Nous avons installé depuis jeudi soir au Palais des congrès de Béziers notre expo anticorrida déjà présentée à Bordeaux il y a quelques mois. Elle se termine ce soir, après une cérémonie de clôture où des personnalités prendront la parole, le tout suivi d’un buffet. L’entrée est libre. Béziers est l’une des principales villes tauromachiques de France et notre venue a provoqué la fureur des aficionados locaux, ce qui nous a mis en joie. Je reviendrai en détails sur le déroulement de l’expo un peu plus tard. Ce matin, juste un témoignage.
En début d’après-midi, un couple de retraités fait le tour complet de l’exposition, regardant chaque photo, lisant chaque texte sans exception. Une fois arrivés à la fin, ils signent tous les deux la pétition demandant l’abolition de la corrida et entament la conversation avec nous. Ils sont natifs de Béziers et ont toujours vécu dans cette ville.
Le monsieur nous raconte alors un souvenir vieux d’un demi-siècle. Il était jeune ambulancier et avait pour ami proche un aficionado, mais il n’avait jamais vu de corrida et ne se posait pas de question sur le sujet. Un jour, il se retrouve d’astreinte aux arènes de Béziers pendant une corrida. Par curiosité, il s’avance au bord de la piste avec un collègue et là, ils se retrouvent face à un taureau à bout de souffle, à moins de deux mètres d’eux.
Le monsieur s’interrompt, ses yeux se mouillent, des larmes s’en écoulent. Il a le souffle coupé, tentant d’étouffer un sanglot. Toute l’émotion remonte comme s’il vivait à nouveau cette scène épouvantable. Le traumatisme est toujours là cinquante ans après, intact, insupportable. Les yeux rouges, il finit par articuler difficilement : « J’ai entendu le taureau qui a fait rhhaaah rhhaaah… » Il sanglote à nouveau et reprend d’une voix chancelante : « Du sang a giclé de sa bouche et nous a éclaboussés, mon collègue et moi. On en avait partout. C’était horrible. Ça a été terminé, plus jamais je n’ai voulu voir de corrida. Comment peut-on être aussi barbare ? »
Nous restons silencieux, aussi émus que lui. Infinie tristesse, partage intense de l’indicible.