En 1990, je bossais dans le Service Informatique Chimie du Centre de Recherches Pierre Fabre. Il était fréquent que des personnalités diverses fassent des visites organisées des installations de Monsieur Fabre (tout le monde l’appelait comme cela, pas uniquement par déférence mais pour distinguer « Fabre » l’entreprise pharmaceutique de « Fabre » son fondateur et PDG). Dans la grande pièce où je travaillais, je développai, avec l’aide d’une équipe et en partenariat avec IBM, un énorme logiciel de conception de médicaments par le biais de calculs divers (donc sans essais animaux) allant de la mécanique quantique aux statistiques de haut vol. J’en étais l’auteur principal et j’en faisais également la promotion avec une entreprise tierce qui en assurait la commercialisation dans le monde.
Un article du Monde publié le 31 janvier 1990 et retrouvé par Stéphanie en parlait en ces termes « Au départ, l’image n’est qu’un point qui s’approche à toute vitesse à la rencontre de l’écran. Zoom avant rapide. Une forme se dessine et grossit, pivote, grossit encore, révélant une succession de structures complexes imbriquées, dont les liaisons se constituent en perspective. Un détail agrandi envahit l’écran, dévoilant une nouvelle structure complexe. Fin du voyage dans l’infiniment petit. Des zones de couleur se dessinent. « Voilà, c’est le site actif de la vinorelbine, une molécule antitumorale que nous avons commercialisée récemment », explique Roger Lahana. A trente-cinq ans, le jeune chef du service informatique-chimie des Laboratoires Pierre Fabre représente un peu la nouvelle génération de chimistes, celle pour qui l’informatique n’est plus une découverte, mais plutôt un prolongement naturel du cerveau. Frais émoulu de l’Université, il a trouvé des collaborations avec IBM pour écrire un logiciel original de modélisation de molécules biologiques. Baptisé » MAD » (un clin d’oeil à la bande dessinée), ce programme » convivial « , aujourd’hui commercialisé par Pierre Fabre, est conçu pour être utilisé directement par des chimistes ignorant tout des langages de commande. »
Mon bureau était un passage obligé pour tous ces visiteurs de renom, d’une part parce que c’était prestigieux pour Fabre et d’autre part parce que mon logiciel utilisait des techniques d’imagerie susceptibles de captiver aussi bien les scientifiques que le grand public. C’est ainsi que j’ai rencontré pas mal de people, dont Bjorn Borg (très sympathique) et… Valéry Giscard d’Estaing. De ce dernier, il se trouve que j’ai conservé des photos prises par le service Communication qui me les avait fait parvenir peu après.
VGE avait une technique redoutable au moment où il vous tendait la main en s’approchant de vous. Au dernier moment, il s’arrêtait net et du coup, vous étiez obligé de vous pencher en avant pour attraper sa main. Démonstration avec la photo ci-dessus, où j’ai l’air de faire une courbette déférente, alors qu’il ne s’agissait que d’une ruse plutôt drôle d’un homme rompu aux medias. Oui, le jeune type à droite avec les cheveux dressés sur la tête, c’était moi à l’époque. Complètement à gauche de la photo, mon chef direct – et ami – Bernard, celui qui a conservé ma batterie Evohé pendant des décennies jusqu’à ce que Stéphanie la retrouve pour ceux d’entre vous qui ont suivi l’histoire. Et, entre VGE et moi, on voit Monsieur Fabre, une personne à l’intelligence remarquable et aux capacités impressionnantes à diriger son empire bâti en quelques décennies à partir d’une modeste pharmacie de Castres où il avait conçu une préparation à base de ruscus contre les varices (un produit toujours commercialisé).
Une autre personne à l’intelligence acérée était VGE lui-même, ancien polytechnicien entre autres titres de gloire. Alors que je lui avais proposé de s’assoir dans mon fauteuil pour qu’il puisse mieux voir les représentations graphiques animées de quelques molécules, il m’avait murmuré d’un ton amusé : « Vous allez faire croire que je sais faire des choses que je ne sais pas faire ». .
En fait, il comprenait parfaitement tous les concepts que je lui exposais et me le montrait par ses questions pertinentes. Nos échanges n’ont duré que quelques minutes, plus que le service des personnalités ne l’avait prévu mais pas trop non plus – il était loin d’avoir fini sa tournée.
J’en garde un souvenir très agréable, même si j’étais loin de partager ses idées politiques ou ses goûts – mais il n’était pas là pour parler politique et n’était plus président de la République depuis longtemps. Il était charmant, intéressé, vif. Vraiment une chouette rencontre.
Une dernière petite anecdote : à cette époque, je ne savais pas faire de nœud de cravate. Quand je ne portais pas un nœud papillon pré-plié tenu par une bande élastique, c’était Mireille, l’assistante de Bernard, mon chef, qui me faisait mon nœud de cravate à chaque fois que je devais faire mon show pour une personne importante. Elle était très grande, elle faisait au moins 10 cm de plus que moi, comme Bernard d’ailleurs, et comme VGE.
J’ai quitté le groupe Fabre en 1992 pour rejoindre une entreprise de logiciels scientifiques basée à Oxford. Pour l’occasion, j’ai appris à faire moi-même mes nœuds de cravate.
Très belle journée à vous
De touchants souvenirs.
En ce qui concerne la photo où Anna (fait la courbette) je m’étais aussi posé la question avant d’en avoir l’explication.
(Franchement ; ils ont tous des manies !)
Amusante l’histoire du nœud pap ☺. Justement, j’en avais fait la remarque sur Facebook à Anti.
Et quel beau parcours !!!
Tu me régales avec ton histoire. Je n’ai aucune peine à imaginer cet échange brillant entre vos deux personnalités.
Et c’est toujours impressionnant de lire ton parcours professionnel.
Comme Terre vive, j’étais impressionnée par ta courbette devant VGE!
Respect !
Ah que j’aime la conclusion…
Impressionnant ! Ces photos sont à conserver précieusement.
Bonchois, Roger, bonchois Stéphanie, bonchois, Madame et bonchois Monsieur !
Oui, je crois qu’il était ouvert et s’intéressait à tout.
Souvenirs, souvenirs…
Dès que Roger m’a annoncé la nouvelle du décès de VGE, j’ai ressorti les photos qui, de fait, sont extra : VGE, le nœud pap’, les anecdotes qui vont avec, la totale quoi 🙂
Les gens qui participaient à la visite étaient tellement fascinés par ce que je montrais sur mon écran qu’à un moment, l’un des deux photographes officiels s’est carrément arrêté de photographier pour regarder comme les autres, avec une expression d’enfant rêveur (on le voit sur une des photos du petit livret qu’a retrouvé Anti, tenant son appareil contre lui).
« Les gens qui participaient à la visite étaient tellement fascinés par ce que je montrais sur mon écran qu’à un moment, l’un des deux photographes officiels s’est carrément arrêté de photographier pour regarder comme les autres, avec une expression d’enfant rêveur (on le voit sur une des photos du petit livret qu’a retrouvé Anti, tenant son appareil contre lui).
Ah ! Comme moi devant Francis Lalanne 🙂
MDR !!!!!!
Je vois que M’sieur Lahana a côtoyé du beau monde !
Parmi les nombreux parallèles qu’on a pu faire ces temps-ci entre VGE et Macron, il y a l’inclination de VGE pour la « tech ».
Même si, après coup, on a pu lui a reprocher d’avoir favorisé du temps de sa présidence le réseau Transpac/Télétel (qui a conduit au Minitel) au détriment du projet Cyclades (qui aurait pu nous conduire vers un Arpanet français, précurseur d’Internet)…
Si je puis me permettre, à quel titre VGE avait-il eu l’honneur de rendre visite à M’sieur Lahana à l’époque ? En tant que président du conseil régional d’Auvergne, région qui accueillait le Centre d’immunologie Pierre Fabre de Saint-Julien-en-Genevois ?…
Dans un sens, dommage que M’sieur Lahana ne soit pas resté : peut-être Pierre Fabre eût-il mis au point un vaccin anti-Covid à ARN avant tout le monde
Cher Jean-Paul, merci de ton passage ici 🙂
Ah les balbutiements de ce qui allait devenir un réseau mondial que personne n’imaginait encore dans les années 70 du siècle dernier… Oui, VGE comprenait très bien tout ce qui s’apparentait à la technologie et à la science, bien plus en tout cas que la moyenne du personnel politique français.
La raison de sa visite à l’époque ? Je l’ignore mais probablement en tant que président de du conseil régional d’Auvergne, en effet. J’ai eu l’occasion de visiter une fois le Centre d’immunologie de Saint-Julien, un bâtiment à l’architecture impressionnante. Monsieur Fabre y avait recruté quelques très grosses pointures pour en constituer la direction et les principaux chercheurs.
Quant à moi, j’étais perçu un peu comme une anomalie, positive certes, mais absolument pas dans le cadre de ce qui se faisait dans un centre de recherches pharmaceutique – ça a beaucoup changé ensuite, j’étais juste en avance de quelques années. Quand s’est présentée l’occasion de rejoindre une entreprise de logiciels scientifiques internationale en tant que directeur scientifique, je n’ai pas longtemps hésité. Je suis parti avec la bénédiction de Fabre en emportant mes principaux logiciels sous le bras, qui ont ainsi poursuivi leur carrière commerciale à une plus grande échelle (avec zéro retombée pour moi autre que mon salaire, mais cela me satisfaisait pleinement). Et quelques années plus tard, j’ai croisé la route de quelqu’un qui venait de lancer une start-up à Nîmes basée sur la conception de molécules assistée par ordinateur, pour qui j’étais le candidat idéal. J’y ai créé au fil des années la plus grosse équipe privée de modélisation moléculaire française (15 personnes à son plus haut) et nous avons développé plusieurs nouvelles techniques dites de « screening virtuel » ou « in silico screening » (l’ancêtre du big data) pour lesquelles j’ai reçu un prix international « Award 2005 as outstanding scientist » http://www.iamc-online.org/awards/index.htm
Merci de ces précisions sur cette trajectoire peu banale ! 🙂