J’étais hier à Paris pour deux rendez-vous liés à mon travail. Une longue journée qui m’a donné l’impression d’en vivre plusieurs ou, plus exactement, de parcourir plusieurs mondes.
Premier monde, cinq heures et demi du matin. Je m’éveille doucement, me lève sans allumer, quitte la chambre après avoir jeté un coup d’œil par la fenêtre. La neige subsiste un peu partout même si elle a perdu de son épaisseur. Je me prépare sous le regard intéressé des trois petits chats – plus si petits que ça, d’ailleurs. Vers 6h10, je vais embrasser doucement Anti qui se réveille le temps de quelques murmures échangés. Je sors sur le perron, il fait un froid glacial. Sur certaines marches de l’escalier, des mottes de neige oubliées ont gelé, elles sont dures et glissantes. La neige sur le sol crisse sous mes pas, elle est, elle aussi, recouverte d’une pellicule de glace. Je monte dans le Touran et prends la route de la gare. Sur la chaussée, quelques plaques de verglas, heureusement très éparses.
Deuxième monde, 7h, je m’installe dans le TGV. J’ouvre mon PC. J’ai lu les jours précédents des passages de livres et des pages web autour de l’histoire de l’astrologie. J’ai enregistré une partie des infos sur mon disque et je m’en sers pour commencer l’écriture du deuxième chapitre du Soleil sous la terre. Mésopotamie, il y a six mille ans, le premier jour du printemps entre dans le signe du Taureau. Pendant ce temps, autour de moi, le jour se lève dans un ciel sans nuage. La neige recouvre encore une bonne partie du paysage mais très vite, je ne la vois plus. Je raconte l’histoire du zodiaon kyklos, « le cercle des animaux », ou comment les treize constellations de l’écliptique sont finalement devenues douze et pourquoi c’est le Bélier qui commence désormais avec le printemps dans les horoscopes des magazines. Le temps file. Quand je lève à nouveau les yeux, le train approche de Paris. Il fait toujours très beau mais il n’y a plus de neige. Qui a changé le nord en sud ?
Troisième monde, 11h, quelque part dans le huitième arrondissement. Mon premier rendez-vous se tient dans le salon feutré d’une grande banque d’affaires. Vocabulaire châtié, échanges mouchetés, désintérêt courtois, un coup pour rien.
Quatrième monde, midi et demi, j’arrive chez mes parents pour le déjeuner. L’une de mes sœurs et l’un de mes fils sont là aussi. Cuisine tunisienne populaire (de la chakchouka), conversation joyeuse à bâtons rompus, en grande partie autour du démarrage brillant des Éditions du Puits de Roulle. Après le repas, je repars avec mon fils pour qu’il me montre son appart parisien – il fait ses études aux Beaux-arts depuis cette année. C’est un petit studio au sixième étage d’un immeuble bourgeois, côté arrière-cour, avec une vue lumineuse sur les toits et le ciel.
Cinquième monde, 14h30. Je suis devant la gare Saint-Lazare et j’ai un peu plus d’une heure devant moi avant mon deuxième rendez-vous. J’en profite pour bavarder avec Anti. Un peu plus tôt, elle m’a envoyé un SMS avec une faute de frappe dont la poésie me met en joie : « Je suis au amis des Espeisses. C’est une pure merveille ». Le mot « amis » aurait dû être « bois » – « a » à la place de « b », « m » à la place de « o » et les arbres du bois sont devenus les amis de la promenade d’Anti. Quant à la pure merveille, vous en jugerez par vous-mêmes lorsqu’elle mettra ses photos en ligne un peu plus tard.
Sixième monde, même heure, même endroit. Pendant que je parle avec Anti, je tourne la tête et je vois un SDF dormir par terre, allongé contre un mur, le visage enfoui dans un vêtement. Devant lui (ou elle ?), un soldat en uniforme, fusil sur la poitrine, fait face à la rue en lui tournant le dos et semble monter la garde pour protéger son sommeil. La scène irréelle ne dure que quelques secondes. Il s’éloigne et rejoint d’autres militaires en patrouille. Un peu plus loin, une demi-douzaine de mendiantes sont assises par terre en rond. Elles mangent et parlent fort. Les passants font ce que font les passants : ils passent, indifférents.
Septième monde, 15h. Je fais un tour à la Fnac face à la gare. J’achète le dernier CD de Massive Attack, je regarde un extrait de This is it, dont le DVD est sorti il y a quelques jours. Michael Jackson répète Billie Jean et enchaîne les pas de danse. Il a l’air fatigué, ses gestes sont mécaniques. Les quelques privilégiés qui assistent à la répétition semblent ne pas s’en apercevoir et l’acclament à chaque posture.
Huitième monde, 16h, mon deuxième rendez-vous. Celui-là se passe très bien. Dès les premiers échanges, le contact est établi et l’intérêt réel. Je repars euphorique une heure et demie plus tard.
Neuvième monde, 18h20, gare de Lyon. Comme à l’aller, je sors mon PC, avance mon chapitre, admire le disque rouge intense du soleil qui se couche. Je mange un peu, la nuit tombe, j’écris l’essentiel de ces mots, recréant par la pensée le parcours kaléidoscopique de ma journée.
Dixième monde, 21h45, Nîmes, ses rues encore bordées de neige, la maison, Anti. Nous nous enlaçons devant le feu qui crépite dans la cheminée. Fin de soirée paisible.
Onzième monde, 23h30. Retour sous la couette. Tout est chaud, tout est doux, tout est beau.
Douzième monde, on s’endort. Bienvenue au pays des rêves.
Très belle journée à vous
Et encore un voyage grâce à Anna ! Merveilleuse conteuse qui nous transporte au fil des mots dans tout plein de mondes et qui sait si bien saisir les petits et grands bonheurs de la vie !
Franchement, je me régale chaque matin en allant découvrir le mot d’Acceuil. C’est devenu un rituel, un rendez-vous du matin !
Parler de Rituel c’est appeler le Sacré… J’aime ces mondes que nous parcourons ensemble de près ou de loin.
anti, Lame de fond des bois.
Instants présents traversés avec légèreté et profondeur. Merci Anna, tes notes d’accueil sont un pur moment de jubilation.
Magnifique, on s’y croirait ! Une belle journée de 16 heures qui me rappelle de vieux souvenirs !
Anna, tu as un regard merveilleux sur tout ce qui t’entoure… Et tu sais profiter de chaque seconde qui passe… Chapeau !
Merci pour vos mots, ils me touchent.