En 1973, le premier festival de musique qu’a connu la Tunisie s’est tenu à Tabarka, petite ville côtière au nord de Tunis. Il était organisé par Lotfi Belhassine, qui allait fonder plus tard le Club Aquarius et la compagnie aérienne Air Lib. Le slogan du festival était : « Je ne veux pas bronzer idiot ».
Je ne sais plus trop si c’est à celui-là que mon frère et moi sommes allés ou au suivant. Ce dont je me souviens parfaitement, en revanche, c’est que sur le bateau qui nous emmenait de Marseille à Tunis, nous avons fait la connaissance du groupe Crium Delirium dont j’ai déjà dit quelques mots cet été sur le blog.
Le bassiste était un musicien extraordinaire. Sur le pont, en plein soleil, on se retrouve à un moment près d’un groupe de jeunes gens et de jeunes filles très Figaro Madame, dont un mec qui grattouille des accords sur une guitare sèche (niveau débutant mais attitude je-me-la-pète-quand-je-joue-Jeux-Interdits). Mon copain bassiste, cheveux très longs noirs en vrac, œil qui louche et fringues babas débraillées, lui demande poliment s’il peut jouer un petit truc sur sa guitare. L’autre dit oui, probablement parce qu’il a peur de dire non, on ne sait jamais avec ces drogués.
C’est curieux comme cet instrument qui avait l’air d’un ennui total se transforme tout à coup en un jet de lave en fusion dans les mains d’un vrai musicien. J’ai cru que le manche allait se casser en deux tellement mon pote tirait sur les cordes et jouait vite. En plus, il avait un index amputé. Tout en balançant mille notes à la minute, il lance au petit groupe ébahi, l’air de rien : « Je ne suis pas trop bon, mon instrument c’est plutôt la basse. C’est un gitan qui m’a appris à jouer. Lui aussi, il lui manquait un doigt ». Au bout de trois minutes, il rend la guitare au petit frimeur qui semblait proche de l’arrêt cardiaque, la mâchoire pendante. On était morts de rire en s’éloignant.
Une fois à Tabarka, on reste évidemment avec les gens de Crium Delirium, donc dans la partie réservée aux musiciens, sous les arbres, près de la scène. Petit détail : on n’a pas pensé utile de s’encombrer avec une tente. Pas de problème, il fait beau et chaud. Le soir venu, mon frère et moi on va dormir à la belle étoile, au bord de la plage.
Au petit matin, alors qu’on émerge en douceur, un Tunisien surgi de nulle part s’approche de nous. Il a un chèche enroulé sur la tête et des yeux clairs magnifiques. Il nous sourit avec douceur puis il nous offre des fruits qu’il porte dans un sac.
Mon frère le prend en photo pendant qu’on se régale. Il doit se demander ce qu’il a de spécial. Nous le remercions et il s’en va tranquillement.
J’ai récupéré la diapo le weekend dernier à Paris. Elle était au milieu d’un tas de vieilleries chez mes parents. Elle illustre cette note. Tellement de choses s’expriment sur ce visage : la simplicité, la gentillesse, la générosité, la dureté de son existence, les rides de ses rires fréquents, le temps qui s’écoule…
Très belle journée à vous
Et voilà comment on débute une bien belle journée !
Mmmm ! Merci Anna pour cette belle histoire 🙂
C’est l’illustration de l’hospitalité tunisienne. Dans le nord, les gens n’ont pas d’arrière-pensées.