Il y a deux siècles, la tomate faisait peur à une large majorité des habitants du continent européen. Si son nom courant à cette époque était « pomme d’or », on la surnommait également la « pomme empoisonnée » (oui, comme dans Blanche-Neige) parce que sa consommation avait la réputation d’être mortelle.
Ce fruit fut importé d’Amérique du Sud par les conquistadors. Le mot « tomate » vient du nahuatl « xtomatl » et se dit d’ailleurs à peu près de la même façon dans toutes les langues, ce qui est le cas de la plupart des autres mots d’origine nahuatl (comme chocolat, par exemple). Au 17e siècle, Pierandrea Matthioli, un herboriste italien, la classa dans la famille des Solanacées, dont fait partie la belladone, une plante vraiment toxique, elle.
Matthioli pensait que la « pomme d’or » était non seulement une belladone mais aussi une mandragore, donc aphrodisiaque. Les mythes associés à la mandragore remontent à l’Ancien testament, où on l’appelait d’un mot hébreu qui veut dire « pomme d’amour ». Les écrits de Matthioli décrivirent ainsi la tomate comme étant à la fois un fruit toxique et érotisant, parfaitement dans la ligne des canons moraux de l’époque (ce qui est bon est forcément mauvais et le désir sexuel ne peut être qu’un poison de l’âme, c’est bien connu).
Le fruit défendu fut d’autant plus apprécié de ceux qui le dégustaient. Le goût de la tomate est sans aucun doute un pur délice. Une étrange malédiction sembla cependant frapper ceux qui en abusaient.
Vers la fin du 18e siècle, il n’était pas rare chez les nobles ou les riches bourgeois qui mangeaient des tomates de mourir dans d’atroces souffrances. La cause de leur décès était en réalité le plomb dont étaient faites les assiettes qu’ils utilisaient. La tomate étant acide, elle dissolvait suffisamment de plomb qui se mélangeait à son jus, au point d’être hautement toxique. Et comme les gens mangeaient des tas d’autres choses sur les mêmes assiettes sans avoir de problème, ce fut, bien entendu, la tomate qui fut désignée comme coupable.
Ce fut du petit peuple que vint la preuve de la bêtise des aristocrates. Vers 1880, de modestes Napolitains inventèrent la pizza. Le succès fut foudroyant et n’a toujours pas faibli de nos jours. Même les enfants qui refusent absolument de manger de la tomate cuite la dégustent avec délice lorsqu’elle est étalée sur une belle pâte à pizza. Le mythe de la tomate tueuse en prit un sacré coup. Car aucun mangeur de pizza n’eut jamais le moindre problème de mort subite, sauf s’il faisait partie de la camora, mais cette dernière utilisait d’autres moyens de rétorsion que les tomates (ben justement, tiens, souvent à base de plomb, mais sans tomate).
Il fallut des décennies avant que la tomate ne parvienne à conquérir les pays anglo-saxons. Sa réputation de nocivité était solidement ancrée dans les croyances. Aussi, les habitants de ces contrées utilisaient principalement les tomates comme plantes ornementales. Et même si de nombreux écrits expliquaient comment les faire pousser, voire comment les consommer, très peu osaient les inclure dans leurs repas, ayant peur de s’empoisonner.
Lorsqu’on découvrit sur la côte Est des Etats-Unis que la tomate pouvait être infestée par un ver de près de 10 centimètres de long avec une corne sur le dos, la peur ne fit que redoubler. De toute évidence, une créature aussi repoussante qui se régalait d’un poison ne pouvait être que source de terreur. Un certain Dr Fuller écrivit que le ver était aussi dangereux qu’un serpent à sonnette et qu’un simple contact avec la bave qu’il projetait était mortel. Il le nomma un « nouvel ennemi de l’existence humaine », rien que ça.
Fort heureusement, un vrai entomologiste, Benjamin Walsh, fit voler ces âneries en éclats. La tomate s’imposa enfin même chez les plus rétrogrades des Américains (qu’on me pardonne ce pléonasme). En 1897, John Campbell réalisa qu’on pouvait en faire des soupes délicieuses qui se conservaient facilement en boîtes – la marque est toujours florissante de nos jours.
Seule la culture pop a conservé une trace de cette légende tenace de nocivité. En 1978, une comédie musicale intitulée L’attaque des tomates tueuses eut un grand succès. Le thème : des tomates géantes terrorisent le pays. L’accroche : « La nation est en danger. Est-ce que rien ne pourra arrêter l’assaut des tomates ? »
Non, rien. Mais c’est uniquement parce que les tomates sont un délice que l’on peut consommer sans modération.
Très belle journée à vous
L’essentiel des infos de cette note provient d’un article paru ici (en anglais), cité par Pierre Barthélémy dans son blog Passeur de Sciences.
En complément, pour les vrais connaisseurs : « Mise en évidence expérimentale d’une organisation tomatotopique chez la soprano (Cantatrix sopranica L.) » de Georges Pérec.
Très intéressant ! Que de chemins parcourus par la tomate !
Les Italiens disent « pomodoro » pour ce fruit ; ce qui en dit long.
Cela me fait penser à la chanson de Bashung: Vénus.
Parole de Vénus:
Là un dard venimeux
Là un socle trompeur
Plus loin
Une souche à demi-trempée
Dans un liquide saumâtre
Plein de décoctions
D’acide
Qui vous rongerait les os et puis
L’inévitable
Clairière amie
Vaste, accueillante
Les fruits à portée de main
Et les délices divers
Dissimulés dans les entrailles d’une canopée
Plus haut que les nues
Elle est née des caprices
Elle est née des caprices
Pommes d’or, pêches de diamant
Pommes d’or, pêches de diamant
Des cerises qui rosissaient ou grossissaient
Lorsque deux doigts s’en emparaient
La pluie et la rosée
La pluie et la rosée
Toutes ces choses avec lesquelles
Il était bon d’aller
Guidé par une étoile
Peut-être celle-là
Première à éclairer la nuit
Première à éclairer la nuit
Première à éclairer la nuit
Vénus
Vénus
Vénus
Ma meilleure tomate, je l’ai dégustée sur un marché en Anatolie: gorgée de soleil un délice absolu.
Anna, si tu ne connais pas, je te recommande un petit bouquin de Jean-Marie Pelt, professeur honorairede biologie végétale et de pharmacologie à l’université de Metz, « Les langages secrets de la nature ».
On y apprend notamment la recette des sorciers vaudous pour mettre leurs victimes en état de catalepsie, de les enterrer et de les déterrer en leur donnant une antidote qui va mettre ces braves gens en étant de zombie!
Magnifiques paroles, un bijou ! Et je ne connaissais pas ce livre de Jean-Marie Pelt (lui, en revanche, je le connais de réputation) mais ça donne très envie de le lire !
Terrevive : oui, ce merveilleux mot de « pomodoro » en italien, ce qui donne « pomme d’or » en français comme je le signale au tout début de l’article.
…ce qui me rappelle cette vieille chanson de Dario Moreno qu’on entendait chanter partout en 1960 en Tunisie quand j’étais enfant :
Chérie je t’aime, chérie je t’adore
Como la salsa del pomodore
Tu m’as allumé avec une allumette
Et tu m’as fait perdre la tête
Eh bien Valentine !!! Tu en sais des choses ! Mais tu es notre petite sorcière bien aimée !!!
Géniale cette chanson! C’est fou ce que la tomate évoque de souvenirs.
Kathy, je vais m’entraîner à remuer mon nez comme Tabatha mdr…
tomate russe, coeur de boeuf, ananas, cornue des andes, noire de crimée, cerise et surtout la rose de berne pour moi la meilleure.
que des noms faisant réver et voyager pour de simples légumes
le tout sans engrain, du fumier de mouton et du purin d’ortie.
beaucoup d’amour, un peu de savoir et il y a de quoi se mettre à genoux pour remercier la nature de ses largesses.
C’est autre chose que les tomates espagnoles sans saveur des étals
une simple tomate, un filet d’huile d’olive, quelques feuilles de basilic, de persil , de l’ail nouveau, parfois quelques filets d’anchois ou bien du fromage frais de chêvre, ou de buflone les jours d’abondance, un véritable régal, un festin de roi
Quel dommage que vous ne soyez pas plus prés, vous auriez pu profiter de mes récoltes
Grand merci Lulu pour ce magnifique commentaire ! Et vive la Tomate sous toutes ses formes !