Je vous recommande un article fort intéressant, vu sur le site de Rue89. Il parle de ces entreprises qui, après avoir délocalisé leurs sites de productions à l’étranger (la plupart en Chine) dans les années 2004-2005, font aujourd’hui le chemin inverse : elles relocalisent en France !
Les raisons sont de plusieurs ordres :
– économiques : les produits fabriqués en Chine coûtent certes moins chers mais ensuite, il faut les transporter jusqu’aux consommateurs français et la Chine, c’est loin. Le directeur de Majencia (mobilier de bureau) déclare ainsi que sur 20% d’économie, la moitié finançait le surcoût de transport en 2004 et depuis, ces coûts-là ont augmenté en permanence. Même analyse et même conclusion chez Geneviève Lethu qui, de plus, a eu de gros problèmes de qualité. Résultat : ces entreprises reviennent en France, ainsi que Carglass, Nathan, Aquaprod, Jeanneau-Bénéteau et d’autres.
– écologiques : Majencia, par exemple, se fournit en bois dans des forêts gérées sur des critères de développement durable. La direction a réalisé qu’il était, de ce fait, incohérent de transporter sa production avec un bilan carbone démesuré. Une pression venue des clients eux-mêmes, de plus en plus sensibles à l’impact sur l’empreinte écologique.
– techniques : la main d’oeuvre chinoise est bon marché mais la qualité est souvent déplorable alors que le label « made in France » donne confiance. Chez Atol, on déclare « les consommateurs sont prêts à payer plus cher s’ils savent que c’est fabriqué en France. […] Les lunettes sont devenues un accessoire de mode, plus qu’une prothèse médicale. [Les branches interchangeables sont] une innovation réussie grâce au savoir-faire jurassien en matière de lunetterie, que nous n’aurions pas pu trouver en Chine ! »
– sociales : chez Majencia, « en 2006, nous avions une baisse de production sur notre site de Noyon, en Picardie. Au lieu de le fermer et de continuer à produire en Chine, nous avons rapatrié la production sur ce site, ce qui nous a permis de maintenir son activité ».
– éthiques : mais oui, éthiques ! Atol, par exemple, est une coopérative d’opticiens qui a délocalisé une grosse partie de sa production en Chine en 2004. Son actuel directeur général déclare à propos de sa relocalisation en France : « C’est un acte citoyen. Dans le cas d’Atol, nous nous inscrivons dans une économie solidaire, en tant que coopérative. Sans être soumis à des cours de bourse ou à des actionnaires qu’il faut rémunérer, nous sommes ainsi plus dans le moyen-terme. »
L’article intégral se trouve ici : Et si on relocalisait les entreprises parties à l’étranger
Photo Reuters
Je ne suis pas convaincue de leur bonne foi, mais le résultat me va tout à fait !
anti
En fait, je pense qu’il y a, avant tout, un raisonnement purement économique (le premier argument cité dans l’article) : le coût du transport s’est envolé ces dernières années et la rentabilité de la délocalisation n’est plus du tout évidente. Puisqu’en plus la relocalisation fait très politiquement (au sens large) correct, aucune raison pour ces boîtes de ne pas se racheter une image positive au passage.
Ce n’est finalement pas si différent de la remarque qu’on se faisait hier en faisant tout simplement nos petites courses à Inter : depuis que les produits non bio sont aussi chers ou plus chers que les produits bio, tout le monde se met à acheter des produits bio, d’où des étals de plus en plus grands pour ces produits, d’où de plus en plus de gens qui en achètent, etc.
Quand l’économie du sale est battue par l’économie du sain, aucune raison que le sain ne s’impose pas enfin.
Bonjour.
Je suis le PDG de Majencia et je tombe sur votre blog et vos échanges sur le sujet qui m’intéresse et pour lequel je m’engage avec conviction. Il est vrai que ce mouvement de relocalisation est atypique et semble à contre-courant par rapport à ce que nous voyons au quotidien dans la presse. Il est vrai aussi, car je l’observe sur beaucoup de blogs, que l’on pense systématiquement que les patrons se rachetent une bonne conscience en parlant de démarche citoyenne ou éthique alors que vous pensez tous que la seule motivation est économique. Je m’adresse à vous juste pour vous dire qu’il existe aussi une nouvelle génération d’entrepreneurs qui s’efforcent de faire converger les intérêts et bénéfices sociaux, environnementaux et économiques. Car ces trois piliers du développement durable ne sont pas incompatiles. Je suis convaincu que la crise actuelle, les enjeux environnementaux, les limites de la mondialisation sont autant de contraintes qui dessinent un nouvelle façon de voir l’entreprise et son action responsable dans la société. On peut aujourd’hui être un patron d’entreprise et se soucier à la fois de faire des bénéfices tout en assurant un avenir aux emplois et en respectant l’environnement.
Bien à vous.
Bonsoir Vincent,
J’ai très envie de croire en vos propos et puisque vous les avancez ici, je les prends pour vrais dans votre cas. Des entrepreneurs soucieux d’une certaine morale, croyant en des ou la vertu oui, il y en a, j’en connais même plusieurs personnellement. J’aimerais avoir votre conviction quant à un réel renversement de point de vue. J’entends encore une personne raconter comment elle pensait faire fortune en faisant de l’importation de champignons des pays de l’est à des prix défiants toute concurrence, et pour cause, il s’agissait de champignons de Biélorussie !
Le fait d’avoir pris le temps de vous renseigner sur l’avis d’autrui joue en votre faveur. Merci beaucoup pour votre message sur le blog.
anti
Merci à vous d’être intervenu ici, Vincent. Vos propos sont très convaincants et font plaisir à lire. Espérons que beaucoup d’autres vous rejoindront dans cette logique qui allie économie (ce qui est on ne peut plus respectable pour une entreprise) et respect du monde qui nous entoure (ce qui est on ne peut plus indispensable pour nous tous, autant que nous sommes).
Je suis moi-même chef d’entreprise (sous un autre nom, bien sûr) et j’aurai plaisir à en reparler avec vous si nous avons un jour l’occasion de nous croiser.
Je ne sais pas si c’est un bug dans la Matrice ou du réchauffé chez Rue89, mais il y a un article daté du 22 février 2007 sur hebdo.nouvelobs :
http://hebdo.nouvelobs.com/p2207/articles/a333878-et_si_on_relocalisait.html
Loin des yeux, près du coeur
Et si on relocalisait…
Coût du transport, normes de qualité, proximité du consommateur : de plus en plus d’entreprises renoncent à la délocalisation. Au nom de leurs intérêts bien compris
On vous demande du rouge Hermès, pas du rouge révolutionnaire!» C’est parce qu’il était las de présenter cette requête à ses fabricants chinois que Philippe Peyrard, directeur général de la coopérative des opticiens Atol, a rapatrié il y a quelque temps ses activités de Shenzhen à Morbier, dans le Jura, et à Oyonnax, dans l’Ain. «Pour obtenir la bonne couleur, il nous fallait plusieurs allers-retours, précise le chef d’entreprise. Sans parler du transport : il fallait compter entre quatre et six mois. Nous ne pouvions plus stocker.»
Au moment où les salariés d’Axa France, Dim, Aubade et Arena, numéro deux mondial des maillots de bain et sponsor de Laure Manaudou, manifestent contre les délocalisations de leurs usines en Asie, ce mouvement serait-il réversible ? «Impossible de chiffrer ces relocalisations, dit un conseiller du ministre de l’Industrie, François Loos. Mais nous les regardons au cas par cas. Et nous nous rendons compte que, de plus en plus, certaines entreprises choisissent la qualité et la proximité.» «Ce n’est pas un phénomène massif, comme d’ailleurs les délocalisations, affirme Jean-Hervé Lorenzi, du Conseil d’Analyse économique. Mais il a sa rationalité. Les chefs d’entreprise qui reviennent en France ont simplement du bon sens»(voir encadré).
C’est le cas du directeur d’Atol. Quand Philippe Peyrard obtient en 2003 la licence des montures Ushuaïa, il ne dispose que de 600 points de vente, contre 2 000 aujourd’hui. «A l’époque, les fabricants français n’étaient pas convaincus. Voilà pourquoi, entre autres, nous sommes allés en Chine. Mais c’est aussi parce que les salaires y étaient très bas.» Au fil des mois, Peyrard constate que ses montures ne sont pas parfaites, loin de là. Et puis les lunettes, c’est comme la mode. Il faut aller très vite. La Chine est trop loin. Fin 2006, sa licence est renouvelée pour trois ans. Il a grossi. A Morbier, capitale de la lunetterie, et à Oyonnax, les fabricants le regardent d’un autre oeil. Du travail pour trois ans, ils n’avaient jamais vu ça ! «Bien sûr, ça me coûte plus cher, dit le directeur. Ushuaïa, c’est 50000 montures pas an. A chaque monture, je perds 10 euros. Mais le retour sur investissement est positif. J’ai transformé une trentaine de CDD en CDI, et remis du baume au coeur de la région.»
Vincent Gruau, PDG de la fabrique néerlandaise de meubles de bureau Samas – 750 salariés en France -, a lui aussi choisi de quitter la Chine pour doper en effectifs son site de Noyon, en Picardie. «D’accord, l’Asie, c’est moins cher. Mais aujourd’hui nous faisons du haut de gamme, des meubles personnalisés pour Thales ou Airbus, explique le PDG de la société, et l’activité repart. Alors par prudence, nous prenons des intérimaires. Nos produits sont trop sophistiqués pourla main-d’oeuvre chinoise. Nous n’avons pas embauché. Nous les embaucherons si ça continue.»
«Il se passe quelque chose, même si ce n’est pas un phénomène, affirme Pierre Mirabaud, délégué à la Diact (1). Un signe? De plus en plus de centres d’appels nous demandent de l’aide pour revenir en France pour des problèmes de fiabilité.» Déjà, en 2003, Les Taxis bleus avaient testé puis abandonné la création de centres au Maroc. «C’est un métier de proximité», dit Philippe Beaupré, le directeur général adjoint de la compagnie. En fait, les travailleurs marocains ne connaissaient pas la géographie française, encore moins celle de la capitale. Ils confondaient, par exemple, l’avenue de Versailles à Paris et l’avenue de Paris à Versailles, explique Frédéric Joussset, coprésident de Webhelp, une entreprise qui jusque-là ne fournissait que des centres off-shore. «Depuis un an et demi, nous installons des centres d’appels en France, à Caen. Nous poursuivons nos activités hors de France, mais nous avons découvert à l’époque que la demande des entreprises nationales comme EDF était forte. Nous avons donc mis au point une nouvelle stratégie.» Et si Webhelp faisait des petits ?
(1) Délégation interministérielle à l’Aménagement et à la Compétitivité des Territoires.
Au fait, quest-ce quune délocalisation ?
Selon la plupart des économistes, délocaliser, c’est fermer une entreprise en France pour produire à l’étranger. Ou encore sous-traiter une activité initialement installée en France dans les pays à bas salaires. Selon l’Insee, 13 500 emplois ont été délocalisés chaque année entre 1995 et 2001 (derniers chiffres connus). Soit 0,35% de l’emploi industriel. En revanche, créer une entreprise dans un pays à bas salaires pour satisfaire la clientèle locale n’est pas une délocalisation.
Martine Gilson
Le Nouvel Observateur
anti
Bizarre, en effet ! Un stagiaire chez Rue89 qui a cru faire un coup d’éclat en allant pomper en douce un article vieux de 2 ans ?
Cela étant, le fond du thème traité reste tout aussi valide et intéressant, bien sûr.
« le sujet qui m’intéresse et pour lequel je m’engage avec conviction. »
Si je comprends bien d’après ce que je découvre d’article en article, ça fait au moins 3 ans que vous faites de la re-localisation votre cheval de bataille.
Ca me fait me poser pas mal de questions. Comment l’idée vous est-elle venue ? Est-ce le financier en vous qui a trouvé la solution convenable ? Et surtout, comment l’avez vous faite passer cette idée ? Quel regard portez-vous sur les résultats obtenus dans quelque domaine que ce soit ? Le ministre de la relance vous a reçu le 10 juin dernier : qu’en est-il ressorti ?
anti
Bonjour,
Pour répondre aux derniers posts, ce mouvement de relocalisation pour Majencia (Samas France ayant changé de nom en mai dernier) a effectivement été mis en oeuvre mi 2006, il y a donc 3 ans. Cette démarche étant atypique et encore largement marginale, j’en conviens aisément, elle bénéficie d’une couverture médiatique quasiment sans interruption depuis fin 2006 dont nous profitons et je ne vais pas m’en exonérer car pour une PME, fut-elle de 700 personnes, il est toujours bon de pouvoir faire parler de soi pour construire une notoriété d’entreprise. Donc, en effet, cet article de RUE 89 n’est pas un scoop mais une analyse supplémentaire de ce mouvement positif bien que restreint.
Le fait que la relocalisation soit mon « cheval de bataille », c’est beaucoup dire… Néanmoins, il est vrai qu’elle est attachée à des convictions d’entrepreneur responsable qui démontrent par l’exemple que ce type d’opérations positives sur tous les plans peut fonctionner en dépit des tendances traditionnelles et passives à considérer avec fatalisme qu’une certaine industrie française est moribonde voire morte.
L’idée initiale est venue de façon très pragmatique et opérationnelle tout en étant, je le répète, ancrée dans une démarche responsable de développement durable, dans le vrai sens du terme. Samas a connu de graves difficultés (dépôt de bilan, redressement judiciaire,…) et quand une entreprise en est arrivée à ce point de complications, le retournement n’est possible qu’en opérant des changements à la fois de bons sens mais aussi originaux, en prenant à contre-pied quelques idées recues. Le mouvement de délocalisation opéré en 2000 était une bon sujet à prendre à « contre-courant ». En effet, le diagnostic conduit à des conclusions sur les plans i) social : une usine à Noyon (60) a priori condamnée car devenue sous-critique du fait de sa sous-activité, ii) environnemental : un schéma industriel avec la Chine qui pose de vrais questions de consommation énergétique et d’émission de CO² qui semblent inéluctablement poser un problème face aux enjeux écologiques que nous devrons tous régler collectivement au plus vite, iii) économique : un prix du pétrole en hausse qui impacte nécessairement les coûts de transport et une usine à Noyon qui, en l’état, coûte tous les jours et dont la pérennité est en question.
Avec maintenant trois années de recul, le bilan est extrêmement positif. L’évolution depuis 2006 des coûts du transport nous a donné raison. Notre site de Noyon a retrouvé un bon niveau de charge et nous avons même un plan de recrutements de 20 personnes cette année sur ce site. Les appréciations commerciales (évaluation des clients) et réglementaires (ISO 14001 et future taxe CO², par exemple) démontrent que nous sommes dans la bonne voie sur le plan environnemental.
Pour terminer, la rencontre avec le Ministre en charge du Plan de Relance a permis de parler de notre démarche, de retenir un exemple parmi d’autres, de promouvoir cette idée d’une nouvelle entreprise responsable. Nous étions présents surtout pour délivrer des messages pragmatiques et non idéologiques en parlant de nos cas concrêts afin que le Ministre puisse juger de quelle façon ces exemples sont duplicables et quelles mesures prendre pour les multiplier.
J’espère avoir répondu à vos interrogations et remarques.
L’art du contre-courant est, en effet, (souvent) la meilleure façon de sortir d’une ornière et de creuser une nouvelle voie. Merci pour la description très détaillée de la façon pragmatique et cohérente dont vous avez raisonné, vous avez dû passer par des moments aussi difficiles qu’excitants. Une belle démonstration de management efficace et de stratégie que n’aurait pas renié Sun-Tzu.
Merci beaucoup pour vos réponses qui ont le mérite d’être factuelles et effectivement « pragmatiques et non idéologiques » tout en allant dans un sens de développement social et environnemental « positif ».
Bravo et bonne continuation. Au plaisir d’avoir de vos nouvelles ici ou ailleurs.
anti
Cette note est au coeur de notre positionnement industriel des prochaines années. Je remercie Vincent Gruau d’y avoir apporté sa contribution. Il est temps d’ouvrir les yeux sur le « mirage aux alouettes » de la délocalisation, qui ne peut que décevoir à long terme les Industriels soucieux de qualité et d’innovation. Les profits financiers immédiats sont largement décompensés par une perte de savoir-faire et un risque de dépossession de l’image de marque. Je trouve irresponsable de la part de Sociétés comme Airbus Industrie, Renault ou Alsthom l’abandon de leur « know how » au profit de Pays à faible coût de production. La « mondialisation » n’est pas le royaume des bisounours… Les Américains l’ont bien compris, qui n’externalisent que des productions non susceptibles d’impacter leur secteur « recherche-développement ». L’aspect écologique n’est pas négligeable non plus. Aujourd’hui, le JT a fait état d’une situation médicale catastrophique aux abords d’une usine de traitement du plomb en Chine. La réaction du Directeur de l’Usine a été que si on la fermait, on supprimerait 2.000 emplois… Effectivement, Monsieur Bordeau-Chesnel, « nous n’avons pas les mêmes valeurs » !!