(Vous avez l’argent ? Nous avons les comédiens !)
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Une pièce d’Alexandre DONDERS
JACQUES : Ose, ose ! Au point ou t’en es !
BERNADETTE : Mon cœur aussi va vite. Il tourne comme une planète autour de cet astre que tu es. Autour de toi, mon soleil !
JACQUES, riant, à Alain Naudin : Tu notes, hein ? Parce qu’elle me le dira pas deux fois ! (A Bernadette.) Alors comme ça, je suis ton soleil ? Ouais… Pas mal… Et t’as pas le sentiment que depuis quelques années, il y’a comme qui dirait entre nous un début d’éclipse totale ?
BERNADETTE : Sais-tu que j’aurais pu t’épouser, si tu n’avais pas eu un physique ingrat ?
JACQUES : Tu baisses là…
BERNADETTE, se lève brusquement, Alain sursaute : Oui, c’est vrai. Jacques, c’était qui au téléphone ?
JACQUES : Ah, c’était donc ça ! Alors tout ce que tu m’as dit avant, c’était pour de rire ? Eh bien ton soleil ne te répondra pas !
BERNADETTE, commence à perdre son sang-froid : Attention, Jacques, parce que là tu vois, je suis fatiguée ! Je suis pas souvent fatiguée, mais là je suis au bout du rouleau et en plus il faut qu’on trouve une solution d’ici ce soir. Ca fait des années que je me bats pour cette agence, et qu’est-ce que j’ai eu en retour ? Pas d’amis, pas d’amour, rien que des emmerdes ! Tu crois que je les vois pas, les autres, dans la rue, à aller faire des courses avec leurs amoureux et à s’embrasser sur les bancs publics ! Moi, pendant ce temps là, j’ai bossé, bossé, bossé ! J’ai tout raté ! Je suis moche, je suis triste, je fais rire personne ! Mais tu vois pas que je suis malheureuse ! (Elle baisse les bras de découragement. Ce moment extrêmement sincère va profondément toucher Jacques. Il se lève et la prend dans ses bras.)
JACQUES, après un temps : Mais c’est pas contre toi que j’en ai… C’est… Des fois je sais plus trop ou j’en suis… Tous ces gens qui viennent de partout, et moi qui vient de nulle part… Mais toi, t’es forte !
BERNADETTE, c’est le mot dont elle avait besoin. Dans un sanglot : C’est vrai ?
JACQUES : Oui, c’est vrai.
BERNADETTE : Merci, Jacques.
JACQUES : Au téléphone, c’était les Productions Va & Viens pour Gilles Goussard.
Bernadette va téléphoner de son bureau. Jacques reprend sa place, non sans avoir subtilisé le petit mot laissé par David dans une enveloppe sur le bureau de Peggy, à côté des fleurs.
Alain n’a pas bougé. Il est un peu sidéré. Un moment s’écoule pendant lequel on voit Bernadette discuter doucement au téléphone.
JACQUES, à Alain : J’ai essayé de me suicider quatre fois. Je me suis raté trois fois.
ALAIN NAUDIN : Ah oui, quand même…
JACQUES : Il paraîtrait que les pyramides, en Egypte, c’est rien que du contreplaqué… T’es au courant de ça ? Je l’ai lu dans Homo Erectus, le journal des gays. Les pharaons, ça fait des années et des années qu’ils nous bassinent avec leurs tombes où ils pouvaient bouffer et picoler, et en fait, c’est rien que du placo !
ALAIN NAUDIN, notant sur son petit carnet : Ah oui, quand même…
JACQUES, regardant le petit cahier qu’Alain noircit de son crayon : Et toi, tu fais quoi dans la vie ?
ALAIN NAUDIN : Auteur.
JACQUES, prenant son temps pour enchaîner car il est aussi concentré par la lecture du petit mot, ce qui lui donne un léger côté désinvolte : T’écris des poèmes ?
ALAIN NAUDIN : Surtout des pièces de théâtre.
JACQUES : Et t’as déjà écrit des poèmes ?
ALAIN NAUDIN : Oui, ça m’est arrivé.
JACQUES : Avec des rimes ?
ALAIN NAUDIN : Oui, autant que possible…
JACQUES, pose la note de David et attrape un papier de sa poche : Tu connaîtrais pas un mot qui rime avec «Doudoune» ?
ALAIN NAUDIN, cherchant et ne trouvant pas : Si tu ne trouves pas, remplace «Doudoune» par autre chose… Je ne sais pas moi, veste ou smoking…
JACQUES, boudeur, il replie le papier et le remet dans sa poche : Ouais. D’accord… Je vois. Ce que vous pouvez être coincés, vous autres, dans la littérature !
Bernadette vient de raccrocher, satisfaite.
BERNADETTE, tout sourire, à Alain : Bien. Excusez, moi. Il nous arrive d’être victimes de notre succès et de notre professionnalisme. L’un ne va pas sans l’autre, d’ailleurs. Ah, les acteurs, les acteurs ! Les actrices, les actrices ! (Elle rit.) Comme j’essayais désespérément de vous le dire, nous sommes une agence de… (Son téléphone sonne.) Je vous prie de m’excuser un instant…
JACQUES, grivois, en s’adressant à Alain : Alors, tu l’as trouvée comment, Peggy ?
ALAIN NAUDIN : Ah, parce qu’elle s’appelle Peggy ? (Michel Starlight ouvre soudainement la porte de la kitchenette et la referme derrière lui. Gêné, et pour se débarrasser de la question de Jacques : ) Alors Michel, tu l’as trouvée comment Peggy ?
MICHEL STARLIGHT : Ah, parce qu’elle s’appelle Peggy ? En pleine forme ! Et toi ?
ALAIN NAUDIN : Je l’ai trouvée là, en arrivant…
JACQUES : Peggy, c’est comme ma petite sœur…
MICHEL STARLIGHT, gêné : … Ah oui ?
ALAIN NAUDIN : … Belle famille !
JACQUES : C’est comme ma gosse…
MICHEL STARLIGHT : … Félicitations !
ALAIN NAUDIN : … Elle est très réussie !
JACQUES : C’est tout ce qui me reste…
MICHEL STARLIGHT : … C’est peu de chose…
ALAIN NAUDIN : … Et tellement, à la fois…
JACQUES : éclatant de rire : Mais non, je blague ! Elle est rien pour moi ! Ca me ferait mal d’avoir une fille aussi débile ! (Il interpelle Bernadette qui téléphone.)
Eh Bernadette ! Bernadette ! Je leur ai fait croire que Peggy, c’était tout ce qui me restait, et ils m’ont cru ! Je vais pas aller loin avec ça ! Eh, les gars, c’est pas très flatteur pour moi de croire des trucs aussi tordus ! Bernadette ! (Allant voir Bernadette toujours au téléphone.) Arrête un peu avec ton téléphone ! (Il prend le téléphone et le raccroche.)
BERNADETTE : Jacques ! J’étais en ligne… (Un silence.) J’étais en ligne, Jacques…
JACQUES, agacé : Ouais, mais moi, pendant ce temps-là, je me tape tout le boulot…
BERNADETTE, rit soudainement : Avec une comédienne qui me prenait la tête avec ses problèmes de couple, une horreur ! Merci, Jacques…
Peggy sort. Elle a l’air très fatiguée.
PEGGY : Am, stram, gram, bourre et bourre et ratatam, ce-se-ra-toi… (Elle s’arrête sur Jacques.)
JACQUES : Ca-m’é-to-nne-rait…
BERNADETTE : Alors que Peggy se dirige vers son bureau : Bonjour Peggy, c’est gentil de passer nous voir, on s’inquiétait…
PEGGY, se retournant vers Bernadette : Oh ! Eh ! Sur un autre ton, hein ? Je suis comédienne maintenant ! Et plusieurs fois, même ! (Elle voit les fleurs sur son bureau.) Oh, les jolies fleurs… Mais… (A Alain et à Michel : ) … Comment vous avez fait ?
ALAIN NAUDIN : Ah, ça, c’est la magie de l’amour…
MICHEL STARLIGHT : C’est peu de choses, vraiment !
PEGGY : Je ne sais pas comment vous remercier…
ALAIN NAUDIN : C’est fait, c’est fait !
MICHEL STARLIGHT : Allons, allons ! Ca en deviendrait presque gênant.
BERNADETTE : Bien. Maintenant, tu t’assois gentiment et tu te tais, ou je te préviens aimablement que je te….
PEGGY, ignorant la phrase de Bernadette, et s’asseyant : En tout cas, je vous remercie de m’avoir introduite dans le milieu…
ALAIN NAUDIN : On a été au plus simple…
MICHEL STARLIGHT : En général, c’est là que ça se passe…
BERNADETTE : Bien, comme je vous le disais…
PEGGY, la coupant, glamour : Eh, Michel, vous vous rappelez ce que vous m’avez dit tout à l’heure ?
MICHEL STARLIGHT, inquiet : A quel sujet ?
PEGGY : Que vous alliez m’emmener à Cannes pour monter les marches… ! Dès que vous aurez fini votre tournée…
MICHEL STARLIGHT : J’ai dit ça, moi ?
PEGGY : Mais si ! Avec la buvette, là, je sais plus trop, la sanisette…
MICHEL STARLIGHT : La croisette ?
PEGGY : Voilà, c’est ça !
ALAIN NAUDIN, à Peggy : Mais il a jamais été à Cannes, il sait même pas ou c’est sur la carte ! Les seules marches qu’il montera jamais, c’est celles de l’escalier de service de son immeuble, et sa dernière tournée, c’était une tournée générale dans le troquet en bas de chez lui !
MICHEL STARLIGHT : Eh bien, c’est à dire que je… je…
JACQUES : Et ça se prétend international !
BERNADETTE : Bien. Comme je… Vous le disais, nous sommes une agence de…
PEGGY, la coupant, glamour : Et vous ?
ALAIN NAUDIN, inquiet à son tour : Quoi, moi ?
PEGGY : On ira à Hollywood, après la sortie de votre pièce, vous m’avez dit.
ALAIN NAUDIN : J’ai dit ça, moi ?
PEGGY : Mais si ! Avec les canards, là, je sais plus trop, les radars…
ALAIN NAUDIN : Les oscars ?
PEGGY : Voilà, c’est ça !
MICHEL STARLIGHT, à Peggy : Mais ce mec est jamais sorti de chez lui ! La seule fois qu’il a pris l’avion, c’était à la foire du trône ! Et sa dernière pièce, c’était une pièce de bœuf au restaurant Planet Hollywood. C’est d’ailleurs tout ce qu’il connaît d’Hollywood !
à suivre
anti