(Vous avez l’argent ? Nous avons les comédiens !)
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Une pièce d’Alexandre DONDERS
DAVID : Je t’aime, Maria !
BERNADETTE : Allons bon ! Voilà encore autre chose !
JACQUES : Il a dit quoi ? … Maria ?
ALAIN NAUDIN : Quelqu’un connaît une Maria ? ça pourrait nous aider !
MICHEL STARLIGHT, à Bernadette : Mais réfléchis ! Maria ! C’est peut-être ta femme de ménage ?
BERNADETTE : C’est bien possible. Je ne connais pas son prénom.
MICHEL STARLIGHT : Tu ne connais pas le prénom de ta femme de ménage ?
BERNADETTE : Je n’en vois pas l’utilité puisque je ne la déclare pas.
MICHEL STARLIGHT : Et comment tu l’appelles, alors ?
BERNADETTE : La plupart du temps, Maria.
MICHEL STARLIGHT, s’emporte : Mais alors c’est normal qu’il l’appelle Maria lui aussi, s’il t’entend l’appeler comme ça ! J’ai jamais vu un endroit pareil ! Pour arriver à dire un truc, il faut faire cent cinquante phrases ! ( A David : ) Bon, la femme de ménage, elle vient tout à l’heure, tu pourras tenir jusque-là ? Oh, dis ! Je te parle !
C’est le moment que choisit Peggy pour reprendre connaissance.
PEGGY, du sol, péniblement : Je t’aime, Tony !
ALAIN NAUDIN : C’est qui, ce Tony ?
BERNADETTE : Je ne sais pas, moi, elle aurait dit «Dylan», j’aurais éventuellement compris, mais là…
MICHEL STARLIGHT : Pourquoi, c’est qui ce Dylan ? Ça a un rapport avec Bob ?
ALAIN NAUDIN : Mais quel Bob ?
JACQUES : Je vois pas le rapport entre Bob et Dylan !
BERNADETTE : Eh bien, pour résumer… Dylan, c’est l’autre.
ALAIN NAUDIN, la coupant : Complique pas ! On s’en fout de qui c’est ce Dylan, pour l’instant on a un problème avec Tony !
DAVID, se met soudainement à chanter, sur l’air de «West Side Story» : Maria… Maria, Maria, Maria !
PEGGY, enchaîne, juste après, en tendant son bras vers lui, et en chantant elle aussi : Tony… Tony… (Leurs doigts se toucheront presque, c’est très poétique. Ils se rejoignent et s’enlacent au milieu de la scène. Puis, David raccompagne Peggy jusqu’à sa chaise. )
MICHEL STARLIGHT : David, crois-en un vieux routier du cinéma, pour que ça ait un minimum de gueule, votre petite histoire d’amour, maintenant il faut que ta petite copine, elle meure dans d’atroces souffrances en hurlant ton prénom, et ensuite que tu te tailles les veines avec une lime à ongles en pleurant de désespoir.
ALAIN NAUDIN : Et tout ça dignement.
La lumière baisse doucement. Demi-pénombre.
DAVID, occupant la scène : Mais qu’est-ce que vous connaissez à l’amour, vous ? Qu’est-ce que vous en savez, de l’amour, avec toute votre littérature, là, tout votre cinéma ? Je suis pas acteur, moi, je suis même pas figurant ! Je suis rien ! J’ai pas de travail, j’ai pas de sous ! Mais ça m’empêche pas d’être sincère ! Ca m’empêche pas d’être vrai ! Ca m’empêche pas d’aimer ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que c’est compliqué d’aimer, que ça se travaille, que ça s’improvise pas ? Mais l’amour, c’est.. c’est simple ! L’amour, c’est simple comme… comme…
PEGGY, voulant l’aider : … comme un coup de fil ?
DAVID, à Peggy : Ce que t’es mignonne, Peggy ! Si tu savais comme t’es touchante à force de vouloir être gentille ! Si tu savais comme t’es jolie, à force de vouloir être belle ! Si tu savais… Moi non plus, j’en connais pas beaucoup des mots pour te dire que je t’aime, mais c’est pas grave, ils sont là, dans mon cœur, et quand je te vois, je sais que tu les comprends sans que je les ai prononcés. Je suis comme toi, Peggy, je crois pas être très intelligent, j’ai pas lu beaucoup de livres… Mais y’en a un… je m’en souviens un peu, c’est l’histoire d’un petit prince qui arrose des fleurs sur une autre planète…
PEGGY : Ah oui ! Celui qui veut toujours qu’on lui dessine des chèvres ?
DAVID, dans un sourire : Des moutons, mon petit cœur… Je crois que c’est des moutons… Mais c’est pas grave… Je le sais parce que je l’ai lu… Le petit prince, il dit que c’est avec le cœur qu’on voit le mieux… Eh ben moi aussi c’est avec le cœur que je te regarde… T’es mon essentiel à moi… Tout le reste… c’est invisible !
JACQUES : Sympa pour nous !
DAVID : Mais toi aussi, je t’aime, Jacques ! T’es un peu dérangé, mais je t’aime bien ! Tu me fais rire, en plus d’être un grand poète ! T’es comme mon père… T’es comme mon frère… T’es comme mon…
BERNADETTE, le coupant : Oui…Bon… On va peut-être s’arrêter là…
DAVID : Et toi, Bernadette, t’es une vraie femme, comme j’en ai jamais vue ! T’as toujours été gentille avec moi, et t’as toujours été gentille avec Peggy ! C’est pour ça que je vous aime aussi tous les deux ! Parce que même si des fois vous vous disputez avec elle, je sais que vous l’aimez du fond du cœur, peut-être autant que vous vous aimez, Jacques et toi, sans jamais vous le dire !
Un temps.
PEGGY, après un temps : C’est ça qu’on appelle déclarer son brasier ?
DAVID, après un temps : Sa flamme… Oui ma chérie, c’est ça…
PEGGY, dans un souffle : Enfin ! ( David la rejoint )
La lumière revient.
MICHEL STARLIGHT, après un temps, à Bernadette : Bien… Comme je vous le disais, je cherche une agence pas trop classe, comme ici, ou je puisse être en pleine…
BERNADETTE, le coupant : J’ai bien peur, cher ami, de ne pouvoir accéder à votre demande. Voyez-vous, nous sommes une petite structure familiale, sans prétention, composée pour l’essentiel de gens simples et authentiques. Oh, notre agence ne gagne pas des mille et des cents, mais elle gagne à être connue… pour la qualité et la sincérité de ses démarches, et pour l’authenticité de ses employés. Je vous conseillerais plutôt de vous orienter vers une structure plus en rapport avec ce que vous représentez, et qui saura mettre en valeur vos immenses talents…
JACQUES : En d’autres mots, tu serais plus à ton aise dans une agence avec que des dingues…
PEGGY : Oui, y’a trop de gens normaux ici pour vous, vous allez vous ennuyer !
DAVID : C’est trop calme…
MICHEL STARLIGHT, se levant, surpris : Comment ? Mais, je… ( Puis il se tourne vers le public, et avant de sortir, dit : ) Ceci est ma dernière réplique !
ALAIN NAUDIN, se levant à son tour, dans un sourire : Je crois que j’ai compris. Je vous souhaite bonne chance à tous. Vous le méritez. ( Il sort. )
PEGGY : On ne ferme pas la porte ?
BERNADETTE : Non, on ne la ferme pas. Avec votre permission, j’aimerais faire l’économie de cette porte quand les huissiers viendront tout à l’heure.
PEGGY : Ah, parce que si elle est ouverte, ils la prendront pas ?
BERNADETTE : Et en plus, ça m’évitera de servir en permanence de groom.
Regard de Jacques sur Bernadette, il sort le papier de la poche de sa chemise et note fébrilement.
PEGGY : Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
BERNADETTE : On fait comme d’habitude, on attend que ça sonne.
PEGGY : Mais personne va sonner puisque c’est ouvert !
Un long silence pesant. Peggy et Jacques fixent Bernadette, le regard perdu. Le téléphone sonne, la messagerie s’enclenche.
«Bonjour, vous êtes bien à L’Agence, avant le Bip c’est à nous, après le Bip, c’est à vous.» (Bip)
Une voix plutôt jolie de jeune femme laisse un message : «Oui, rebonjour, c’est Fanny Lecoeur, je vous ai laissé un petit message ce matin, mais peut-être que vous n’avez pas eu le temps de l’écouter… Voilà, c’est juste pour vous dire que j’ai été choisie par cet ami dont je vous ai parlé sur le message, le réalisateur de la prochaine série : « La Petite Studette dans la Cité », j’ai le premier rôle, c’est génial ! Il devrait y’avoir deux ans de tournage, mais je n’ai toujours pas d’agent pour me représenter, et comme votre agence, c’est celle qui compte le plus de gens sympas un peu fous comme moi… J’aimerais bien en faire partie ! Du coup, je leur ai conseillé de faire l’ensemble du casting chez vous, et ils sont d’accords ! Alors voilà, si vous pouvez me rappeler demain matin pour qu’on prenne rendez-vous, je serais encore plus folle de joie ! Merci, et à demain ! A demain, et merci !
Un temps. Le téléphone sonne à nouveau, la messagerie s’enclenche.
«Bonjour, vous êtes bien à L’Agence, avant le Bip c’est à nous, après le Bip, c’est à vous.» (Bip.)
Voix dans le répondeur : «Bonjour, ici le cabinet de Maître Lacasse. Nous sommes au regret de vous informer que la plainte dont nous avons été saisis concerne l’agence… (On entend la personne tirer avec désinvolture une bouffée de cigarette.) … L’agence immobilière qui se situe au rez-de-chaussée de votre immeuble, et non la vôtre. Nous ne sommes donc pas en comptes avec vous. Enfin, pour l’instant… Voilà, bonne journée !»
Bernadette, Peggy et Jacques se regardent.
PEGGY : S’ils saisissent le rez-de-chaussée, ça fera un étage en moins à descendre ?
BERNADETTE, après un gros soupir de soulagement : Bien, bien, bien… Mes enfants, ainsi que vous venez de l’entendre, il y’a des chances pour que dans les jours à venir, il y’ait comme qui dirait un début d’effervescence au sein de cette agence… (Jacques demande l’autorisation de parler en levant la main.) Jacques, tu as quelque chose à dire ?
JACQUES : Oui… Comme il va y’avoir beaucoup de travail, et que Peggy et moi, on peut pas tout faire tout seuls, je pensais qu’on pourrait peut-être…
BERNADETTE : Je pense comme toi, Jacques… David, si tu l’acceptes, tu as désormais un emploi au sein de cette agence. Nous tâcherons de rajouter un bureau.
DAVID : Moi ? Ici ? Avec vous ? mais je… Oui, je… Oh ! Merci ! Merci ! ( Il embrasse successivement Bernadette, puis Jacques, puis Peggy et s’assoit à côté d’elle. )
PEGGY, à David, comme un début de conversation : Bon, alors, pour commencer, si le téléphone sonne, il faut impérativement décrocher en disant : « L’Agence, Bonjour ! » Il faut pas dire : « Ouais ? » Pour les crayons …
BERNADETTE : Peggy, du fait de la présence de David dans nos rangs, si tu le souhaites, tu pourras t’absenter deux heures par jour pour prendre des cours de théâtre…
PEGGY : Pour être comédienne ?
BERNADETTE : Accessoirement, oui.
PEGGY : Génial ! Oh, c’est sympa ! c’est sympa ! C’est sympa !
BERNADETTE : Comme disait Sacha Guitry, « Toutes les femmes sont comédiennes, à part quelques actrices… »
JACQUES : Quand à moi, écoutez- moi ça : (Solennel.)
Fais froid dehors, prends ta doudoune.
J’t’ouvres pas la porte, j’suis pas ton GROOM !
Il se lève d’un bond et va embrasser Bernadette en la remerciant chaleureusement. Il a enfin terminé son poème.
BERNADETTE, de très bonne humeur : Bien… Si Jacques est satisfait de son poème, tout va bien ! Ah, Jacques, j’allais oublier… Un certain Pedro a rappelé, il m’a demandé de te donner son nouveau numéro… (Jacques prend le papier que lui tend Bernadette. Il a les larmes aux yeux. ) Allons les enfants, on rentre. Demain, planning très chargé. (Tout le monde se prépare au départ.) Quant à moi, je vais tâcher de trouver celui qui me peindra mon prochain tableau. Après tout, n’est pas Reine du Show-Biz qui veut !
Tous quittent la scène. La lumière reste allumée. L’appartement de Peggy s’éclaire. On voit Jacques aider David à s’asseoir sur un canapé. Puis il sort.
La lumière s’allume chez Jacques, mais on ne le voit pas tout de suite.
On continue de voir Peggy préparer une jolie table avec des bougies. Jacques apparaît devant sa fenêtre. Il est superbement habillé, il est en costume. Il décroche solennellement le téléphone, il parle très dignement.
La fenêtre de Bernadette s’éclaire à son tour, ce qui a pour effet d’éteindre la scène, mais pas le néon de l’agence. On ne la voit pas tout de suite. Puis elle passe devant la fenêtre en robe de soirée, toujours en chignon, un téléphone à la main.
A la fenêtre de Peggy, on voit David, une fois la table mise, l’entraîner langoureusement dans la chambre, en éteignant la lumière.
Jacques, lui, se regarde une dernière fois dans le miroir, puis éteint la lumière et sort. Bernadette, prête à sortir, ouvre la fenêtre, et dans un élan shakespearien, dénoue son chignon, secoue sauvagement sa crinière, et dit :
BERNADETTE : Prépare-toi, Roméo ! Et sois sur le qui-vive !
Allume tous tes flambeaux, car Bernadette arrive !
FIN
anti
(Photos rideaux, applaudissements sources internet)
A voir aussi, le site de la pièce : http://www.lagence-lapiece.com/
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JACQUES : Attends un peu Juliette, que Roméo dégrise
Avant de lui faire ton numéro de streap-tease…
http://blogsimages.skynet.be/images/000/316/784_109.gif
:-)) Ram’