Un article de Jacques Bergier
Pour un esprit bien rompu aux méthodes scientifiques modernes, la vraie démonstration de la non-existence de la girafe réside dans le fait que la girafe n’existe pas. Ce genre de raisonnement est appelé « la méthode de Lavoisier » : on sait que le fondateur de la chimie avait démontré de cette façon l’inexistence des météorites en déclarant « qu’il ne peut pas tomber des pierres du ciel, parce qu’il n’y a pas de pierres dans le ciel ».
Dans les temps modernes, cette méthode a été brillamment employée par M. Simon Newcomb qui démontra que les avions ne peuvent pas voler parce qu’un aéronef plus lourd que l’air est impossible et M. Imbert Nergal, qui démontra que les phénomènes parapsychologiques n’existent pas parce qu’il n’y a pas de phénomènes parapsychologiques.
D’autres savants ont exercé la même besogne de salubrité, ce qui fait qu’un Américain appelé Charles Fort a pu faire tout un volume, intitulé « Le livre des Damnés », consacré aux faits ainsi expulsés à juste titre du corps de la Science.
Parmi ces faits damnés, la légende de l’animal appelé « girafe » est particulièrement frappante.
Le voyageur arabe Al Kwraismi a, pour la première fois, décrit cette bête mythologique au cou extrêmement allongé. Depuis, de nombreux voyageurs ont prétendu avoir vu ou même photographié des girafes. Et la revue Planète n’a pas hésité, pour abuser ses lecteurs trop confiants, à accréditer ce mythe pernicieux, en dépit des mises en garde du grand savant André Parinaud.
Il est donc intéressant d’examiner comment une telle légende peut avoir pris naissance. Plusieurs explications sont possibles :
L’explication optique
On sait que les déserts, où l’on a signalé des girafes, sont également les lieux de nombreux mirages. Ces mirages sont dus au phénomène d’inversion.
Ce phénomène consiste en ceci : pour des raisons bien connues des météorologistes, il arrive qu’une couche d’air froid se trouve superposée à une couche d’air chaud qui aurait dû se trouver au dessus de la couche d’air froid. La différence de densité des deux couches d’air produit alors une courbure des rayons de lumière et un mirage. Un objet est alors vu à un endroit où il n’est pas, ou sous une forme modifiée. Très fréquemment l’inversion fait apparaître un objet sous une forme allongée comme les miroirs déformants des foires.
Il est donc parfaitement admissible qu’un animal tout à fait ordinaire et bien connu, une licorne par exemple, puisse apparaître à l’explorateur sous une forme invraisemblable et allongée et donner ainsi naissance à la légende de la girafe.
L’explication par la soif
Le mirage qui a donné naissance à la girafe peut également être d’une origine purement psychologique. Perdu dans le désert et assoiffé, l’explorateur peut, dans un état de semi-conscience, rêver qu’il a un cou extrêmement long lui permettant d’atteindre l’oasis la plus proche.
Quoi de plus naturel que de le voir aussi imaginer un animal impossible qui a justement le cou d’une longueur invraisemblable ?
L’explication psychanalytique
Un psychanalyste allemand éminent, Herr Professor Hegebur, dans son ouvrage « Prolégomènes à l’introduction d’une approche de la connaissance de la girafe », fait observer très justement que le long cou de la girafe n’est autre qu’un symbole phallique. C’est là également une explication plausible du mythe de la girafe.
On sait que c’est de la même façon qu’on a réfuté la naïve superstition de certains sauvages selon laquelle le suc du champignon penicillium notatum pouvait avoir une action curative sur les maladies. Ce champignon est de toute évidence un symbole phallique.
L’existence d’un produit extrait du penicillium notatum appelé « pénicilline » et auquel on attribue des vertus curatives merveilleuses est, bien entendu, pure superstition.
Nous voyons ainsi que le mythe de la girafe peut parfaitement trouver son explication dans des considérations soit optiques, soit de physiologie, soit de psychanalyse.
La méthode scientifique moderne n’aura pas de difficultés à démentir aussi les autres affirmations saugrenues d’excentriques dans le genre de Charles Fort.
Il est bien connu qu’il ne peut pas y avoir de faits qui n’aient été déjà décrits dans les nombreux et excellents ouvrages publiés par l’Union Rationaliste (16, rue de l’école Polytechnique). Tout fait non décrit dans ces ouvrages peut certainement être réduit à des illusions ou à des hallucinations collectives.
Signalons, pour terminer, un fait curieux qui montre à quel point la sagesse populaire rejoint la méthode scientifique. Un fermier américain, à qui on avait montré un dessin représentant la prétendue girafe, s’est écrié : « Il n’y a pas d’animal comme ça ! »
N’est-ce point merveilleux de voir à quel point le gros bon sens populaire rejoint ainsi la rigueur de la méthode scientifique ?
Jacques Bergier, 1965
Jacques Bergier est un homme extraordinaire, auteur entre autres du Matin des Magiciens. Plusieurs livres pourraient être écrits sur sa vie. Un aperçu de son parcours se trouve ici.
Les photos ont été prises par Anti.
« Amateur d’insolite et scribe des miracles ».
« L’impossible, c’est ce qui n’a pas encore été fait »
Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhh trop bien ce type ! Encore plein d’idées de lecture, mais pas grave :
« Sa mémoire eidétique lui permettait une capacité de lecture surprenante, atteignant parfois dix livres par jour, au mieux de sa forme physique jusqu’au début des années 1970. »
Je viens de lire sa biographie sur Wiki… Epatée je suis, et souriante aussi… Né en Ukraine, nationalité franco-polonaise ??? chimiste, résistant, James Bond, etc, etc. Un drôle de coco qui me fait penser aussi à un chouchou : Emile Ajar / Romain Gary / Shatan
Mdrrr : « Les Têtes de Stéphanie », est un roman de Romain Gary publié sous le pseudonyme de Shatan Bogat en 1974 aux éditions Gallimard (L’héroïne est une sorte de personnage à la Kill Bill).
Imhotep s’éclate avec les enfants, puisque les girafes n’existent pas…
anti, Petit Diable, 1974.