Découverte du matin…
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Plume d’ange
Vous voyez cette plume ?
Eh bien, c’est une plume… d’ange
Mais rassurez-vous, je ne vous demande pas de me croire, je ne vous le demande plus.
Pourtant, écoutez encore une fois, une dernière fois, mon histoire.
Une nuit, je faisais un rêve désopilant quand je fus réveillé par un frisson de l’air.
J’ouvre les yeux, que vois-je ?
Dans l’obscurité de la chambre, des myriades d’étincelles… Elles s’en allaient rejoindre, par tourbillonnements magnétiques, un point situé devant mon lit.
Rapidement, de l’accumulation de ces flocons aimantés, phosphorescents, un corps se constituait.
Quand les derniers flocons eurent terminé leur course, un ange était là, devant moi, un ange réglementaire avec les grands ailes de lait.
Comme une flèche d’un carquois, de son épaule il tire une plume, il me la tend et il me dit :
« C’est une plume d’ange. Je te la donne. Montre-la autour de toi.
Qu’un seul humain te croie et ce monde malheureux s’ouvrira au monde de la joie.
Qu’un seul humain te croie avec ta plume d’ange.
Adieu et souviens-toi : la foi est plus belle que Dieu. »Et l’ange disparut laissant la plume entre mes doigts.
Dans le noir, je restai longtemps, illuminé, grelottant d’extase, lissant la plume, la respirant.
En ce temps-là, je vivais pour les seins somptueux d’une passion néfaste.
J’allume, je la réveille :« Mon amour, mon amour, regarde cette plume… C’est une plume d’ange ! Oui ! un ange était là… Il vient de me la donner… Oh ma chérie, tu me sais incapable de mensonge, de plaisanterie scabreuse… Mon amour, mon amour, il faut que tu me croies, et tu vas voir… le monde ! »
La belle, le visage obscurci de cheveux, d’araignées de sommeil, me répondit :
« Fous-moi la paix… Je voudrais dormir… Et cesse de fumer ton satané Népal ! »
Elle me tourne le dos et merde !Au petit matin, parmi les nègres des poubelles et les premiers pigeons, je filai chez mon ami le plus sûr.
Je montrai ma plume à l’Afrique, aux poubelles, et bien sûr, aux pigeons qui me firent des roues, des roucoulements de considération admirative.
Je sonne.
Voici mon ami André.
Posément, avec précision, je vidais mon sac biblique, mon oreiller céleste :
« Tu m’entends bien, André, qu’on me prenne au sérieux et l’humanité tout entière s’arrache de son orbite de malédiction guerroyante et funeste. A dégager ! Finies la souffrance, la sottise. La joie, la lumière débarquent ! »
André se massait pensivement la tempe, il me fit un sourire ému, m’entraîna dans la cuisine et devant un café, m’expliqua que moi, sensible, moi, enclin au mysticisme sauvage, moi devais reconsidérer cette apparition.
Le repos… L’air de la campagne… Avec les oiseaux précisément, les vrais !Je me retrouve dans la rue grondante, tenaillant la plume dans ma poche.
Que dire ? Que faire ?
» Monsieur l’agent, regardez, c’est une plume d’ange. »
Il me croit !
Aussitôt les tonitruants troupeaux de bagnoles déjà hargneuses s’aplatissent. Des hommes radieux en sortent, auréolés de leurs volants et s’embrassent en sanglotant.
Soyons sérieux !
Je marchais, je marchais, dévorant les visages. Celui-ci ? La petite dame ?
Et soudain l’idée m’envahit, évidente, éclatante… Abandonnons les hommes !
Adressons-nous aux enfants ! Eux seuls savent que la foi est plus belle que Dieu.
Les enfants… Oui, mais lequel ?
Je marchais toujours, je marchais encore. Je ne regardais plus la gueule des passants hagards, mais, en moi, des guirlandes de visages d’enfants, mes chéris, mes féeriques, mes crédules me souriaient.
Je marchais, je volais… Le vent de mes pas feuilletait Paris… Pages de pierres, de bitume, de pavés maintenant.
Ceux de la rue Saint-Vincent… Les escaliers de Montmartre. Je monte, je descends et me fige devant une école, rue du Mont-Cenis.
Quelques femmes attendaient la sortie des gosses.
Faussement paternel, j’attends, moi aussi.
Les voilà.
Ils débouchent de la maternelle par fraîches bouffées, par bouillonnements bariolés. Mon regard papillonne de frimousses en minois, quêtant une révélation.
Sur le seuil de l’école, une petite fille s’est arrêtée. Dans la vive lumière d’avril, elle cligne ses petits yeux de jais, un peu bridés, un peu chinois et se les frotte vigoureusement.
Puis elle prend son cartable orange, tout rebondi de mathématiques modernes.
Alors j’ai suivi la boule brune et bouclée, gravissant derrière elle les escaliers de la Butte.
A quelque cent mètres elle pénétra dans un immeuble.
Longtemps, je suis resté là, me caressant les dents avec le bec de ma plume.Le lendemain je revins à la sortie de l’école et le surlendemain et les jours qui suivirent.
Elle s’appelait Fanny. Mais je ne me décidais pas à l’aborder. Et si je lui faisais peur avec ma bouche sèche, ma sueur sacrée, ma pâleur mortelle, vitale ?
Alors, qu’est-ce que je fais ? Je me tue ? Je l’avale, ma plume ? Je la plante dans le cul somptueux de ma passion néfaste ?
Et puis un jeudi, je me suis dit : je lui dis.
Les poumons du printemps exhalaient leur première haleine de peste paradisiaque.
J’ai précipité mon pas, j’ai tendu ma main vers la tête frisée… Au moment où j’allais l’atteindre, sur ma propre épaule, une pesante main s’est abattue.
Je me retourne, ils étaient deux, ils empestaient le barreau : « Suivez-nous. »Le commissariat.
Vous connaissez les commissariats ?
Les flics qui tapent le carton dans de la gauloise, du sandwich…
Une couche de tabac, une couche de passage à tabac.
Le commissaire était bon enfant, il ne roulait pas les mécaniques, il roulait les r :
» Asseyez-vous. Il me semble déjà vous avoir vu quelque part, vous. Alors comme ça, on suit les petites filles ?
– Quitte à passer pour un détraqué, je vais vous expliquer, monsieur, la véritable raison qui m’a fait m’approcher de cette enfant.
Je sors ma plume et j’y vais de mon couplet nocturne et miraculeux.
– Fanny, j’en suis certain, m’aurait cru. Les assassins, les polices, notre séculaire tennis de coups durs, tout ça, c’était fini, envolé !
– Voyons l’objet, me dit le commissaire.
D’entre mes doigts tremblants il saisit la plume sainte et la fait techniquement rouler devant un sourcil bonhomme.
– C’est de l’oie, ça…, me dit-il, je m’y connais, je suis du Périgord.
– Monsieur, ce n’est pas de l’oie, c’est de l’ange, vous dis-je !
– Calmez-vous ! Calmez-vous ! Mais vous avouerez tout de même qu’une telle affirmation exige d’être appuyée par un minimum d’enquête, à défaut de preuve.
Vous allez patienter un instant. On va s’occuper de vous. Gentiment hein ? gentiment. »On s’est occupé de moi, gentiment.
Entre deux électrochocs, je me balade dans le parc de la clinique psychiatrique où l’on m’héberge depuis un mois.
Parmi les divers siphonnés qui s’ébattent ou s’abattent sur les aimables gazons, il est un être qui me fascine. C’est un vieil homme, très beau, il se tient toujours immobile dans une allée du parc devant un cèdre du Liban. Parfois, il étend lentement les bras et semble psalmodier un texte secret, sacré.
J’ai fini par m’approcher de lui, par lui adresser la parole.
Aujourd’hui, nous sommes amis. C’est un type surprenant, un savant, un poète.
Vous dire qu’il sait tout, a tout appris, senti, perçu, percé, c’est peu dire.
De sa barbe massive, un peu verte, aux poils épais et tordus le verbe sort, calme et fruité, abreuvant un récit où toutes les mystiques, les métaphysiques, les philosophies s’unissent, se rassemblent pour se ressembler dans le puits étoilé de sa mémoire.Dans ce puits de jouvence intellectuelle, sot, je descends, seau débordant de l’eau fraîche et limpide de l’intelligence alliée à l’amour, je remonte.
Parfois il me contemple en souriant. Des plis de sa robe de bure, ils sort des noix, de grosses noix qu’il brise d’un seul coup dans sa paume, crac ! pour me les offrir.Un jour où il me parle d’ornithologie comparée entre Olivier Messiaen et Charlie Parker, je ne l’écoute plus.
Un grand silence se fait en moi.
Mais cet homme dont l’ange t’a parlé, cet homme introuvable qui peut croire à ta plume, eh bien, oui, c’est lui, il est là, devant toi !
Sans hésiter, je sors la plume.
Les yeux mordorés lancent une étincelle.
Il examine la plume avec une acuité qui me fait frémir de la tête aux pieds.
» Quel magnifique spécimen de plume d’ange, vous avez là, mon ami.
– Alors vous me croyez ? vous le savez !
– Bien sûr, je vous crois. Le tuyau légèrement cannelé, la nacrure des barbes, on ne peut s’y méprendre.
Je puis même ajouter qu’il s’agit d’une penne d’Angelus Maliciosus.
– Mais alors ! Puisqu’il est dit qu’un homme me croyant, le monde est sauvé…
– Je vous arrête, ami. Je ne suis pas un homme.
– Vous n’êtes pas un homme ?
– Nullement, je suis un noyer.
– Vous êtes noyé ?
– Non. Je suis un noyer. L’arbre. Je suis un arbre. »Il y eut un frisson de l’air.
Se détachant de la cime du grand cèdre, un oiseau est venu se poser sur l’épaule du vieillard et je crus reconnaître, miniaturisé, l’ange malicieux qui m’avait visité.
Tous les trois, l’oiseau, le vieil homme et moi, nous avons ri, nous avons ri longtemps, longtemps…
Le fou rire, quoi !
Alors là, une vraie merveille !!!!!
ah oui ! un vrai régal !
et dites, vous n’y auriez pas cru, vous, à sa plume d’ange ?
Comme quoi, dans une telle situation, le vrai problème, c’est bien de trouver « la » personne à qui poser la question.
A la relecture, je repense à Kundera, Risibles Amours, extrait :
« Suppose que tu rencontres un fou qui affirme qu’il est un poisson et que nous sommes tous des poissons. Vas-tu te disputer avec lui ? Vas-tu te déshabiller devant lui pour lui montrer que tu n’as pas de nageoires ? Vas-tu lui dire en face ce que tu penses ? » Son frère se taisait, et Edouard poursuivit : « Si tu ne lui disais que la vérité, que ce que tu penses vraiment de lui, ça voudrait dire que tu consens à avoir une discussion sérieuse avec un fou et que tu es toi-même fou. C’est exactement la même chose avec le monde qui nous entoure. Si tu t’obstinais à lui dire la vérité en face, ça voudrait dire que tu le prends au sérieux. Et prendre au sérieux quelque chose d’aussi peu sérieux, c’est perdre soi-même tout son sérieux. Moi, je dois mentir pour ne pas prendre au sérieux des fous et ne pas devenir moi-même fou. »
anti, oui – merci.
A propos, le site sur lequel j’ai emprunté la photo est tout simplement magnifique. Il se poursuit sur un autre : http://aiguebrun.adjaya.info/ à tomber par terre ! Amis des coquelicots vous allez être aux anges…
anti, je veux que les Fées existent, j’y crois ! j’y crois !
Très belles photos en effet (en est fée?)
Anna, fée passer
Amis des coquelicots vous allez être aux anges…
anti
boum ! à en tomber à la renverse 😉
Monilet arrive !!! y’a plein de belles choses là ^^
« Moi, je dois mentir pour ne pas prendre au sérieux des fous et ne pas devenir moi-même fou. »
nul n est obligé de rien… et surtout pas de mentir même si c est par omission… ces mensonges pieux qui m auraient presque fait rire s ils ne m avaient fait en pleurer…
« Si tu ne lui disais que la vérité, que ce que tu penses vraiment de lui, ça voudrait dire que tu consens à avoir une discussion sérieuse avec un fou et que tu es toi-même fou. »
ça voudrait dire qu il vaut mieux cacher que dire ?! lequel des deux le serait si tant est qu il y en ait un…
« Dans la vive lumière d’avril, elle cligne ses petits yeux de jais, un peu bridés, un peu chinois » … « Elle s’appelait Fanny ».
Mdr si c est la mienne qu il a croisé… pas de chance… elle n a pas encore attéri ! ^^
Vous zici ! Oui, beaucoup de question il m’a fait me poser aussi le père Kundera, et ce, depuis que je l’ai lu il y a un paquet d’années. Aujourd’hui, je porte avec moi ces mots, je les entends comme non pas le silence au sens d’oeillères mais le fait de ne pas perdre son temps, mon temps à me battre contre des moulins à vent.
Dire les choses oui, et comment ! perdre mon temps à les expliquer non. J’ai autre chose à faire, ma vie est trop courte. J’esssssssssssplique quand même tu vois, je sais que je suis un peu franco de port, mais si les gens ne comprennent pas que jamais, oh grand jamais la méchanceté me meut et qu’il le prenne pour eux quand j’exprime un avis personnel qui n’engage que moi, ben tant pis ! Tant pis pour eux. (voir à ce sujet les accords toltèques, excellents !) tant pis surtout q’ils sont pas foutu de me dire qu’ils ne sont pas d’accord ou que j’exagère à leurs yeux.
Voi-là p’tite plume d’Ange.
anti
ah bah je préfère quand même que tu rajoutes que tu expliques mdr, tu m as fait peur ! du style je dis si l autre il ne comprend pas, hop terminé.
Bah bienvenue au Club, dire , expliquer et puis après c est sûr que l on ne va pas y passer la vie. Mais commencer par dire un différent ou un mal entendu c est primordial. On a bien souvent des difficultés seulement par non dit. Alors on croit, on s imagine…
Et oui l important c est de dire, parce que l autre au moins sait pourquoi et en plus… ça soulage bienG ! 😉
« Voi-là p’tite plume d’Ange. » MDRRRRRRR bah avec moi, j’te fais direct une couette !!!
( pipiiiiiiiiiiiiiiiiiiii de mes conneries !)
« hop terminé. »
MDRRRRRRRRRRR !!! Je visualise la scène !!! Pétée de rire.
Voui, la franchise. On y revient encore. Ce qui est formidable je trouve, c’est quand tu regardes l’étymologie du verbe Franchir.
FRANCHIR v. tr. XIIe siècle, « affranchir, rendre libre »
Pareil pour Franc, Franche, Franchise. Tout ça, c’est de la liberté, c’est passé d’un état à un autre au propre comme au figuré.
Etre libre de dire, comme toute liberté a son prix dans tous les sens du terme aussi.
« MDRRRRRRR bah avec moi, j’te fais direct une couette !!! »
Oh oui !!! Une couette en plumes d’Ange !
anti, couettouilloute, m’aime combat.
bon Môman faut que je rende l ordi 😉
à plus ici et merci pour cette fort belle explication !
je les aime tes anges !!! ^^
Tu ne crois pas si bien dire. Après mon accouchement, alors qu’on me demandait « Alors ? C’est comment accoucher ? »
J’ai répondu : « Je reviens du Paradis, et j’ai ramené un Ange… »
Doron signifie Cadeau. Qu’est-ce que la vie sinon un cadeau inestimable ?
anti, maman comblée.
J’ai tendance à faire partie des incrédules… Et pourtant, je crois que je ne demande qu’à croire…
Cartésienne mais pas que… Y a qu’à voir, je crois aux rêves ! Un ange ? Hé, pourquoi pas…
Grâce au lien laissé par Anti chez eMmA, je viens de lire cette superbe note et tous les commentaires.
J’ai passé un moment merveilleux, un beau rêve… Merci Anti !
Et grâce à toi, je le relis aussi et me délecte 😉
anti
Pareil ! Merci !
Je connaissais ce texte de Nougaro, mais il y avait TRES longtemps qu’il ne m’avait… visité !
Une foule de souvenirs viennent de me caresser de leurs douces plumes.
Merci, MERCI, Anti…
eMmA