Hier dans la matinée, nous avons retrouvé chez Aimé les moines du Ladakh pour leur dire au revoir avant la poursuite de leur tournée et leur retour vers leur terre d’exil. Cela a été l’occasion de leur remettre le DVD de Ce qu’il reste de nous afin qu’il puisse être vu par les enseignants et les élèves de l’institut Ngari. Ils ont été très touchés par l’idée.
Par la grâce d’internet, tout s’est enchaîné à merveille : Anti a eu l’idée, j’ai passé la commande sur un site canadien et le DVD nous est parvenu en battant tous les records de vitesse pour arriver chez nous à temps avant le départ des moines. Un détail amusant est que le particulier qui nous a vendu son exemplaire habite à Gatineau, la commune où vivent Ronron et Lison.
Guéshé Yéshi nous a préparé du tchaï (thé au lait) et nous a longuement parlé de l’importance cruciale pour son peuple de parvenir, grâce entre autres au développement de l’institut, à préserver la culture et la langue des Tibétains en exil. Le Ladakh est une région particulièrement favorable, puisqu’il fait partie de l’Inde mais était historiquement une terre tibétaine.
Ses habitants, les Ladakhi, parlent une forme légèrement différente de tibétain mais qui ne pose aucun problème de compréhension avec ceux qui vivent dans l’actuel Tibet envahi ou qui s’en échappent et se réfugient au Ladakh.
Il a souligné aussi qu’en raison de la frontière entre l’Inde et la Chine qui a partitionné le Tibet ancestral en province sous le joug chinois d’un côté et Ladakh de l’autre, les routes sont maintenues en plutôt bon état par l’armée indienne qui patrouille en permanence le long de la frontière.
Pendant que nous discutions, les autres moines étaient rassemblés dans une pièce à côté et suivaient par internet un journal télévisé réalisé en Inde par des Tibétains. Le réseau mondial leur permet ainsi de rester quotidiennement au courant des informations qui concernent leur peuple dispersé. Et cela aussi est un ciment supplémentaire pour préserver leur identité.
Grâce à toutes ces actions, petites ou grandes, le jour où le Tibet sera libéré, ses réfugiés – aussi indomptables que non-violents face à l’oppresseur – auront tous conservé leur langue, leur culture, leurs croyances et leur philosophie où qu’ils soient.
Me revient en mémoire cette phrase célèbre d’un cousin éloigné des Tibétains, puisque ses ancêtres provenaient eux aussi de la même région de l’Asie, Chef Joseph de la tribu des Indiens Niimiipu.
Alors que l’armée américaine s’apprêtait à massacrer son peuple qui fuyait la réserve où il avait été cantonné, il lança aux soldats : « Vous pouvez tuer nos corps, mais vous ne pouvez pas tuer nos esprits. »
Le mot « niimiipu » est un endonyme qui se traduit par « le peuple », de même que « inuit » veut dire « homme » en inuit et que « rom » ou « manouche » veulent dire « homme » en romani ou en manouche.
Le parallèle avec l’histoire du Tibet ne s’arrête pas là. En cherchant un peu qui était cet homme, j’ai appris qu’il était considéré par tous comme un humaniste convaincu. Il préférait à n’importe quelle guerre la paix, même sous le joug des envahisseurs qui s’appropriaient leurs terres, parce qu’à ses yeux, le plus important était la préservation de son peuple.
Poursuivi par la cavalerie avec huit cents des siens pendant trois mois sur près de 2000 km pour tenter de se réfugier chez les Indiens Crow de Sitting Bull, il fit savoir au général Howard, après une bataille de cinq jours dans un froid glacial, qu’il voulait arrêter de combattre. En échange, il demandait pour les siens la vie sauve, de la nourriture et des couvertures.
Il passa le reste de sa vie à plaider pour le bien-être de son peuple décimé.
Et j’ai découvert un dernier détail fascinant. Le nom indien de Chef Joseph était Hinmaton-Yalaktit, ce qui signifie « tonnerre roulant sur la montagne ». Il est quasiment identique à mon nom initiatique tibétain, Gyourmé Dordjé, « la foudre sur la montagne ».
Très belle journée à vous
La dernière photo montre Chef Joseph et sa famille (Wikipedia)