Il s’appelle Saïd et il est agent de sécurité à Intermarché. En arabe, son prénom signifie « heureux », ça lui va très bien. Saïd est de taille moyenne, a un physique banal et un visage doux, très loin du cliché de gros malabar pas commode au crâne rasé que nous avons tous en tête quand on imagine les mecs qui font ce boulot.
La première fois qu’on a vu Saïd à l’œuvre, c’était un soir où nous terminions nos courses. A la caisse voisine, une dame très énervée injuriait de façon de plus en plus crue une autre dame très digne qui était devant elle. Cette dernière avait un chariot plein à ras bord mais n’avait pas voulu laisser passer devant elle l’autre dame qui, elle, avait trois fois rien. Ce qui n’était peut-être pas très sympa mais était parfaitement son droit.
Après le passage en caisse, l’énervée avait failli en venir aux mains avec la digne qui ne s’était pas encore éloignée, la menaçant physiquement. Saïd s’était interposé et avait tenté de la raisonner et de bien vouloir partir maintenant que ses courses étaient faites. Un modèle de contrôle et de calme, alors que l’autre vitupérait de plus belle. Elle était enfin partie en lançant quelques dernières insultes.
Nous avions échangé quelques mots avec Saïd pour le féliciter de son attitude et il nous avait raconté, avec des mots mesurés et modestes, que ce genre d’énervements arrivait de temps en temps mais qu’il était là pour ça. Depuis, à chaque fois que nous le voyons, nous lui faisons un petit coucou de la main en passant.
Samedi, nous avons fait un petit arrêt pour bavarder avec lui. Il nous a raconté son dernier gros incident et on sentait que ça l’avait remué. Un type était sorti en passant par une caisse fermée en piquant des produits et quand Saïd est allé le rejoindre sur le parking pour lui dire de rendre cez qu’il avait volé. Le mec l’insulte, ouvre sa voiture, en fait sortir un berger allemand sans laisse ni muselière et le lâche sur lui. Saïd se réfugie dans le magasin, la responsable appelle les flics, le voleur est appréhendé.
Deux heures plus tard, il revient, entre dans le magasin délibérément par une caisse fermée sous les yeux de Saïd pour le provoquer puis en ressort un peu plus tard avec des bouteilles, toujours par une caisse fermée.
Saïd va le voir, remarque qu’il sent l’alcool, lui demande de se raisonner. Le mec lance une bouteille vers lui, puis une autre qui touche une cliente. Nouvel appel des flics mais l’agresseur part bien avant qu’ils n’arrivent.
Le lendemain, le revoilà, cette fois accompagné d’un autre homme. Justement, il s’agit d’un copain de Saïd. Les deux s’approchent de lui, son copain le salue. L’agresseur de la veille, mal à l’aise, dit alors à Saïd : » Je peux vous serrer la main ? »
Saïd répond : « Oui, bien sûr. » Et ils se serrent la main. « Vous comprenez, nous dit-il, je n’ai rien contre lui, aucune raison de lui en vouloir. » Il n’y a plus eu d’incident avec lui.
« Moi, je fais ce boulot depuis plus de dix ans. Je ne suis pas là pour chercher l’affrontement. Les gens viennent pour faire leurs courses, il faut que ça se passe bien. Quand il y a des histoires, je veux juste calmer les choses, rien de plus. C’est bien mieux comme ça. »
Très belle journée à vous
Quel geste admirable de la part de Saïd de serrer la main de son agresseur ! Quelle leçon de sagesse !
Maintenant la phrase : « Vous comprenez, nous dit-il, je n’ai rien contre lui, aucune raison de lui en vouloir. » me laisse perplexe. Si on dit cela, ça veut dire aussi implicitement que l’on accepte ce genre de comportement????!!!!
En fait, il me semble que Saïd a apporté dans son récit une distinction entre le geste de la personne et la personne elle-même en ajoutant quelque chose comme, ce qu’il ne veut pas c’est qu’on vole et/ou qu’on soit violent et si on ne le fait pas ou plus, il n’y a pas de problème.
anti
Oui, c’est exactement ce que voulait dire Saïd, en effet, et c’est d’une sagesse rare.
D’accord, je comprends ; c’est très louable !