rejoindre ma chérie qui sait pas que j’ai écrit sur elle O.O chhhuuut ! Je vais la forcer à faire une pause dans ses devoirs MUAHAHA que je suis méchant !!!
Netsah, tournée générale de Free Hugs !!!
Je te sers très fort dans mes bras et sur mon coeur.
Béatrice, merci pour ce commentaire. Ca me fait chaud au coeur de savoir que des personnes atteintes ou leurs proches vont trouver du réconfort dans ces mots que je relaie ici…
Coucou Béatrice, j’ignorais que ton papa était atteint de cette maladie, mais je suis heureuse que tu aies trouvé dans la note d’Anna et les commentaires de quoi lui rendre la vie plus belle (Bonjour monsieur papa si vous nous lisez ;-)).
Merci d’être là, c’est toujours un bonheur de te lire 😉
anti
bonjour,jai regarder votre blog et jaimerais vous connaitre,je suis atteinte de la maladie depuis 3 ans,jai 45 ans mon mari est de madagascar,au plaisir de vous lire bientot et merci
Bonjour Doris et bienvenue,
Ici, nous abordons, comme vous pouvez le voir, des sujets très divers. N’hésitez pas à participer à ceux qui vous accrochent plus particulièrement. Si vous le souhaitez, parlez-nous un peu (avec votre mari) de Madagascar, je ne doute pas que ça intéressera tout le monde.
Hello Doris,
Bienvenue parmi nous !
Au plaisir de vous lire !
Ah ! Pour se repérer un peu dans les nombreux couloirs de cette grande maison, je vous suggère de faire un tour sur
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anti