J’ai dans ma bibliothèque un livre, un vieux livre, pas si vieux que ça, mais une édition de 1857 quand même. Ce livre est l’un de mes livres chéris, un de ceux que je peux lire et relire sans jamais me lasser. Il s’agit de « La Petite Fadette » de Georges Sand.
Toujours mal fagotée, sale, orpheline élevée par sa sorcière de grand-mère, elle ne vit pas au village et tous les mômes la rejette.
Amie des bêtes, observatrice de la nature, elle sait tout soigner pourtant y compris les coeurs adolescents.
C’est une bien belle histoire que celle de la Fanchon comme on l’appelle aussi, celle de l’ouverture du coeur, l’ouverture sur le monde qui nous est étranger. Mais plus beau encore sont les mots de Georges Sand dans sa Notice, mots que je vous laisse découvrir et vous imprégner en cette période mondialement trop agitée à mon goût.
C’est à la suite des néfastes journées de juin 1848 que, troublé et navré jusqu’au fond de l’âme par les orages extérieurs, je m’efforçai de retrouver dans la solitude, sinon le clame, au moins la foi. Si je faisais profession d’être philosophe, je pourrais croire ou prétendre que la foi aux idées entraîne le calme de l’esprit en présence des faits désastreux de l’histoire contemporaine : mais il n’en n’est point ainsi pour moi, et j’avoue humblement que la certitude d’un avenir providentiel ne saurait fermer l’accès, dans une âme d’artiste, à la douleur de traverser un présent obscurci et déchiré par la guerre civile.
Pour les hommes d’action qui s’occupent personnellement du fait politique, il y a, dans tout parti, dans toute situation, une fièvre d’espoir ou d’angoisse, une colère ou une joie, l’enivrement du triomphe ou l’indignation de la défaite. Mais pour le pauvre poète , comme pour la femme oisive, qui contemple les évènements sans y trouver un intérêt direct et personnel, quel que soit le résultat de la lutte, il y a l’horreur profonde du sang versé de part et d’autre, et une sorte de désespoir à la vue de cette haine, de ces injures, de ces menaces, de ces calomnies qui montent vers le ciel comme un impur holocauste, à la suite des convulsions sociales.
Dans ces moment-là, un génie orageux et puissant comme celui de Dante écrit avec ses larmes, avec sa bile, avec ses nerfs, un poème terrible, un drame tout plein de tortures et de gémissements.
Il faut être trempé comme cette âme de fer et de feu, pour arrêter son imagination sur les horreurs d’un enfer symbolique, quand on a sous les yeux le douloureux purgatoire de la désolation sur terre. De nos jours, le plus faible et le plus sensible, l’artiste, qui n’est que le reflet et l’écho d’une génération assez semblable à lui, éprouve le besoin impérieux de détourner la vue et de distraire l’imagination, en se reportant vers un idéal de calme, d’innocence et de rêverie. C’est son infirmité qui le fait agir ainsi, mais il n’en doit point rougir, car c’est aussi son devoir. Dans les temps où le mal vient de ce que les hommes se méconnaissent et se détestent, la mission de l’artiste est de célébrer la douceur, la confiance, l’amitié, et de rappeler ainsi aux hommes endurcis ou découragés que les mœurs pures, les sentiments tendres et l’équité primitive, sont ou peuvent être encore de ce monde. Les allusions directes aux malheurs présents, l’appel aux passions qui fermentent, ce n’est point là le chemin du salut ; mieux vaut une douce chanson, un son de pipeau rustique, un conte pour endormir les petits enfants sans frayeur et sans souffrance, que le spectacle des maux réels renforcés et rembrunis encore par la fiction.
Prêcher l’union quand on s’égorge, c’est crier dans le désert. Il est des temps où les âmes sont si agitées qu’elles sont sourdes à toute exhortation directe. Depuis ces journées de juin, dont les évènements actuels sont l’inévitable conséquence, l’auteur du conte qu’on va lire s’est imposé la tâche d’être aimable, dût-il en mourir de chagrin. Il a laissé railler ses bergeries, comme il avait laissé railler tout le reste, sans s’inquiéter des arrêts de certaines critiques. Il sait qu’il a fait plaisir à ceux qui aiment cette note-là, et que faire plaisir à ceux qui souffrent du même mal que lui, à savoir, l’horreur de la haine et des vengeances, c’est leur faire tout le bien qu’ils peuvent accepter : bien fugitif, soulagement passager, il est vrai, mais plus réel qu’une déclamation passionnée et plus saisissant qu’une démonstration classique.
Nogent, le 21 décembre 1851.
Disponible en Livre audio mp3 gratuit sur audiocité.
Disponible en ligne sur Google Books.
anti, l’esprit est comme un parachute, il fonctionne mieux ouvert 😉
Ca n’a pas pris une ride… Je ne sais pas si c’est une bonne chose.
En tout cas, oui, mieux vaut garder l’esprit ouvert en permanence.
C’est marrant, en ce moment passe comme en écho, la chanson « C’est ma Terre » de Christophe Maé :
On oublie un peu facilement
d’où l’on vient d’où l’on part
ça nous arrange de perdre
de temps en temps la mémoire
quand il y a danger
on regarde son voisin c’est bizarre
sans voir qu’on l’a peut-etre
laissé trop longtemps à l’écart
Il y a t-il un coeur qui s’élève
pour que tout le monde soit d’accord
un coeur qui prenne la relève
quelqu’un qui vienne en renfort
Refrain
C’est ma terre où je m’assois
ma rivière l’eau que je bois
qu’on n’y touche pas
c’est mes frères autour de moi
mes repères et ma seule voie
qu’on n’y touche pas
On alimente nos peurs
qu’en détournant nos regards
de nos belles valeurs
qui ne seraient pourtant qu’un devoir
et si l’on apprenait à se prendre la main
à se voir autrement que des inconnus
qui ne font rien que des histoires
Il y a t-il un coeur qui s’élève
pour que tout le monde soit d’accord
un coeur qui prenne la relève
quelqu’un qui vienne en renfort
Oh nan nan
c’est ma terre où je m’assois
ma rivière l’eau que je bois
c’est mes frères, mes sisters autour de moi
Alors que l’on n’y touche pas
Il y a t-il un coeur qui s’élève
pour que tout le monde soit d’accord
un coeur qui prenne la relève
quelqu’un qui vienne en renfort
anti
« La petite Fadette », un livre de mon enfance, de mon adolescence, qui m’a marquée aussi. Une richesse à de nombreux niveaux, que l’on peut redécouvrir.
🙂 Cela me réjouit Terrevive !