Hier, surprise pour Anna. Je lui ai offert le réjouissant petit ouvrage de Fellacia Dessert : « La première gorgée de sperme,c’est quand même autre chose« , rapport au recueil de nouvelles qu’elle est en train d’écrire « J’ai 13 envies« .
Comme beaucoup d’écrits de ce genre, c’est moyen, moyen. Comme on dit, ça ne casse pas 4 pattes à un canard. En revanche, le côté parodie de « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules« de Philippe Delerme est excellent !
Quel lien avec le titre de cette note me demanderez-vous ? Eh bien, l’article qui suit, très sympa, trouvé sur Accordphilo.com :
Petite réflexion autour de : « Plaisir et culpabilité ». Café-philo de la rotonde de la muette, présenté par Raphaël Prudencio, le mercredi 4 avril.
La première gorgée de bière.
C’est la seule qui compte. Les autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent qu’un empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. La dernière, peut-être, retrouve avec la désillusion de finir un semblant de pouvoir… Mais la première gorgée ! Gorgée ? Ça commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l’écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé d’amertume. Comme elle semble longue, la première gorgée ! On la boit tout de suite, avec une avidité faussement instinctive. En fait, tout est écrit : la quantité, ce ni trop ni trop peu qui fait l’amorce idéale ; le bien-être immédiat ponctué par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut ; la sensation trompeuse d’un plaisir qui s’ouvre à l’infini… En même temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris. On repose son verre, et on l’éloigne même un peu sur le petit carré buvardeux. On savoure la couleur, faux miel, soleil froid. Par tout un rituel de sagesse et d’attente, on voudrait maîtriser le miracle qui vient à la fois de se produire et de s’échapper. On lit avec satisfaction sur la paroi du verre le nom précis de la bière que l’on avait commandée. Mais contenant et contenu peuvent s’interroger, se répondre en abîme, rien ne se multipliera plus. On aimerait garder le secret de l’or pur, et l’enfermer dans des formules. Mais devant sa petite table blanche éclaboussée de soleil, l’alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C’est un bonheur amer : on boit pour oublier la première gorgée.
Philippe Delerm. 1997.
La première gorgée de sperme.
Il y a celles et ceux qui l’avalent, et celles et ceux qui n’avalent pas. Ces dernières, et ces derniers, se contenteront d’apprécier la première gorgée d’une boisson faiblement alcoolisée, dont ils n’abuseront pas. Et se régaleront même à la simple évocation de cette première gorgée, prétendument meilleure que les suivantes parce qu’aussitôt passée. Car leur plaisir est de ne prendre plaisir qu’à ce qui leur reste en travers de la gorge, leur plaisir est tapi dans la gorge profonde des éternels regrets.
Un faire-part de décès leur tiendrait lieu de carte de visite. En deuil des jours anciens, de ce qui aurait pu être et même de ce qui sera, en deuil d’eux-mêmes et de leur propre vie, ils poussent en pleurnichant leurs chants aussi exaltants que ceux des messes du dimanche matin.
Ah, vieille et douce France, tout embaumée dans ses plaisirs de retraités ! France des petites joies sans joie, de la délectation morose et du repli sur soi ! Fière France craintive ! Continuons à t’exalter, France routinière, nostalgique, passéiste ! Encore un peu, et tes adeptes des plaisirs minuscules te laisseront glisser vers l’ordre des bons vieux temps, vieux et increvables règnes des pleutres et des conformistes ! Temps du renoncement, et donc de toutes les compromissions ! Continuons à t’exalter, France immobile, débile, ringarde, impuissante, vieille, hypocrite, dégueulasse ! Qui cache sa bêtise crasse et son aigreur sous une modestie de petite-bourgeoise toute boursouflée de vanités ! Que tes jeunes soient vieux, ou qu’ils n’existent pas ! Que tes vieux de tous âges fassent taire tes jeunes de tous horizons, qu’enfin ils laissent à qui le voudra le soin de faire régner le calme plat qui leur permettra de jouir ad vitam æternam de leur réserve d’infimes et définitives satisfactions ! Amen.
Fellacia Dessert. 1998.
Être coupable !
La langue française le dit presque : c’est être sécable, susceptible d’être coupé, fracturé. On peut considérer un individu comme coupable ; mais tant que la culpabilité, la responsabilité de la faute ne sont pas assumées par l’auteur du crime, elles n’existent pas. Un homme peut être condamné, mais s’il ne reconnaît pas sa faute, il peut seulement être dit coupable, mais en fait, en lui-même, ne l’est pas.
L’erreur du non-repentant – nous parlons ici en termes d’éthique et non de théologie – est de croire qu’ignorer la faute, c’est la faire disparaître.
Fermer les yeux ne fait pas disparaître le monde !
Les conséquences du refus d’assumer la faute se traduisent par une suspension existentielle, une syncope du temps. Le passé est toujours lourd et présent ; le présent est un faux présent, un passé déguisé en présent. L’avenir est donc impossible.
La société est d’abord institution d’une temporalité implicite ; non pas que chaque société ait sa manière à elle de vivre le temps, mais chaque société est aussi une manière de faire le temps et de le faire être, ce qui signifie : une manière de se faire être comme société.
Lorsque le temps d’une société, le temps vivant, n’existe plus, nous avons alors une société morte. Une société n’existe qu’en s’altérant positivement sans cesse. Le temps véritable est celui qui rend possible cette altération : temps de l’éclatement, de l’émergence, de la création. Le présent est explosion, scission, rupture.
Dans ce temps qui n’est plus seulement un laisser aller, un laisser être mais qui émerge comme « à-être », comme projet, une société peut trouver, inventer de nouvelles figures d’elle-même et « ex-ister » fondamentalement, se « futuriser ».
La présence d’une société n’est pas la preuve d’une vie dynamique ; elle peut être en sommeil. Dans tous les cas cependant, il est nécessaire que soit présente la diachronie du temps, ne serait-ce que de façon symbolique.
Assumer la culpabilité, c’est accepter de devenir coupable, responsable de ses gestes. L’aveu n’efface pas le passé ; au contraire, il le souligne, l’affirme. Mais ce poids de la faute reconnue est peut-être moins lourd que celui de la faute cachée. L’aveu temporalise le temps et ouvre la porte au futur. Il y a ainsi un « avant » et un « après », une fracture dans le temps qui est l’essence même du temps.
Sources photos : bière / Pipe Google / Equilibre.
anti
Anti, tu fais très fort !
J’adore la conclusion, à une époque où il est de bon ton de s’affirmer « responsable, mais pas coupable » !
Oui, j’adore aussi la conclusion. Je suis d’avis que si tu nies une chose parce qu’en général ça te déplaît (tu diras plutôt que ça n’a pas vraiment d’importance ou autre excuse à la mords moi l’noeud), ben ça te pète à la figure un jour où l’autre.
Faire comme si de rien n’était est une façon très efficace de ne pas avancer par rapport à un problème.
Pour celles et ceux qui fonctionnent ainsi, je suggère une lecture très sympa : « Comment rater complètement sa vie en 11 leçons » de Dominique Noguez ( http://www.priceminister.com/offer/buy/909761/Noguez-Dominique-Comment-Rater-Completement-Sa-Vie-En-Onze-Lecons-Livre.html )
anti
La vie m’a appris que plus on tarde à résoudre un problème, plus sa solution sera compliquée.
Le courage, c’est d’affronter les situations… et d’y trouver rapidement une solution adéquate.
En étudiant le crash du Rio-Paris, j’ai découvert que les avions modernes n’étaient pas conçus pour sortir de leur « domaine de vol » (assiette/poussée). S’ils en sortent, ils ne peuvent y revenir… Ca fait un peu froid dans le dos quand même…
Pour ceux que cela intéresse, 2 avis de pilotes expérimentés :
http://www.crash-aerien.com/forum/17-vt13032.html?postdays=0&postorder=asc&start=240