L’histoire que je m’en vais vous conter ressemble à s’y méprendre au début du premier roman d’Anna Galore « Les trois perles de Domérat » dans lequel les personnages principaux se rencontrent grâce ou à cause d’un spam, le fameux « Sauvez Amy »,.
Ainsi, lundi dernier je recevais le message « Une jeune fille a disparu », qui est bien sûr un hoax mais, au lieu d’être exaspérée comme de coutume dans ce genre de situation, j’étais ravie. Eh oui, je venais de recevoir un message de la part d’un ami du net de longue date avec lequel j’ai eu bien du plaisir à échanger jadis, il y a de cela cinq ans.
Derrière un sourire goguenard (et devant une collection de Pléiade mon gars !), il peint, il encadre, il écrit, il est le gardien de la mémoire du peintre Léon Gard, j’ai nommé… Le Veilleur ! C’est Sapotille qui va être contente aussi, car nous nous sommes tous rencontrés au même endroit à la même époque.
Après avoir reçu ce message, je me suis replongée avec délice dans Vocabulis pour relire certains textes, revoir certaines peintures que j’ai le plaisir de partager avec vous aujourd’hui.
On l’imagine gardien de phare, veilleur au milieu de la nuit, et ça tombe bien, il vit sur une île, à l’instar de celle évoquée par le grand Jacques, une île au large de l’espoir où les hommes n’auraient pas peur, claire comme un matin de Pâques, offrant l’océan langueur d’une sirène à chaque vague. Un endroit particulier où ne seraient point ces fous qui nous disent d’être sages ou que vingt ans est le bel âge. Voici venu le temps de vivre.
Peinture
Même si plusieurs de ses toiles sont déjà vendues, il dit ne peindre qu’en dilettante, ce n’est pas son métier. Il n’expose pas ou plus, ça le barbe. D’ailleurs, je ne sais pas si il peint encore à vrai dire 😉
Coquillage et statuette africaine (huile sur toile, 46 X 33 cm)
Quel que soit le sujet, je ne peins jamais d’après photo, toujours « sur le motif » ; je ne fais pas non plus de dessin préparatoire mais seulement un dessin directement sur la toile, plus ou moins poussé selon les cas. Avec la peinture à l’huile, les ratages sont rarement irréparables et l’on peut longuement travailler et retravailler sa toile (c’est un de ses avantages) ; avec la gouache et surtout l’aquarelle, les ratages sont plus délicats et, parfois, rédhibitoires.
Le Laurier rose (huile sur toile 81X60 cm)
La course du soleil modifie la distribution des ombres et des lumières et le ton des couleurs (surtout pour un travail de plein air). Si je commence mon tableau à 9h du matin et que je le poursuis jusqu’à midi, le paysage que j’ai en face de moi sera considérablement modifié.
Il faut donc garder l’impression première et ne pas être trop esclave du modèle. Généralement, je reste plusieurs jours sur un paysage et je mets la dernière main à ma toile à la même heure du jour où je l’ai commencée.
Le Lantana (huile sur toile, 81 X 65 cm)
Les Bouleaux en hiver (Epson, huile sur carton, 41 X 33 cm)
Femme au chapeau (dessin à la pierre noire, environ 60 X 50 cm)
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Encadrement
Cadre en bois de merisier sculpté et doré à la feuille d’or (dimension : environ 85 X 75 cm)
A la question « Ce sont donc tes petits doigts de fées qui les ont fabriqués ? Complètement ? bon, ok, je ne parle pas d’avoir taillé l’arbre non plus… »
Il répond :
Je ne suis pas sûr d’avoir des petits doigts de fée, mais je ne suis pas loin d’avoir taillé l’arbre pour les cadres en merisier : j’ai acheté chez un grossiste en bois un plateau de 4 m de long sur 40 cm de large et 6cm d’épaisseur, ce qui m’a fourni la matière d’une demi douzaine de cadres de format différents.
Je les ai découpés et dégrossis à la scie et à la défonceuse électriques, puis, une fois assemblés, je les ai profilés et sculptés entièrement à la main à l’aide de gouges, de fermoirs et de burins.
Pour les cadres dorés, ils l’ont été suivant la vieille tradition de la dorure à l’eau que j’ai apprise dans des bouquins et perfectionnée en fréquentant un doreur sur bois professionnel. C’est une technique qui nécessite un grand nombre d’opérations qui vont des enduits jusqu’au brunissage de l’or en passant par la reparure et la pose de l’assiette qui sert à l’application des feuilles d’or sur sa surface humectée.
Cadre en bois de merisier sculpté et doré à la feuille d’or, détail
Les cadres en bois dorés connurent un essor considérable entre la Renaissance et le XVIII° siècle ; c’est un bel artisanat qui est malheureusement aujourd’hui en voie de disparition, industrie oblige.
Je ne suis qu’un amateur. Je ne prétends pas avoir créé des cadres originaux. J’ai repris des motifs classiques qu’on retrouve à travers les siècles : feuilles d’acanthes, palmettes, rubans, coquilles, etc. je me suis fait plaisir, c’est tout.
Un cadre étant destiné à entourer une peinture, il faut aussi tenir compte de cette dernière : un cadre doré peut mettre en valeur un peinture sombre. Les cadre en bois sculpté brut ne sont pas très courants dans la tradition de l’encadrement.
Pour ma part, j’apprécie les dorures décapées : il y avait dans ce genre de magnifiques cadres d’époque Régence et Louis XV au musée de l’Orangerie entourant des peintures impressionnistes (je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui, après que ce musée ait été rénové).
Ecriture
Avec son mur d’enceinte couronné de tessons et sa lourde porte en fonte, la pension de Viroflay ressemblait à une prison. Elle abritait deux corps de bâtiments séparés par une cour intérieure. Dans le premier, se trouvaient le réfectoire, les cuisines et les appartements du directeur; dans le second, les salles de classes, la buanderie et, à l’étage, les dortoirs. Ce dernier corps donnait sur une cours extérieure en terre battue ombragée de marronniers.
En 1959, j’avais huit ans. L’uniforme de la pension était trop grand pour moi, surtout la casquette qu’il fallait rembourrer de papier journal. Déjà, je manifestais par ce manque d’ambition de ma boite crânienne qu’il ne faudrait pas trop compter sur moi pour de brillantes études. J’ai très vite confirmé ces dispositions par le peu d’intérêt que je prenais aux cours. J’avais bien d’autres préoccupations plus intéressantes. Je me demandais, par exemple, quel saveur pouvait avoir mon pipi; et, tandis que la maîtresse débitait les rudiments de la grammaire et de l’arithmétique, j’ouvrais ma braguette sous le pupitre, récoltait quelques gouttes du liquide doré dans le creux de ma main et le portait à mes lèvres. La tête me tournait. Moi, si jeune, j’avais découvert le moyen de m’enivrer avec économie et d’échapper ainsi à l‘ennui de la scolarité !
Pourtant, certains cours me ramenaient à la surface en bois patiné de mon pupitre gravé de dessins et d’inscriptions, à mon encrier en faïence blanche et à mes plumes « sergent-major » : les cours d’Histoire. Napoléon, la retraite de Russie, Waterloo! En marge des images illustrant mon livre d’Histoire, Victor Hugo a marqué mon imagination d’enfant de ses vers sublimes qui semblaient pétris de neige et de boue et du sang des grognards.
« Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
« Sombres jours! L’empereur revenait lentement,
« Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
« Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
« Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
« Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
« Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés
« On voyait des clairons à leur poste gelés
« Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
« Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
« Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse
« Pour cette immense armée un immense linceul
« Et, chacun se sentant mourir, on était seul
« Waterloo! Waterloo! Waterloo! Morne plaine!
« Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
« Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
« La pâle mort mêlait les sombres bataillons. »
Malgré cette morne apathie pour les études, sporadiquement secouée par l’Histoire de France, je suis tout de même parvenu, à la faveur d’une épidémie de grippe qui avait mis hors compétition un bon tiers de la classe, à rafler une médaille de troisième rang lors du trimestre hivernal.
Cette médaille, que j’arborais fièrement sur mon uniforme en rentrant le week-end à la maison pour illusionner ma mère sur mon avenir dans la carrière scolaire, eut une part prépondérante dans la mésaventure qui m’advint peu après. Sans doute, le sort voulut-il me faire payer ainsi ma trop bonne fortune et venger mes petits camarades amaigris, et humiliés d’avoir été détrônés injustement par un aussi piètre concurrent.
Tous les vendredis à la cantine, l’inquiétant alchimiste qui se faisait passer pour un cuisinier essayait de nous faire croire vainement que la chose croûteuse et malodorante en forme de poisson qu’il nous servait avait un rapport quelconque avec une matière comestible. Je repoussais régulièrement et catégoriquement cette hypothèse.
Hélas ! Le surveillant n’était pas disposé à la dialectique. Il avait la force pour lui. Il me le fit savoir comme le chevalier chrétien dans l’Histoire de Joinville au juif qui voulait argumenter sur l’Immaculé Conception : par un coup sur la tête. Fort de cette expérience et tel un juif opprimé, j’en appelai un jour à la ruse : l’air soumis sous l’œil du surveillant, je mâchai la « chose », toutes papilles gustatives rentrées, et fis mine de l’avaler ; mais dés que mon cerbère eût le dos tourné, je m’empressai de recracher l’ersatz de poisson et de l’expédier lestement dans la poche de ma blouse. Or, cette poche avait déjà une pensionnaire que j’avais oublié là depuis le début de la semaine : ma médaille. Cette poche faisant résolument office d’oubliette, le fruit de ma mastication ne se rappela à mon souvenir qu’à l’heure de la remise des blouses à la lingerie.
Malheureusement, la mémoire ne me revint pas seule mais fortement aidée par la figure outrée de ma maîtresse et de son bras tendu au bout duquel pendait, en forme de point d’interrogation menaçant, ma médaille et son ruban bleu plaqué d’un magma desséché à la vague odeur de marée. Je fus condamné à passer une partie de la nuit debout dans le couloir en tête à tête avec l’objet de mon délit jusqu’à ce que celui-ci reprenne le chemin que l’iniquité de mes juges avait décidé qu’il devait avoir à l’origine : celui de mon estomac. Je dois dire à la décharge des dits juges qu’aucun d’eux n’osa vraiment vérifier cette partie de l’épreuve et que l’on se contenta de ma parole : les dupes furent consentantes; la cuvette des W.C. garda la vérité pour elle, ce dont je lui suis infiniment reconnaissant car le passage de ce poisson en eaux troubles eût porté l’affaire à un degré de sordidité que je n’ose imaginer.
Le chef empoisonneur avait une autre spécialité dans sa carte : le hachis Parmentier composé des restes de viandes de la semaine dont on se demandait s’ils n’étaient pas déjà les restes de la pâté du chien du directeur.
Le directeur demeure dans mon souvenir comme une paire de grandes oreilles sur un crâne chauve. Ces oreilles avaient une particularité qui me fascinait (d’où, probablement, l’oblitération dans ma mémoire de tout ce qui pouvait se trouver au dessous d’elles) : elles bougeaient. Oh ! pas au grés du vent, non : elles étaient parfaitement commandées par leur propriétaire qui en jouait pour impressionner ses élèves; elles avaient un sourire sardonique quand elles les regardaient; et eux, subjugués, abdiquaient toute velléité de rébellion devant cet acte de sorcellerie.
Cette pension était elle aussi terrible que ma tendre mémoire d’enfant l’avait enregistrée ? Il y avait bien encore le grand surveillant noir qui inspectait notre toilette du soir en frottant son gros pouce quelque part sur notre peau jusqu’à ce que des boulettes grisâtres apparaissent. Il nous regardait alors, triomphant, tenant la preuve irréfutable de notre négligence et, d’une bourrade qui nous faisait pivoter sur nous-mêmes, nous renvoyait vers les lavabos. Je l’ai, pour ma part, toujours soupçonné d’extraire ces boulettes de son propre épiderme.
Mais, en dehors de ces humiliations d’ordre culinaire ou hygiénique, je n’ai guère subi d’autres sévices que des coups de règles sur les doigts, l’interruption intempestive de la série télévisée « Rintintin » par le surveillant du réfectoire où le poste était installé et les pensums. « Je baye aux corneilles pendant le cours d’arithmétique ». Deux-cent fois. « Je baye aux corneilles pendant le cours d’arithmétique, je baye aux corneilles… ». C’est long. On finit par bayer aux corneilles. Trois ans plus tard, en sixième, je mettrai au point la technique des trois stylos liés ensemble permettant d’écrire trois phrases répétitives en même temps; la maîtrise que j’acquerrai dans cet art fera l’admiration de mes petits camarades.
Mes camarades d‘alors, eux, se sont effacés de ma mémoire, à quelques exceptions près, et encore celles-ci n’y sont que des ombres sans visage comme celle du directeur et des autres acteurs de cet internat. Dominique Paillard est un des rares dont je me rappelle le nom. Sacré nom. Paillard, mon ami ! Il avait un an ou deux de plus que moi et notre amitié s’était scellée sur le roman d’Hector Malo que nous lisions debout, de concert, dans un gros in-folio relié à l’ancienne, avec des gravures. « Sans famille » ! Rémi, Vitalis, le singe joli-cœur étaient la nôtre et remplissaient nos cœurs d’enfants. Nous avions encore pour héros de nos rêves le Bon petit diable de la chère comtesse dont la pension nous faisait tant penser à la nôtre.
Ralph ou Kurt, enfin un nom comme ça, à consonance allemande (je crois que c’était un Alsacien), un « grand » de la classe du certif, avait un don pour improviser des contes fantastiques qui nous tenait en haleine le soir au réfectoire après le souper.
Clérisseau, lui aussi, était un « grand ». Je me rappelle son nom parce que je l’ai eu à nouveau pour compagnon deux ans plus tard en colonie de vacances en Savoie; il est même, pour cette raison, le seul dont la face de taupe à lunettes prend un peu de consistance dans mon souvenir. Il était à demi fou. Un jour il se pendit à l’espagnolette d’une fenêtre du dortoir. Ses camarades de chambrée parvinrent à le décrocher avant qu’il ne vire du rouge au bleu. Il n’était pas le seul fou de la pension, il partageait sa fêlure avec un autre type, un rouquin plein de tâche de rousseur dont j’ai oublié le nom.
Celui-là avait une obsession fort respectable : il voulait prendre la poudre d‘escampette ; mais il mettait dans la mise en œuvre de ce projet des moyens étranges. Le premier de ces moyens ne s’exerça qu’à ses dépens. Il avait disparu depuis quarante huit heures, mettant l’alerte dans toute la pension et même un peu au-delà des murs. Voici comment on le retrouva alors qu’on battait en vain les alentours de la ville.
Il y avait dans la buanderie une de ces grosses machines à laver comme on en voyait à l’époque dans les collectivités, énorme cylindre couché sous lequel des brûleurs à gaz chauffaient l’eau. Comme la lingère s’apprêtait à les allumer, le sas de la machine s’ouvrit brutalement pour laisser passage au bond fulgurant d’un fantôme qui s’enfuit dans un ample mouvement de drap blanc. Aux cris de la bonne femme, du monde accouru. Sans égard pour sa condition, le fantôme fut saisi au collet derrière les marronniers de la cour et reconduit manu militari chez le directeur.
Le second moyen qu‘il utilisa pour favoriser son évasion fut plus radical : il mit le feu à la pension. L’incendie se déclara par les combles où étaient entreposées des décorations de Noël. La nuit tombait. Nous étions en salle d’étude. La porte s’ouvrit violemment et rebondit avec fracas contre le mur. Nous vîmes les deux oreilles directoriales bondirent de table en table pour atteindre l’extincteur accroché au fond de la classe, avec une souplesse que je croyais jusqu’alors réservée à des mouvements d’intimidation mais que je n’imaginais pas dans cette fonction de propulsion aérienne. Pendant leur vol au dessus des pupitres, les oreilles regardaient le plafond. Nous en fîmes de même. Il se lézardait sous l’effet de la chaleur.
Monsieur Nalet, notre surveillant, nous fit sortir en bon ordre dans la cour. Des flammes s’élevaient de la toiture et mettaient des lueurs dansantes sur nos visages où la frayeur cédait peu à peu la place à un autre sentiment qui aurait fait trembler d’indignation les grandes oreilles du directeur si elles n‘eussent eu en ce moment d‘autres préoccupations. Au loin, la sirène des pompiers retentissait. Bientôt le feu fut éteint, non sans dégâts considérables pour le toit. Nous ne revîmes jamais l’incendiaire mais il paraît qu’il fut envoyé en maison de correction.
anti
Pfiouuu ! C’est absolument magnifique, tout ce que fait cet homme : ses tableaux, ses cadres, ses textes.
Je le connais de nom (de pseudo, en fait) depuis plusieurs années mais de beaucoup plus loin que toi. Tu m’en as pas mal parlé depuis que nous sommes ensemble et j’espère qu’un jour nous aurons l’occasion de le voir.
Moi aussi je me souviens de lui sur un autre forum. C’est beau tout ce qu’il fait !
Hé ! Hé ! Vous êtes bien épatants tous, vous autres créatifs autant que vous êtes !
Eh oui Zaza, j’avais oublié son passage sur un autre forum ! Et, j’ajoute une phrase du Veilleur qui colle bien » Les forums m’ont beaucoup appris sur moi et sur les autres, je les ai mis de côté pour le moment. »
Tu m’étonnes !
anti
Ce « veilleur » est bourré de talents… Sa manière de raconter avec humour son enfance d’interne à Viroflay m’a rappelé beaucoup de (mauvais) souvenirs… Ses tableaux, sa façon de sculpter ses cadres, tout est somptueux chez lui… Comme lui, les forums m’ont beaucoup appris… Et ça continue !
La bonne nouvelle, c’est qu’il y a une suite à ce récit ! Je la mettrai en ligne demain 😉
anti