Aujourd’hui, je partage avec grand plaisir cet article de Matthieu Ricard : « La photographie ». Magnifique, un voyage en soi.
« À l’occasion de la publication de mon premier ouvrage de photographie, Voyage vers l’illumination (désormais réédité sous le titre L’esprit du Tibet), Henri Cartier-Bresson m’avait gentiment envoyé un petit mot: « L’appareil photo de Matthieu et sa vie spirituelle ne font qu’un, et de cela découlent ces images, éternelles et fugaces » (Henri Cartier-Bresson, 12 novembre 1995).
Pour moi la photographie est un hymne à la beauté. J’ai commencé à photographier vers l’âge de quinze ans avec mon ami André Fatras, photographe animalier et grand amoureux de la nature.
En 1967 je suis parti dans le Darjeeling, en Inde, pour rencontrer mon premier maître spirituel. Après sa mort en 1975, j’ai passé 12 ans avec Dilgo Khyentse Rinpoche, qui était l’archétype du maître spirituel, et j’ai voyagé avec lui au Bouthan, en Inde, au Népal et au Tibet. Au fil des années j’ai photographié mes maîtres et le monde dans lequel ils évoluaient. Mon seul but en faisant cela était de partager l’incroyable beauté, la force et la profondeur de leur univers. J’ai pris des photos principalement au Bhoutan, en Inde, au Tibet, eu Népal et en Thaïlande.
D’après les enseignements bouddhistes, la nature de bouddha est présente en chaque être; l’état naturel de l’esprit, lorsqu’il n’est pas détourné par la puissance des pensées négatives, c’est la perfection. On dit ainsi que les qualités positives, comme la générosité par exemple, reflètent la vraie nature et la structure fondamentale des êtres humains. Par la photographie, je souhaite montrer la beauté de cette nature humaine.
La beauté et la dignité peuvent coexister avec la souffrance la plus intense, et l’espoir peut survivre même à la destruction et à la persécution. Le peuple tibétain nous en donne la preuve, lui qui a su conserver sa joie, sa force intérieure et sa confiance, alors qu’il subissait un génocide humain et culturel.
Les images de souffrance, de détresse et d’ignominie abondent. Je n’ai jamais pu en prendre. Pour moi, il est essentiel d’inspirer la confiance et l’espoir, car c’est ce qui nous manque le plus et dont nous avons le plus besoin.
Il m’arrive de ne pas prendre une seule photo pendant des mois. Puis vient le jour où les personnages, le lieu et la lumière surgissent de si belle façon que l’on ne peut résister à en faire une image, une offrande à tous ceux qui poseront leurs yeux sur elle.
J’ai essayé d’ouvrir une porte ouvrant sur un monde à la fois très ancien et en même temps extrêmement pertinent pour notre époque. Cela donne un aperçu de ce qu’est la vie d’un maître bouddhiste tibétain vue de l’intérieur et de cette culture unique qui survit encore et toujours dans toute son authenticité, malgré les bouleversements subis par le Tibet.
En effet la puissance d’inspiration de ces portraits réside dans le fait que ces maîtres, ces ermites et ces yogis sont des exemples vivants de ce qu’ils enseignent. Le messager et le message ne font plus qu’un. Ce qu’ils montrent à l’extérieur est ce qu’ils sont à l’intérieur, sans contradiction. C’est très réconfortant et inspirant. La joie et le bonheur qui se reflètent sur leurs visages expriment un sens profond de la sérénité et de la réalisation spirituelle, et c’est ce qui résulte d’esprits exceptionnellement sains.
C’est une expérience tout à fait étonnante que de se retrouver dans la plupart de ces lieux au Tibet. La profondeur intense du silence, l’immensité des paysages, le bleu absolu du ciel, l’air si pur…lorsqu’on se retrouve là-bas, on n’a plus envie d’en partir, on désire simplement demeurer dans cette harmonie limpide entre l’environnement et la sérénité de son propre esprit.
C’est une expérience encore plus étonnante que d’être en présence de ces êtres dont les cœurs ne sont emplis que d’altruisme et de sagesse, et de tenter de mêler son esprit aux leurs.
En fait les paysages et les portraits, à partir de leur beauté extérieure, peuvent nous emmener à la beauté intérieure et à l’éveil spirituel, ainsi qu’aux qualités sans limite qui l’accompagnent. Tout comme la chaleur et la lumière qui accompagnent naturellement le soleil. »
Belle journée à toutes et à tous.
Anti, marcher dans la beauté
Un magnifique texte d’un magnifique être humain qui fait de magnifiques photos à l’image de ce qu’il est et de ce qu’il ressent…
Merci.
Splendide !
Je note : « Le messager et le message ne font plus qu’un. »
C’est l’Unité totale dans le beau.