J’étais partie pour me coucher. Je regardais sur mon téléphone ce que je pourrai bien faire dimanche matin à Nice, puisque j’y vais dès ce week-end pour préparer le déménagement de Gwladys. Il y a un festival de jazz. Je pense à Valentine qui nous parle si souvent de celui de Montreux. Place Masséna à 11 h. Un concert de Gospel. Sympa. Joyeux. Peaceful. Je cherche sur Google où se trouve cette place et je tombe sur l’horreur même. La douche froide. Des gyrophares. Des corps. Partout. La promenade des Anglais transformée en cimetière à ciel ouvert en ce 14 juillet. Un camion fou vient de faucher des centaines de personnes sur 2 km.
Gwladys n’est pas à Nice. Je me dis qu’elle aurait pu être là-bas, comme ces milliers de personnes. Soulagement fébrile. Notre amie Carole Raphaëlle est saine et sauve aussi. Cela s’est passé en bas de chez elle. Elle est assez choquée. J’envoie un message aux patrons de Gwladys en souhaitant qu’ils aillent bien.
Sur les réseaux, la tristesse bien sûr, le ras le bol aussi, la colère.
Je vais avoir du mal à trouver le sommeil ce soir.
Je viens de commander « Vous n’aurez pas ma haine« , d’Antoine Leiris que je suis depuis la publication de sa lettre si touchante sur Facebook au lendemain des attentats de novembre dernier. Non, vous n’aurez pas ma haine. Jamais. Car ce serait la défaite suprême.
Je cherche des mots qui consolent. Et j’en trouve. Il y a d’abord ce texte de Denis Marquet, auteur que j’aime beaucoup.
Réactions de paix face aux attentats de Paris : Denis Marquet témoigne
Depuis les attentats de Paris de ce vendredi 13 novembre, la France est en deuil. Que l’on soit en colère, démunis, triste, courageux ou effrayé, il est impossible de rester indifférent à ces évènements tragiques. Buddhachannel a ainsi choisi de publier des textes d’espoir et de paix. La réaction de Denis Marquet.
En ces jours de deuil, je ne peux qu’inviter à lire ou relire le magnifique testament du père Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine, assassiné avec six autres moines en mai 1996. Ce texte est un antidote spirituel à toute violence.
Du point de vue christique, un déchaînement de violence comme celui qui a frappé notre pays vendredi soir est la manifestation d’un état de la conscience humaine, auquel nul d’entre nous n’est étranger : la conscience de séparation.
Nous sommes créés créateurs. Cela signifie que le plus petit acte, la parole la plus anodine, la moindre pensée crée. S’il s’agit d’un acte, d’une parole, d’une pensée d’unité, nous créons l’unité. Mais chacun d’entre nous crée aussi, au quotidien, de la séparation. C’est en quoi, comme le disait Dostoïevski, « nous sommes responsables de tout et pour tous. »
Par rapport à une tragédie qui exprime si douloureusement une conscience de séparation, il me paraît important que nous soyons attentifs à ne créer que l’unité.
Souvenons-nous que les assassins, comme nous, marchent dans l’obscurité du monde et cherchent la lumière. Ne nous séparons pas d’eux par des pensées de colère, de rancœur ou de haine. N’oublions pas que leurs actes, qui nous horrifient, procèdent de telles pensées.
Prions pour les victimes, pour leurs proches et tous ceux qui souffrent de ce drame humain. Mais prions aussi pour les bourreaux, non certes en les excusant, car rien ne peut excuser leurs crimes, mais en appelant sur eux le pardon divin ; afin qu’en eux, la conscience d’unité soit restaurée.
Pratiquons le ho’oponopono dans l’esprit Christique à l’intention des assassins :
Désolé : car toutes mes décisions de séparation (pensées, paroles, actions) créent un monde où tes actes doivent se produire
Pardon : d’être ainsi co-créateur de tes crimes
Merci : de me révéler ma responsabilité dans l’engendrement de ce monde et mon désir de ne travailler que pour l’unité
Je t’aime : (la parole de guérison qui rétablit l’unité)
Plus que jamais, veillons à aimer, c’est-à-dire à laisser l’amour divin nous traverser et se donner à tous les êtres que la vie met sur notre chemin à chaque instant. Car c’est ainsi que nous créons, que nous créerons un monde qui n’exprime que l’unité.
Fraternellement,
Denis Marquet
Et puis, il y a le magnifique du Père Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine, cité :
S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays. Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence de l’anonymat.
Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint. Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payer ce qu’on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam.
Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’Islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église. Précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’Islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion investis par le Don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences.
Cette vie perdue totalement mienne et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô mes amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « À-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.
AMEN ! Inch’Allah ! »
Christian
Alger, 1er décembre 1993
Tibhirine, 1er janvier 1994
Quelle horreur…
Aux dernières nouvelles, 84 morts.
Cela me laisse sans voix et emplie de tristesse.
Nous sommes de tout coeur avec les familles.
Il faut beaucoup de temps pour faire un deuil et juguler la colère.
Je suis atterrée ; je n’ai pas de mot pour dire l’incompréhensible.
Je ne peux qu’exprimer mes pensées de peine aux familles.